Un jeune intello phobique des cintres bascule dans un entre-deux-mondes hostile et déshumanisé où les objets pensent et souffrent, où les humains finissent chosifiés, jusqu’à sa rencontre avec une étrange créature amnésique…
Un été sur le Septième Continent , créé par la Compagnie Les Dézingueurs, retrace l’histoire émouvante de ces deux âmes égarées dans un univers parallèle féerique et absurde le Septième Continent des Objets : un voyage initiatique entre conte et humour, avec en filigrane une critique de notre société d’hyperconsommation.
Un conte post-apocalyptique et poétique d’après Le cintre était sur la banquette arrière d’Alain Rémond, paru aux Editions du Seuil et Points.
Distribution en alternance.
− Parfois j’ai un coup de cœur pour un petit quelque chose. Je regarde cette bricole je l’examine je la retourne dans ma main je la flaire je la pose je la reprends je la repose. Je n’arrive pas à me décider. Je me dis que je vais finir le tour de la brocante et que si la bricole est toujours là au retour je l’achèterai. Je finis mon tour je reviens. La bricole est toujours là. Bizarrement je ne lui trouve plus rien
− Moi j'adore fouiller dans la décharge où tout est jeté en vrac. « Terre à bâbord paré à virer » « bien mon capitaine ». Je fais des supers parties de chasse au trésor. Il suffit de soulever de bazarder de creuser et alors vous récupérez des vieux objets tout cassés des machins bizarres des trucs rigolos et parfois avec un peu de chance des jouets tout abîmés avec lesquels vous bricolez des bidules improbables. J'ai l'impression qu'ils me racontent plein d'histoires ces vieux jouets abandonnés. En les sortant du trou je n'ai qu'une seule envie leur donner une nouvelle vie
− La vie dans les choses mortes ! Peut-être que les choses ont des souvenirs, peut-être que les choses ont de la mémoire c’est pour ça qu’il faut les écouter
− Moi aussi j’aimerais bien être comme elles et avoir de la mémoire que quelqu’un me déterre me recycle et m’offre une nouvelle vie. Envie d’être envie d’été !
− De toute façon l’été a été. Il n’est plus. On n’en a plus que le souvenir
− Et si on jouait à l’été ?
Neuf générations d’iPhones en sept ans, des machines à laver tombant en panne après 2 500 cycles dans un dernier roulement de tambour… Les déchets s’accumulent tandis que se développe notre addiction à la consommation. Sommes-nous culturellement programmés pour condamner à une mort prématurée tous ces appareils en parfait état de marche ?
Et si, d’un seul coup, les rôles s’inversaient et que nous basculions dans le monde des objets. Que se passerait-il ? Pourrait-on encore revenir en arrière ? Et si finalement nous étions en train d’assister, impuissants, à une fin du monde en direct orchestrée par les objets qui échapperaient à notre contrôle après des années de servitude ?
Pour porter ce texte pour la première fois sur les planches, l’Apocalypse et tout le symbolisme, l’onirisme, le questionnement critique qui en découlent s’est imposée à moi comme point de départ. Au final, j’ai choisi de traiter l’histoire sous une forme absurde et décalée, d’introduire du merveilleux et de la magie derrière l’intensité dramatique de ce qui peut s’apparenter à un conte emprunt d’humour et de légèreté. »
Aurélie Bouquet, metteur en scène
Une décharge froide, du métal partout, de la rouille, des objets improbables, oubliés. Un arbre mort, au centre, est déjà à moitié recouvert d’une matière métallique qui semble vouloir grimper sur tout ce qui l’entoure, à la façon d’une plante parasite. À y regarder de plus près, on devine d’étranges assemblages, qui semblent vouloir donner naissance à de nouveaux êtres, faits de trucs et de machins.
Redécouvrant par hasard des clichés du site d’Hiroshima tel qu’il est aujourd’hui, je me rappelais cette capacité incroyable de la nature à reprendre ses droits. Sur le Septième Continent des objets, tout est à l’envers, tous les rapports sont inversés. L’objet domine, l’Homme n’est pas le bienvenu. C’est le pari visuel de la scénographie : ici, ce sont les déchets qui envahissent, rongent, avalent les dernières traces de nature. Le métal, travaillé à la façon d’un textile, assemblé en fines couches, habillera une partie de la scène. Comme une plante grimpante, il semble vouloir s’étendre à l’infini et prendre inexorablement possession du monde qui l’entoure.
