L’histoire de Casse-Noisette et le roi des souris ou Histoire d’un casse-noisette est inspirée de la version d’Alexandre Dumas du conte d’Ernst Theodor Amadeus Hoffmann. L’intrigue est centrée sur une petite fille allemande du nom de Clara. Casse-Noisette est un ballet-féerie en deux actes présenté pour la première fois le 18 décembre 1892 au Théâtre Mariinsky de Saint- Pétersbourg, sous la direction de Riccardo Drigo et chorégraphié par Lev Ivanov. Le livret d’Ivan Vsevolojski et Marius Petipa s’inspire de cette version d’Alexandre Dumas. La musique, confiée à Piotr Ilitch Tchaïkovski et composée de février 1891 à mars 1892, est certainement une des musiques de ballet les plus populaires aujourd’hui et une des oeuvres de Tchaïkovski les plus appréciées. « Je ne croyais pas moi-même au succès de ce ballet », dit-il à la fin de la représentation.
Depuis sa publication en 1816, ce conte d’Hoffman a été de nombreuses fois revisité par des chorégraphes, metteurs en scène et cinéastes. J’ai vu pour la première fois en 1998 la version de Maurice Béjart, puis celles de Jean-Christophe Maillot en 1999 et Thierry Malandain en 2001. Depuis, dans un petit coin de ma tête, je cultive le rêve secret de me confronter à cette oeuvre…
Ce voyage initiatique d’une petite fille à travers un monde merveilleux et imaginaire où tout devient possible, ce pourrait être celui de ma propre fille, aujourd’hui… Les thèmes universels et immortels contenus dans ce conte, le passage de l’enfance à l’adolescence, l’amour et les forces du mal… tout ceci nécessairement m’intéresse. Nous sommes tous à la recherche de l’autre, le prince ou la princesse charmante, notre moitié tout simplement. Ainsi, le propos de Casse-noisette traverse le temps, il n’a pas d’âge. À mon tour, j’ai envie de m’aventurer dans cet espace merveilleux et onirique pour le partager, tel un parent s’employant à raconter une belle histoire à son enfant, de la façon la plus sérieuse. Une bonne vieille histoire avec un prince charmant, des souris, des périls, de la fantasmagorie, un univers de ballet et de fête où l’imagination et le fantastique se disputent pour joyeusement nous édifier. Pourquoi ces histoires de princes nous enchantent-elles et continuent-elles d’illuminer nos imaginaires ? Qu’est-ce donc qu’un prince charmant ? Est-ce un être bon, fréquentable, respectueux ? Que nous veut-il ? Comment se manifestent ses qualités, sa grandeur, sa noblesse, sa puissance ? Exerce-t-il sur nous sa fascination uniquement pour satisfaire ses propres fins ? Dans toutes ces histoires, les princes, surtout s’ils sont charmants, sont inévitablement forts. Ils combattent pour nous défendre sans d’ailleurs le leur avoir demandé. Mais d’où provient cette magie qui parvient à nous transporter vers des univers étranges et fantastiques, sources à la fois de plaisir, de terreur, de satisfaction, d’angoisse, pour nous extraire de la gravité du quotidien ? Cela ne fait plus aucun doute, ces histoires de princesses et de princes constituent une affaire très sérieuse. Noël est dans les parages et notre petite fille est bien rêveuse…
« Pour Bouba Landrille Tchouda, la danse n’est pas un simple défi du mouvement, mais l’expression d’une réflexion intime et rêveuse. » Danser, Bernadette Bonis
Avec l’énergie de la danse hip hop, avec nos questions et nos rêves de maintenant ! Et ma fille, c’est maintenant qu’elle prend ce qu’il y a dans la force de la culture hip hop ! Elle, c’est une princesse du moment, à la quête d’un monde charmant. Le prince, c’est son présent, ce sont tous les êtres qui partagent cet univers. Le prince, s’il est unique, c’est parce que nous tous lui insufflons sa singularité, de l’énergie, du désir, de l’intelligence, des histoires qui alimentent l’espérance d’un monde plus fraternel, enchanté. Nous le soutenons pour construire une belle histoire d’aujourd’hui… Si nous savons que le monde est cruel et source d’angoisse, cela n’empêche pas pour autant d’inventer de belles histoires pour vous plaire, sérieusement. Et pour cela, il faut du travail, de la générosité, rendre spectaculaire le plus anodin de chaque instant, avec virtuosité, au-delà de la mode de la virtuosité. Ceci est un défi !
