Présentation
Notes du metteur en scène
Lettre de Pirandello à Benjamin Crémieux, 1928
Avec Ibsen et Brecht, Pirandello est un des auteurs déterminants de la dramaturgie du vingtième siècle. Son théâtre, joué dans toutes les capitales européennes de son vivant, lui vaut le Prix Nobel de littérature en 1934.
Les personnages privilégiés de Pirandello, ce sont des fous et des folles, ce sont des êtres qui mendient leur droit à l'existence, ce sont des acteurs et des actrices qui, eux, ne savent plus vivre à force d'avoir vécu de l'existence des autres. En tous cas, tous des aliénés. Pirandello disait :"Mon art est plein d'une pitié amère pour tous ceux qui se trompent sur eux-mêmes ; mais cette compassion ne peut qu'être accompagnée d'une farouche révolte contre le destin qui condamne l'homme à l'illusion."
Cette tragédie coulée dans le moule de la comédie est d'abord une prison mentale.
Prisonniers des conventions, de l’honneur, des castes, de l’obligation sociale de juguler le désir et de la cacher sans pouvoir contrôler son éclatement, les personnages se débattent dans la tragédie, mais leur hystérie les plonge dans le labyrinthe de la comédie. Pirandello est bien à ce niveau le dernier maillon de la chaîne essentielle du théâtre moderne.
Le travail du metteur en scène (ce qui est vrai aussi pour l’acteur) est à l’égal de celui du sculpteur ou du peintre : les premiers coups de ciseaux, le brossage du fond de la toile, ne donnent aucune image précise de l’œuvre. Faire des gloses sur ce travail est une pédanterie à éviter ! Je ne sais qu’une chose à ce jour sur Vêtir ceux qui sont nus : cette tragédie coulée dans le moule de la comédie est d’abord une prison mentale. Prisonniers des conventions, de l’honneur, des castes, de l’obligation sociale de juguler le désir et de le cacher sans pouvoir contrôler son éclatement, les personnages débattent en effet dans la tragédie ; mais leur hystérie les plonge dans le labyrinthe de la comédie. Pirandello est bien à ce niveau le dernier maillon de la chaîne essentielle du théâtre moderne ; elle forme une grande boucle : Tchekhov, Strindberg, Ibsen, Shaw, Pirandello. Latine, slave, nordique, elle n’est pas française, peut-être un peu germanique par un cousinage avec Schnitzler et Horvath.
Il y a dix ans j’ai monté à Caen La Volupté d’être honnête. Ce spectacle était le pivot d’une " opération Pirandello " qui regroupait autour de cette œuvre essentielle de petites pièces peu jouées, Cécé, Cédrats de Sicile, La Fleur à la bouche. Ces quatre œuvres font partie d’une des deux constellations pirandelliennes, celle qui ne concerne pas le fameux " théâtre dans le théâtre " (Six personnages en quête d’auteur, Ce soir on improvise…) Elle propose ce que je nommerais un réseau de trahisons dans lequel Vêtir ceux qui sont nus a totalement sa place. Cette pièce est considérée par les " pirandelliens " comme une des plus importantes, des plus touchantes, psychologiquement mais aussi poétiquement. Elle est pourtant peu jouée, alors qu’elle fit partie d’un quatuor écrit dans les années vingt/vingt-cinq qui convainquit le jury Nobel de faire de Pirandello un de ses lauréats.
Pour moi, aujourd’hui, Vêtir ceux qui sont nus se relie aussi à mon récent travail sur Solness le constructeur d’Ibsen. L’emprisonnement de l’individu en est le lien, celui d’un homme âgé, touché par les impuissances, et qui se forge le portail de sa mort ; et ici celui d’une jeune femme qui ne peut quitter l’image renvoyée par son miroir imaginaire et ne trouve pas la porte d’entrée de sa vie.
Michel Dubois
" Vous désirez quelques notes biographiques sur moi, et je me trouve extrêmement embarrassé pour vous les fournir et cela, mon cher ami, pour la simple raison que j’ai oublié de vivre, oublié au point de ne pouvoir rien dire, mais exactement rien sur ma vie, si ce n’est peut-être que je ne la vis pas, mais que je l’écris. De sorte que si vous voulez quelque chose de moi, je pourrais vous répondre : " Attendez un peu, que je pose la question à mes personnages. Peut-être seront-ils en mesure de me donner à moi-même quelques informations à mon sujet. Mais il n’y a pas grand’chose à attendre d’eux ; ce sont presque tous des gens insociables qui n’ont eu que peu ou point à se louer de la vie."
Place de la liberté (Boulevard Foch) 57103 Thionville