Les objets, repensés, reconstruits, réassemblés à partir de déchets, jouent à imiter la nature. Charles, la vieille radio, perché dans l’arbre avec ses deux grands yeux jaunes, se pose en hibou discret mais toujours présent. Gaston, le téléphone, tisse sa toile à travers la scène comme une araignée qui voudrait connecter entre eux les quatre coins du monde. Max, l’ordinateur, est une vieille souche que l’on a pu déraciner : il garde ferme ses connexions souterraines et contrôle dans l’ombre le Septième Continent.
Suspendue au-dessus de la scène Cinnamone, la télévision, projette comme un soleil sa lumière sur ce monde, dominatrice, hypnotique, éblouissante.
Philae, la lampe-robot, a quelque chose de l’autruche, un grand bidule maladroit et mal dégauchi, qui d’un coup d’œil nous attendrit. Elle n’est que rouille et recyclage, mais elle n’en est pas moins coquette, ce qui la pousse à choisir avec soin le motif de la jupe, un vieil abat-jour des années soixante. C’est l’objet qui se rapproche le plus de l’être humain, car inséparable de son amie HD sur laquelle elle semble prendre modèle. Ou serait-ce l’inverse ?
Florent Burgevin, scénographe
Le cintre était sur la banquette arrière est un recueil de chroniques douces amères, initialement publiées dans le magazine d’information Marianne. Il y est question de manchots, de « textique », de bernaches, de chou farci et de politique. Mais aussi de cintres et d’armoires en kit. Racontant ses déboires au quotidien avec les objets qui l’entourent, Alain Rémond porte un regard ironique et lucide sur le mal dont souffre notre société de consommation. Il nous livre aussi, en filigrane, ses angoisses face à l’avenir et au temps qui passe.
Très touchée par sa réflexion autour de l’usure des êtres et des choses, c’est avant tout cette poésie d’un quotidien absurde et tragique que j’ai voulu convoquer en adaptant ses chroniques pour la première fois au théâtre. Ce rapport conflictuel au monde d’un personnage qui voit le mode d’emploi des objets lui échapper au même titre que sa propre existence, l’urgence à rendre aux objets du quotidien leur dignité. Il me fallait alors donner une articulation dramatique à ces chroniques totalement indépendantes les unes des autres. D’où le fil conducteur du complot des objets contre les humains, faisant référence au titre énigmatique de l’ouvrage pour lequel j’ai eu un violent et non négociable coup de cœur.
Déjà, je pressentais un « double-je » de l’auteur, une sorte de schizophrénie faisant coexister dans un même texte deux visions opposées du monde, deux personnalités, deux voix : l’une cynique et désabusée, l’autre rêveuse et émerveillée, celle de l’enfant qui poserait pour la première fois son regard sur la vie, sur les êtres et sur les choses avec l’envie de « tout voir comme si c’était la dernière fois. »
Tout en respectant la plume, l’esprit et le texte d’origine, j’ai donc choisi de transposer les propos tenus à la première personne par Alain Rémond dans la bouche de deux personnages désaccordés et complémentaires. Cette narration éclatée, cette écriture en dialogue m’est apparue primordiale afin de retranscrire sur scène le conflit avec le monde actuel, le décalage, mais aussi l’humour et la poésie présente dans l’écriture de l’auteur. J’ai d’ailleurs tenu à garder intacte, dans cette adaptation, toute l’empathie et l’ironie qu’Alain Rémond a su créer vis-à-vis de son propre personnage dans ses chroniques.
Toujours en partant des mots d’Alain Rémond, ma rencontre avec la metteuse en scène Aurélie Bouquet m’a donné envie d’aller encore plus loin dans l’univers narratif de ces chroniques et de créer une sorte de Chihiro des objets, en faisant évoluer ces deux âmes égarées dans un entre-deux-mondes sous cellophane, à la fois féerique et déshumanisé : d’un côté les vivants qui oublient de vivre, de l’autre les objets qui voudraient vivre et que leurs voix soient entendues… et aucune communication possible entre ces deux univers. Aucune ? Peut-être qu’en y regardant de plus près, il suffirait de s’ouvrir aux autres pour profiter de l’instant présent et trouver le bonheur en toutes choses. C’est l’urgence salutaire de cet appel vers l’autre, pour vivre, grandir et se construire, envers et contre tout, qui, depuis plus de trois ans, m’a guidée dans cette adaptation.
Marianne Ayama, adaptatrice
7 rue Véron 75018 Paris