Homme de théâtre, danseur à l'occasion
Son nom d'Yves-Noël Genod
Rêver son spectacle
Notes d’intention
Yves-Noël Genod est-il culte ? Avant-garde ? Théâtral ? Chorégraphique ? Inclassable ? Tout ceci à la fois, serait-on tenté de répondre tant cette figure de la scène contemporaine actuelle (vingt et un spectacles en cinq ans !) s’amuse à déjouer les pistes habituelles, les fausses comme les vraies. Un fameux programmateur voyant Genod en scène pour la première fois aurait déclaré : « Il est génial mais il va se faire récupérer par le show biz très vite ! ». Il n’en est rien et on se réjouit d’applaudir cet oiseau rare dans le Studio de Chaillot.
Yves-Noël Genod ne vient pas de nulle part. Formé à l’école d’Antoine Vitez, il a croisé les chemins de Claude Régy, François Tanguy ou Julie Brochen. Excusez du peu. Il se définit comme un homme de théâtre qui danse à l’occasion. « J’aimerais changer de nom à chaque fois » avoue Yves-Noël Genod. Arrivé sur le plateau, il apprécie que les idées abondent. Rien de - trop - préconçu : mais rien d’improvisé non plus. L’art sur un fil tendu, équilibriste : c’est du tout Genod.
Il a créé un groupe rock, Saint Augustin, révisé Hamlet, dialogué avec les auteurs Héléna Villovitch ou Nathalie Quintane, mis en scène Le Dispariteur dans l’obscurité la plus totale. Surtout, il a su réunir autour de sa personne fantasque des acteurs-danseurs-amis prêts à beaucoup pour donner à voir son univers d’une élégance décadente.
Yves-Noël Genod à Chaillot, c’est une suite logique. Il y est à sa place et complètement décalé. Et nous promet une création à l’éclat d’un diamant brut. Ou d’une pierre de pacotille. Mais Genod, ça ne se refuse pas. À l’heure où nous achevons d’imprimer ce texte, Yves-Noël Genod ne sait pas de quoi sera faite cette œuvre. Ou le sait trop bien, c’est selon. Le mieux c’est alors d’y aller les yeux fermés. Et de les ouvrir au lever de rideau. Genod est un joyau.
Philippe Noisette
A quelques jours de sa création pour le Studio de Chaillot, Genod l'inclassable, cherche encore. Mais quoi ? « L'idée que je viendrai à Chaillot délivrer directement une parole directe (tel un messie ?), quelle qu'en soit la forme, théâtre, danse, comédiens, amateurs, animaux, piano, artifice, nature, lumière, vidéo, sons... c'est l'essence de mon travail. J'ai fait varier les formes autant que j'ai pu pour tenter de ne mettre en valeur qu'une seule chose - qui bien sûr n'a pas de nom - mais qu'on appelle vulgairement le « fond ». Le fond est toujours le même plus les métamorphoses se déploient. »
Maintenant, après vingt-six spectacles, il y a peut-être un essoufflement dans la création de nouvelles formes, je n'ai plus envie d'épater encore, mais juste de déployer le poème, le plus simplement et le plus directement possible (efficacité) - et donc avec l'humilité qui fait que je m'adresse plus au village qu'au monde - et dans le sens, vous savez, où Duras disait : « Il y eut un soir, il y eut un matin... » Qu’est-ce qu'on peut écrire de mieux ? » Autant dire que Yves - Noël Genod - et ses invités car il y en aura - débarrassé de ses peaux successive de mondain, performer, poète, funambule et autre se présentera dans l'absolu vérité de son art. Ou de ses artifices. A prendre ou à laisser.
« Bien à vous, à tout de suite » comme le dit Yves-Noël.
