Attention : spectacle pour adultes, certaines scène peuvent choquer.
Une histoire d'amour
Parfois les gens apparaissent
Le jeu fascinant de l’ambiguïté
Un temps à chevaucher des Baleines est une histoire d’amour. Le Canadien Bryden MacDonald nous présente, dans cette œuvre acclamée par la critique, trois hommes, jeunes et moins jeune, faisant un retour sur leur vie qui peu à peu leur échappe. « Qui est cet élégant homme d’âge mûr assis tout seul près du bar au sous-sol, tenant un verre à la main avec grande dignité, tandis que des larmes ne cessent de couler sur ses joues ? »
Vous allez faire un joli couple, ensemble.
Vous allez avoir l’air couillu et arrogant ensemble.
Ensemble, vous pourrez vous faire détester par des milliers de gens.
Chérissez cela. Chérissez ce pouvoir.
Il s’agit d’un texte magnifique, inconnu en France, qui représente une bataille pour l’égalité, l’égalité de tous les êtres humains face à la loi, l’égalité de toutes les sexualités et ses expressions en termes de représentation artistique. C’est un texte très exigeant pour les artistes impliqués et très gratifiant pour le public. L'épaisseur dramatique et la hauteur tragique des personnages paraîtront subsidiaires et submergées dans cette idée. La « respiration » du spectacle reviendra alors perturbatrice et dérangeante.
Décor : intérieur sombre, une méridienne en place et lieu du lit, entourée des élements les plus basiques dont une commode. Une cloison. En avant-scène un bureau d’écolier et un grand panier à chats.
Le vieil homme porte le nom de Renan, un ancien artiste peintre qui est pris au piège de son propre entourage. MacDonald, l’auteur, dit de lui qu’il est aussi « puissant » que « frêle » et ajoute que le personnage fut inspiré par un homme qu’il vit assis dans un bar gay de Montréal. « Renan peut être une hargneuse vieille folle méchante. »
Un temps à chevaucher des Baleines sollicite le spectateur avec des images
et des thèmes esquissés à partir des propres expériences de l’auteur et
observations de la vie, hors des clichés consensuels.
Le spectateur se trouve projeté dans un bouge où les deux personnages
principaux, Renan et Paul, se sont retirés pendant qu’un nouveau temps pousse
dans la réalité. Le cynisme de Renan et l’érotisme de Paul languissent
depuis trop longtemps. Malheureusement, leur élan respectif n’est plus tout
à fait le même.
Dans ce chaos calculé, arrive un autre jeune, à l’œil vif, espiègle
catalyseur qui se fait appeler Jude. À travers les monologues décousus et
caustiques de Renan, les réflexions acerbes et laconiques de Paul et les
susurrements hyperboliques de Jude, MacDonald construit une splendide Trinité
Gay.
Renan est prisonnier d’une relation morte avec le jeune Paul, corrodé par des crises de panique et d’agoraphobie. Paul est un « enfant frigorifié » qui a appris à narguer Renan comme arme de survie pouvant devenir, lui aussi, hargneux. Bryden dit de lui qu’ « il n’a véritablement jamais grandi ». Lorsque le romantique et queutard Jude se pavane et attire l’attention de Paul, celui-ci se construit un mur devenant une flammèche égarée du monde extérieur. Sa principale lutte commence à pointer en dehors de sa coquille : Paul se rend compte de sa situation grâce à Jude.
« C’est une exploration de l’engagement », commente MacDonald. « Je me cible continûment sur le mot co-dépendance. Ils ne peuvent pas survivre l’un sans l’autre mais en même temps ils se détruisent l’un l’autre. ». Il avertit qu’il trouve sa pièce drôle, avouant néanmoins que son sens de l’humour a déjà été questionné par le passé.
« Je pense que si Tennessee Williams avait une écriture côtière et était vivant, il écrirait certainement comme Bryden MacDonald. » CBC Radio
En fin de comptes, Un temps à chevaucher des Baleines est un triangle amoureux, un extraordinaire poème dramatique.