Il existe tellement de versions de ce ballet que je me sens libre et à l’aise pour proposer une version où je pourrai élaborer une danse hip hop originale à partir des contraintes musicales imposées par l’oeuvre de Tchaïkovski. Il ne s’agit surtout pas de traduire platement une gestuelle classique en gestuelle hip hop. Comment cette oeuvre, qui a traversé tant de corps et fasciné les gens depuis presque deux siècles, peut trouver un écho dans des corps construits par la danse hip hop ? Danser sur et avec cette brillante musique de Tchaïkovski, redonner ce chant merveilleux, créer des passerelles entre cette oeuvre du répertoire et la vivacité de nos musiques actuelles. La musique ne décore pas la danse et inversement. Vivante, rythmée, dynamique, je partirai bien entendu de la musique originale de Tchaïkovski.
Cependant, je me laisserai aussi la possibilité de ne pas l’utiliser dans son intégralité. Je ferai appel à un compositeur qui se saisira de l’univers spirituel, sensoriel et magique de Casse-noisette pour notamment jeter un sort aux transitions entre les différents tableaux et actes. Dans la tension dramatique, où se situe la musique ? Comment être dans la danse tout en évitant la redondance avec l’univers narratif et celui de l’énergie musicale ? Comment conjuguer ce bouillonnement musical qui nous vient de loin et le faire résonner avec notre présent ? Comment traiter l’atmosphère féerique et enchantée de ce conte pour rendre compte des différents espaces et univers de la narration ? D’aucuns sont persuadés de connaître la géographie de Casse-noisette. Ce titre, familier comme la musique d’une formule magique, recèle pourtant de nombreuses surprises… Si la forêt, la neige, le merveilleux sont des passages obligés, pourrons-nous cependant aller ailleurs ? Pour éviter les entraves d’une lourde scénographie figurative, à partir d’accessoires, notamment pour symboliser la chambre de l’enfant, pour être dans le jeu, dans la danse, nous nous appuierons essentiellement sur des éléments « signifiants » et « ludiques » pour ouvrir des fenêtres sur ces rêveries qui nous guident dans l’histoire, vers l’autre…
Et de loin, elle point, étrangement familière… La musique de Tchaïkovski m’oblige à penser un processus de création différent et original. Jusqu’alors, j’utilisais des musiques tests préexistantes pour la recherche de la matière et l’écriture de la danse, la chorégraphie. Au départ, ces musiques tests étaient un terreau pour induire des danses, visualiser les corps dans l’espace, participer à l’énonciation d’un propos dramaturgique, et naissait la danse ! Avec cette musique de Tchaïkovski, des perspectives incroyables sont promises et de nouveaux territoires de danses s’ouvrent. Ainsi, avec l’équipe réunissant danseuses et danseurs, je débuterai par un travail autour de la « mémoire », rechercher et se remémorer des impressions associées à cette musique… Puis nous poursuivrons, entre autres, sur le « décalage » pouvant a priori se faire entre cette musique classique de Casse-noisette et l’énergie de la danse hip hop.
Le défi commence ! Offrir « un » Casse-noisette, réinventer un univers fantasmagorique avec l’énergie de notre temps, en convoquant la danse hip hop, transmettre ce récit à nos enfants et à tous ceux qui cultivent en eux l’aliment du désir, la recherche de l’inaccessible étoile, l’espérance de l’amour, toujours l’amour, avec ses terreurs, ses parts d’ombres, ses incertitudes… en dansant ! Bon… maintenant que j’ai dit tout ça, un étrange sentiment me gagne ! Le vertige du plaisir de nouvelles aventures, la peur de l’inconnu ou les deux à la fois… Qu’est-ce qui me prend ?
Bouba Landrille Tchouda
Dans le cadre du Suresnes Cité danse
Place Jacques Brel 78505 Sartrouville