Philippe Noisette, mars 2009
Mise en scène et scénographie : Yves-Noël Genod
Musique originale : Pierre Courcelle
Installation lumières : Sylvie Mélis
Installation son :
Erik Billabert
J’ai beaucoup de chance : je suis quelqu’un à qui on permet de rêver son spectacle. On me fait assez confiance pour me dire : « Vas-y, fais quelque chose sur… ce que tu veux ! » Depuis six ans, c’est le luxe dans lequel je vis (et qui a bouleversé ma vie). Le luxe, certes, d’être passé du statut d’interprète à celui d’auteur mais le luxe d’une extrême liberté. Et j’ai peut-être la prétention (l’orgueil) de vivre cette liberté non pas comme une carte blanche, mais comme une commande.
J’essaie toujours de faire mes spectacles les plus vastes possible. Je me souviens que Robert Bresson qui avait appelé son – dernier, je crois – film L’Argent avait dit : « J’aurais aimé que le titre soit plus vaste encore, plus général. » Oui, parce que si on ne parle pas de tout, on ne parle de rien. Ce n’est pas qu’on ne puisse pas faire un spectacle sur un thème. Mais les thèmes, moi, ils me tombent dessus. Ils ne se décident pas dans les instances raisonnables de mon cerveau (mais dans l’obscurité qui me relie au monde).
À la vitesse où vont les choses, dans nos sociétés équilibristes, et même à un niveau personnel (ce dont tout le monde fait l’expérience) : à la vitesse où la mort fond sur vous, je crois qu’il ne faut pas juste une chose : se mentir (si on le peut). Il y a des gens incroyablement plus intelligents que moi, plus sensibles et qui ont plus de coeur et – partout ! – mais, moi, je peux dire, comme tout le monde le peut : « Faible, certes, mais je ne mens pas. » Je n’ai rien de comparable à Maria Callas, évidemment, mais je comprends que je peux dire comme Maria Callas : « Si les gens m’aiment, c’est parce que je ne triche jamais. »
Est-ce que les gens vont m’aimer à Chaillot ? Je leur dirai : « Ce que vous voyez, ce n’est pas moi ou ce n’est que moi, mais ça vous intéresse parce que je me présente à vous sans tricher. » Toute l’astuce, c’est de repérer ce qui risque de vous faire tricher (le plancher qui grince, etc.) Tricher, c’est chuter. Et puis de supprimer la peur. Vaste programme – mais seul programme – au théâtre (selon Klaus Michael Grüber). Je propose des expériences poétiques. C’est pourquoi ces expériences ne peuvent pas être préméditées. Elles ne peuvent pas être communiquées à l’avance.
Mes spectacles parlent de l’expérience. S’ils parlent de quelque chose. Ils parlent de l’expérience d’être en vie. Et ils sont très contextualisés. Car, la vie, c’est aussi simple que la vie maintenant. Il y a un titre de Leslie Kaplan qui dit : Depuis maintenant. Si vous voulez, j’utilise les moyens du spectacle – et tout me plaît dans le spectacle – pour, en vue de, susciter une expérience d’un ordre poétique – ou amoureux, c’est pareil – chez le spectateur. C’est-à-dire qu’en cela, je ne veux pas qu’un spectacle soit différent de la vie. Dans la vie, l’expérience peut surgir d’un moment à l’autre. Je veux que cette possibilité soit toujours présente dans le spectacle. C’est cela que j’appelle ne pas tricher. Autrement dit, cela implique une attitude pour ceux qui sont en scène : y croire et ne pas y croire. C’est l’attitude des stars, en général. C’est pour ça que les acteurs aiment travailler avec moi, c’est parce que je les considère comme des étoiles et que je leur donne cette liberté de faire ce qu’ils veulent, l’essentiel n’étant pas dans le faire.