Je suis un grand consommateur de séries télévisuelles. Je dévore presque de façon maladive toutes les sitcoms étasuniennes sans répit. Elles ont presque toujours un dénominateur commun, ces séries, qui vont de Ally McBeal à Sex and the City en passant par Six feet under, nous parlent toutes de solitude. Leurs personnages scrutent leur présent, le regardent avec une charge de perplexité et d’étonnement lorsqu’ils s’aperçoivent des changements survenus dans leur époque « moderne ».
Nos personnages se retrouvent « together alone », expression qui est devenue presque un lieu commun dans le jargon des nouveaux créateurs des médias. Ces derniers mois, quand je lis une pièce nord-américaine ou lorsque je regarde un film de la même origine, j’évoque ces séries avec de plus en plus de récurrence. Ce n’est qu’une vision des rapports humains, une vision qui nous conviendrait d’adopter en ce début de siècle. Elle nous arrive des États-Unis et du Canada pour nous proposer un nouveau champ de réflexion en Europe.
« The American dream » surgit d’une combinaison de facteurs géographiques, politiques, économiques et sociaux qui ont été les responsables du gigantesque développement de cette nation en quatre siècles d’histoire. Dans les années 90, il surgit un groupe de dramaturges qui, en partant de la famille en tant qu’entité dramatique, va nous montrer sa désintégration comme noyau essentiel de la société. Le salon du foyer cède sa place au bar. L’alcool va peu à peu être remplacé par les drogues et les hallucinations bibliques vont ouvrir le chemin aux mots et aux actions - que l’on pourrait qualifier de grossières - qui deviennent plus accablants comme des métaphores. La mère n’est plus la protagoniste, elle est remplacée par des vieilles filles ou par des homosexuels qui, désespérés pour des urgences sexuelles, vont devenir le moteur de l’action dramatique.
Un autre moteur aussi puissant que le sexe, ce sont les jeux (de mots, d’actions, du théâtre dans le théâtre) comme recours pour souligner des déséquilibres et des conflits. Le peuple qui a inventé le plus grand nombre de jeux dans toute l’histoire de l’humanité, se trouve fidèlement portraituré dans les pièces de ses plus importants dramaturges.
Dramaturge et metteur en scène originaire de Glace Bay, dans l’Île du Cap-Breton, MacDonald réside aujourd’hui à Montréal. Il a fait partie des finalistes des Prix du Gouverneur général pour le théâtre en 1994 pour sa première pièce publiée Whale Riding Weather (Un Temps à Chevaucher des Baleines), a reçu un prix Jessie de la meilleure production à Vancouver en 1992 et a été nommé pour les prix Chalmers et Dora.
Un Temps à Chevaucher des Baleines nous parle donc de solitude. Les personnages sont en ménage ou vivent seuls. L’un d’eux dit que l’on peut dormir à côté de quelqu’un pendant des années sans vraiment le connaître. N’est-ce pas devenu un axiome de nos grandes villes ? Qui ne connaît pas quelqu’un à Paris qui ne se plaigne d’être seul, de ne pas trouver « sa moitié » ?
Parfois, nous pouvons être obnubilés par la rencontre d’un jeune amour d’une nuit, comme nos deux personnages Paul et Jude, mais est-ce que cela va durer ? Vivront-ils ensemble ? Allons-nous vivre ensemble ou sommes-nous destinés à la solitude ?
Nous pourrions dire que c’est la sempiternelle question existentielle de nos jeunes cadres dynamiques. « Vivrai-je seul pour le reste de ma vie ? » Dans cette pièce les personnages se rencontrent ou sortent d’une liaison et se retrouvent toujours seuls. Ils sont homosexuels, certes, mais ce n’est qu’une excuse pour parler d’amour, de désamour, d’amitié, de rencontres, de solitude et de mort. Tout cela rythmé par les bandes-sons de rythmes frénétiques de discothèques.
