Inspiré par le De Natura Rerum de Lucrèce – traité poétique et scientifique décrivant l'élaboration des phénomènes naturels – La Natura Delle Cose est une fable, un conte chorégraphique revisitant l'imaginaire des mythes anciens. Le livre s'ouvre sur un hymne à Vénus – puissance vitale qui fonde le désir – avant d'introduire un des concepts fondateurs de Lucrèce : le « clinamen », mouvement aléatoire et constant des atomes, qui met l'univers en mouvement.
Unissant le corps de la déesse aux particules qui constituent le monde animé, la pièce de Virgilio Sieni nous fait voyager dans le temps, dans une atmosphère à la lisière du rêve éveillé. Au gré des mutations et des masques, nous traversons différents âges de la vie, bercés par une voix qui scande, répète, enrobe les corps, et emplit l'étendue de ses mots.
Derrière les grands voiles blancs qui délimitent l'espace, une figure fait son apparition, étrange pantin porté par quatre danseurs, emportée par la dynamique de leurs mouvements semblables aux trajectoires incertaines des atomes. Éléments originaires, corpuscules ou manipulateurs de marionnette, ils lui font traverser les airs, animent cette coquille vide, et l'exposent au regard telle Vénus sortant des eaux.
Déposée au sol, elle découvre l'équilibre, cherche ses appuis, et petit à petit invente une gestuelle fragile pour habiter le vide. C'est un vide peuplé d'image, articulé par la voix qui continue à raconter, agité par la présence toujours proche des esprits aériens qui l'accompagnent ou la transportent.
On suit l'évolution de cette créature onirique, de métamorphose en métamorphose ; inquiétant enfant au visage de cire, secouant ses membres désarticulés, ou vieille femme scrutant la pénombre. « Que regarde-t-on, finalement ? », demande Virgilio Sieni. Peut-être une respiration, cette très ancienne musique intérieure qui agite les êtres et les choses.
Francesca Grilli est une artiste dont les vidéos et les installations cherchent à construire des espaces mentaux alternatifs, où l'étrange, l'infime et l'intime retrouvent une place au cœur du quotidien. Partant d'un détail, d'une action familière, elle noue ensemble images, sensations, voix, retisse des bribes de souvenirs.
Avec Moth, elle adopte la forme de la performance pour interroger les liens souterrains unissant perception individuelle et collective – la manière dont un même phénomène peut être lu et ressenti de multiples façons par les spectateurs. Une énigmatique cérémonie, qui convoque un large spectre de réactions esthétiques, physiques et sensorielles....
Sur scène, un tube de néon est posé horizontalement devant une mystérieuse silhouette. La lumière, comme douée d'une vie autonome, vibre et frémit. Derrière ce dispositif d'une intrigante simplicité, de nombreuses strates de sens composent l'image – strates que la voix de cette figure, mi-esprit, mi-prêtresse va animer.
En s'élevant, son chant provoque les variations de couleurs et d'intensité de l'éclairage – halos fantomatiques qui paraissent émaner directement d'elle-même. Quelle relation unit ces deux « corps » ? On pense aux expériences de spiritisme, pendant lesquelles des apparitions lumineuses semblaient sortir du médium, comme si celui-ci absorbait les pensées, les souvenirs et les expériences inconscientes des personnes rassemblées dans la salle.
Ici, c'est la voix de la chanteuse qui éveille les variations du spectre lumineux, créant entre la mélopée et son rayonnement une zone perméable aux réminiscences.Leur relation devient une pure surface de projection, un paysage vacillant qui capture les errances de la conscience.
Comme Moth, l'éphémère papillon de nuit, l'empreinte visuelle et auditive oscille et disparaît, nous laissant seuls avec les signes déposés par son passage.
Gilles Amalvi
Place Jean Jaurès 93100 Montreuil