Nous disons tous la même chose, charcutiers, juges, écrivains ou assassins… Nous ressentons tous l’essentiel des choses de la même manière – sauf, peut-être, les astrophysiciens qui en savent plus long, qui savent des choses que nous ne voulons pas savoir, si accrochés que nous sommes à notre terroir boueux. Et puis aussi quelques visionnaires parmi les âges… ceux qu’on appelle justement les artistes. Mais, quant au gros de la troupe, les contemporains vivants, nous sommes tous sur le même bateau – et c’est ça qui est quand même sidérant à notre époque : nous nous sommes tous mis ensemble sur le même bateau, comme on dit mettre toutes ses billes dans le même sac : si nous disparaissons, c’est tout le monde ! Quel risque merveilleux ! À partir de là, il n’est plus temps de faire trop d’histoires… Mais embarqués ensemble, il y a quelque chose de particulier que nous pouvons ressentir au théâtre, nous pouvons ressentir cet embarquement désastreux (la fuite en avant) et ce qui pourrait nous sauver. Et que je nomme maladroitement l’expérience. Non pas des idées sur la chose, mais la chose elle-même. Je sais : c’est très baba, ce que je dis. Ça peut avoir le style baba, j’adore. N’importe quel style est le mien. N’importe quelle forme.
Je suis comme un
acteur, vous voulez que je joue un homosexuel, vous voulez que je joue un paysan, un
politicien, un philosophe, un noir, un amoureux, une femme, un pauvre type ou un riche ? Mes
spectacles sont à l’image des multiples facettes que voudrait interpréter un acteur. Ils
changent, ce sont des interprétations. Un film, une pièce. Ils sont aussi, c’est essentiel, des
collaborations. Ils naissent de ces collaborations. Coco Chanel disait quand on lui demandait
comment allait être sa prochaine collection : « Comment voulez-vous que je le sache ? Je fais
mes robes sur les mannequins. » Je fais mes spectacles, les spectacles que je signe, sur les
acteurs, mais aussi en collaboration avec eux, avec les vidéastes, les auteurs, etc. – et surtout
en collaboration avec le public qui me fait la grâce de m’accueillir en son sein, en son temple.
Les théâtres, pour moi, sont toujours les maisons du public. Je suis chez lui. C’est lui qui crée. C’est par lui que je comprends le sens de ce que je fais. C’est lui qui décide ou pas de ce qu’il lui reste. C’est lui vit. Cette liberté que je donne au public, cette responsabilité, provoque aussi bien des passions que des rejets, j’accepte tout. Comment faire autrement ? Les malentendus sont curieux, ils m’étonnent toujours (mais ne me surprennent pas) et, quand, en revanche, la beauté surgit dans le coeur des gens, j’en suis bouleversé, mais au fond, je trouve ça tout à fait normal car je suis aussi, moi-même, le contemplatif de ce que « je » fais, plus que l’acteur. De ce qui a été fait, disons.
Si je ne nomme pas d’avance les collaborateurs avec qui je travaille, c’est par une forte superstition, je l’avoue, et, plus sérieusement, pour nous laisser libres de travailler et de « nous trouver ». Est-ce qu’on demande à un écrivain de dire ce sur quoi il écrit avant qu’il ait écrit le livre ? Non… Écrire ça ne veut pas dire raconter ce qu’on fait. Les journalistes parlent du livre parce qu’ils l’ont lu parce qu’il a été fini ou presque et que la maison d’édition leur en a envoyé un exemplaire. (Ils parlent d’un livre, en un sens, qu’ils écrivent eux-mêmes.) On m’a beaucoup humilié à me demander un titre de spectacle par avance. Maintenant je suis assez connu pour que les gens ne me le demandent plus, au restaurant on me place sans problème. Je fais des spectacles sans argent. Ou avec très peu. Mais ça aussi, c’est un choix, c’est la liberté du pauvre. Si j’avais de l’argent, je veux dire, pas d’un mécène évidemment, mais de l’une et l’autre de ces multiples instances culturelles qui sont susceptibles de vous en donner un peu (ou beaucoup) si on passe sa vie à remplir des formulaires, voyez-vous, je ne serais plus libre et ce ne serait plus la peine de faire les spectacles que je fais, je ferais ceux des autres – et je crois que les autres n’ont pas besoin de moin, d’après ce que je vois… Je n’ai rien contre personne « …mais en poète, l’homme / Habite sur cette terre… » (Hölderlin). Ça n’enlève rien des mérites multiples de la «vie culturelle », passionnante, mais l’art, pour moi, c’est autre chose. C’est plus simple, plus direct, moins négocié, moins tortueux, ça passe pas par les instances, aussi « bien intentionnées » soient-elles… Non. J’en paye le prix, mais : non. (J’en suis la preuve.)