Bryden MacDonald nous invite à Chevaucher des Baleines. N’essayons même pas de trouver une signification particulière à cette présence plus que symbolique sur le plateau. C’est tout simplement un moyen de s’échapper de la réalité. Tout le monde a envie de s’échapper, et, dans l’histoire de l’humanité, il y a plusieurs fuites. La baleine en est une : est-ce la mort ? est-ce la solitude à nouveau ? est-ce l’écrasement du personnage clef de la pièce par les règles sociales qui imposent une « normalité » ? Allons savoir.
Je sais seulement que les gens ont besoin d’une fuite, ils ont besoin de s’imaginer qu’ailleurs, dans un autre endroit, dans une autre vie, la liberté n’est pas uniquement un mot. Il y a toujours deux types de fuite : une fuite désespérée, qui est le terrorisme et qui est absolument suicidaire, et la fuite dans l’imagination. Le théâtre c’est cela. Et je crois que la mer dans laquelle nos baleines vivent, c’est cela : c’est le lieu où tout est possible, où on joue pour le plaisir.
Le rythme de la mise en scène aura imprimé le signe du vertige et de la course à cheval en elle. L'assemblage et la quasi-superposition de la fin d'une scène au début de la suivante permettront un enchaînement et une accélération dans le développement de la trame. En même temps ce dispositif s'instaurera comme convention ; presque de manière analogue, par l'effet de dissolution utilisé dans le langage cinématographique et dans presque tous les vidéo-clips. Ce sera probablement grâce à cela que la perception du spectateur remerciera la fixation de certaines images dans un rythme plus posé, et je pense déjà à la fin de la pièce avec l'image de la baleine sous une catégorique et hiératique image plastique.
Vertige, condensation et tension poétique sembleraient être les axes ambivalents par lesquels traînera la mise en scène. L'épaisseur dramatique et la hauteur tragique des personnages paraîtront subsidiaires et submergées dans cette idée. La « respiration » du spectacle reviendra alors perturbatrice et dérangeante. J'essaie de systématiser.
À la fin de la pièce, les deux jeunes partiront ensemble. D’une certaine façon, ils vont institutionnaliser leurs rapports. C’est un aboutissement, c’est la fin. Or ce qui est beau, c’est le voyage, la traversée de la mer en quête de baleines. La mer n’est pas une forêt, ni une nature sauvage, dangereuse et parcourue de fauves. C’est un espace mental, un espace en équilibre, que l’homme essaye de dominer, omnipotent et implacable. C’est le lieu où peuvent se déployer les sentiments les plus inaliénables de l’homme : la liberté, la solidarité, l’amour. Le théâtre est un voyage ; cette pièce est un voyage. Je vais essayer simplement de surprendre un peu, d’agiter notre petit entourage avec la mise en scène de Un Temps à Chevaucher des Baleines, espérant que la morosité et la quiétude fermeront leurs yeux et que ceux qui attendent un spectacle de divertissement et transgresseur seront réceptifs à la création de cette nouvelle pièce.
Luis del Águila
" Mais cette mise en scène de Un temps à chevaucher des baleines sera-t-elle l’électrochoc qu’elle pourrait être ? (...) Que se rappellera t-on ? Le fond ? La forme ? Les scènes de nus (qu’on les ait trouvé belles ou laides) ou des dialogues, la rencontre de Renan, Paul et Jude, et la reconnaissance de chacun par soi-même ? Pièce pornographique ? Psychologique ? Politique ? A chacun de répondre pour son compte. Performance audacieuse en tout cas. " Alain Pécoult, AgoraPièces, 2000
"... la pièce reste sensuelle par la détresse du vieil homosexuel qui joue à merveille. Une pièce à découvrir et qui reste à exploiter... pour un public averti." La Provence, 15 juillet 2000
"Cette pièce bouscule, peut heurter avec des scène crues mais jamais vulgaires même si les acteurs font de leur nudité un costume. Le challenge est aussi pour le spectacteur qui doit dépasser un malaise peut-être, une gêne sans doute, pour aller au bout d'un texte où la tendresse s'imposera. " M.D., Le Dauphiné Vaucluse, 11 juillet 2000
7, rue des Plâtrières 75020 Paris