The nature and purpose of the universe (ou les tribulations de la famille Mann)
Dieu a-t-il un projet pour Eleanor Mann ? Jusqu'ici, les coups de son mari, ses enfants qui ne savent que la terrifier, la décevoir et la désespérer ne semblaient pas être un obstacle invincible à son bonheur, tant que l'aspirateur fonctionnait. Mais les êtres divins qui veillent aux destinées de la famille Mann ne l'entendent pas de cette oreille, et descendent sur terre pour faire subir à la pieuse ménagère les avanies les plus loufoques et les plus insensées ; tandis que les déchets d'usine fleurissent dans l'atmosphère, les menées radicales d'une none de Bernardsville menacent l'équilibre du monde. Que faire alors ? Partir sans doute. Mais où ?
Dans The Nature and Purpose of the Universe, le personnage d’Eleanor, la mère de famille, est mis à l’épreuve tout au long de la pièce. Nouvel avatar du mythe théâtral de la mère sacrifiée, Eleanor n’est pas sans rappeler, par sa foi absolue et sa posture de soumission, la figure de Job, transposée dans la réalité quotidienne des années 80.
Ce que ce caractère a de profondément émouvant et de dérangeant à la fois, c’est sa résignation face à un quotidien désespérant qui se fonde en vérité sur l’attente d’une rédemption et d’une récompense dans l’au-delà. On ne sait jamais vraiment si cette attitude relève d’une passivité tristement banale ou d’un véritable héroïsme ascétique, en contraste avec l’impulsivité et la recherche du plaisir immédiat qui dirigent les actes de ses proches.
Dès lors, ce spectacle se révèle porteur d’un discours politique d’une très grande actualité. A travers le regard normatif d’Eleanor, nous devenons les témoins de l’extraordinaire violence qui s’exerce sur les individus dans le cadre de la famille. La pièce expose en effet les conflits et les problématiques qui surgissent quand dans un même espace familial s’affirment des orientations sexuelles différentes et des identités de genre alternatives, introduites par les enfants du couple. Au moyen de la parodie, elle questionne aussi les discours réactionnaires d’inspiration religieuse en juxtaposant le puritanisme de la culture chrétienne et le tableau d’une sexualité anarchique. Au coeur du spectacle on peut enfin entre-voir l’articulation d’une violence familiale quotidienne et d’une violence politique, notamment lorsque le père de famille glisse sur la pente du terrorisme.
Profondément intrigué par le fait que la religion, au lieu d’être un soutien pour l’existence humaine, apparaisse parfois comme un moteur de déstructuration émotionnelle et sociale, j’amène l’histoire d’Eleanor Mann sur scène, aujourd’hui, à Paris.
David Torres
2 bis, Passage La Ruelle 75018 Paris