Sur un texte de Anne Carson : Irony is not enough : Essay on my life as Catherine Deneuve
(2ème ébauche) et de Douglas A. Martin : Outline of my lover
Musiques : J. S. Bach, H. von Bieber, G. P. Telemann, Bach/F. Busoni, Thom Willems
Acteurs : Dana Caspersen (Catherine Deneuve) et Antony Rizzy (Garçon au bonnet bleu)
et les danseurs du Ballett Frankfurt
A l'inverse de George Balanchine, maître du ballet russe qui gagna New York pour réviser ses classiques, William Forsythe quitta les Etats-Unis pour jouer les électrons libres de la scène chorégraphique européenne : certains ont d'ailleurs cru reconnaître dans le premier un père spirituel du second, résumé hâtif à défaut d'être tout à fait inexact ! A la tête du Ballett Frankfurt, William Forsythe s'attache depuis plus de quinze ans à décomposer le - grand - ballet, ses codes et ses rites. Son écriture flirte avec le virtuose et le virtuel - le chorégraphe n'hésitant pas à utiliser des logiciels pour composer ses pièces de danse - autant qu'avec le théâtre dont les textes répondent aux préoccupations des interprètes. Chez Forsythe, la mise en espace devient souvent une mise en abîme au son des partitions de ses auteurs-musiciens fétiches, Thom Willems ou Gavin Bryars. Et fort d'une compagnie qui a dépassé l'idée de hiérarchie interne propre aux institutions du classique pour mieux servir les intérêts d'un propos artistique, William Forsythe peut engager ses danseurs dans un processus créatif qui ne cesse d'enrichir le répertoire du Ballett Frankfurt. Entrant de plain-pied dans le XXIe siècle, William Forsythe nous revient avec un travail visionnaire autour du corps en mouvement.
Ré-inventant les pointes ou dé-construisant la ligne du buste, appréhendant l'abstraction ou défiant la narration, William Forsythe n'est jamais vraiment là où on l'attend. Paris qui le suit depuis plus d'une décennie passe beaucoup de choses à cet enfant prodigue sauf une : son absence. Voici donc - le dernier rendez-vous était au Théâtre National de Chaillot en juin 2001 - que sonne l'heure de ces retrouvailles, avec un programme inédit de William Forsythe et le Ballett Frankfurt à la clef.
Socrate est mort en prison. Sapho, à ce qu’on dit, en se jetant (par amour) du rocher blanc de Leucate . Socrate est ironique à propos de deux choses. Sa beauté (qu’il nomme laideur) et son savoir (ignorance). Pour Sapho, l’ironie est un verbe. Cela la met dans une certaine relation à sa propre vie. Comme c’est passionnant (pense Deneuve) de me regarder tresser cette relation soyeuse et amère ? Les rhéteurs latins ont traduit le mot grec eironia par dissimulatio, ce qui veut dire « masque ». Après tout, pourquoi étudier le passé ? Peut être parce qu’on a envie de le répéter.
Et avec le temps (note Sapho), son propre masque devient son propre visage.
Anne Carson, Irony is not enough : Essay on my life as Catherine Deneuve (2ème ébauche)
Mais à coup sûr, pour le temps présent, qui préfère le signe à la chose signifiée, la copie à l’original, la représentation à la réalité, l’apparence à l’essence… l’illusion seule est sacrée et la vérité profane. Non, la sacralité tend à augmenter dans l’exacte mesure où la vérité décroît et l’illusion croît, de telle sorte que le plus haut degré d’illusion se trouve être aussi le plus haut degré de sacralité.
Feuerbach, préface à la seconde édition de l’Essence du Christianisme
Juste avant d’entrer en prison, Socrate eut une conversation avec ses accusateurs à propos de l’ironie, car c’était la vraie cause de leur malaise, et, tandis qu’il parlait, ils aperçurent une minuscule fumée de désolation s’élever dans sa gorge et s’échapper dans la pièce. La fumée devenait maintenant noire et dégageait une odeur de soufre dans la cendre confuse du soir, seul dérivant parmi la cendre.
Socrate vous êtes un vrai homme, dit Deneuve. Elle ferme son cahier. Enfile son manteau et le boutonne.
Remarquez,
Je suis pareille.
Anne Carson,
Irony is not enough : Essay on my life as Catherine Deneuve (2ème ébauche)
1, Place du Trocadéro 75016 Paris