Être un écrivain, je prends l’exemple de l’écrivain, mais c’est « auteur » que je veux dire, c’est croire que ce que l’on ressent peut être ressenti par tout le monde, ce que l’on ressent sera – par cette opération justement de l’écriture ou de la création en général – ressenti personnellement d’égale manière, c'est-à-dire intérieurement, sinon par tout le monde, par ceux qui liront le livre ou le vivront. C’est votre vie qui défile, si vous pleurez ce sont vos larmes, ou vos rires…
Yves-Noël Genod
Ce que nous avons fait là, c'est le résultat du mélange de deux projets - de trois, même. Le
premier projet est celui déposé à la DRAC danse Ile-de-France et qui a été retenu, il s'agit d'un "ballet de SDF". Le second projet qui a reçu l'aide du Centre National du Théâtre, c'est la pièce
de Charles Torris et de Nathalie Quintane, Blektre. Quant au projet originel de Chaillot, celui
que m'a proposé Dominique Hervieu, celui d'un solo, il n'en est resté que le titre : Yves-Noël
Genod.
Je voudrais particulièrement remercier les artistes qui ont travaillé avec moi, dans une collaboration particulièrement intense et aidée par la formidable infrastructure du Théâtre de Chaillot : Sylvie Mélis, Eric Billabert, Pierre Courcelle. Et, bien entendu, les acteurs – que vous découvrirez.
Yves Noël Genod
- Français, Françaises
Je souhaite créer un ballet au Studio de Chaillot. Pour en résumer l’argument, il s’agit pour moi de mettre en scène des acteurs et des danseurs qui évolueront tels des personnages abîmés et exclus, des SDF, des clochards. Dans Français, Françaises, les clochards se mettent à danser, meurent et ressuscitent. Ils sont traversés par des fulgurances de textes visionnaires (Rimbaud, etc.) et d’éclats révolutionnaires (La Mort de Danton). La musique intervient. Certaines parties sont chantées.
Il s’agit d’une oeuvre artistique, qui ne remet bien sûr pas en cause le travail effectué par des associations telles que Les Enfants de Don Quichotte. Lorsque je vois, comme il y a quelques jours, un clochard allongé sur le trottoir de la rue de Rivoli, le corps relâché, indifférent à l’incongruité de sa présence au milieu des gens autour de lui, ce qui m’interpelle chez cette personne est avant tout son humanité. Une humanité archaïque que je perçois aussi, par exemple, lorsque les vacanciers retirent leurs vêtements au bord de l’océan ; la nudité n’est plus un problème. Je veux travailler sur l’essence de l’être humain, sa beauté. Explorer non pas la folie ou la maladie, mais l’humanité.
La danse, pour moi, est l’équivalent du bonheur d’être en vie. Et pourtant, on peut danser une matière lourde et lente. Un vieillard ou un nouveau-né peuvent danser. Je veux travailler la danse à partir d’états, dans la ligne de Catherine Diverrès.
L’espace scénique qui m’est offert par le Studio de Chaillot compte pour beaucoup dans l’inspiration de ce spectacle. Au coeur d’un lieu prestigieux, cette salle en évoque les basfonds ; une cave, un bunker. Je n’ai pas souhaité en modifier l’espace ni les revêtements. J’en ai simplement retiré les gradins, de telle manière que les spectateurs s’installent où ils le désirent. Qui contre un mur, qui au beau milieu du travail des danseurs. Entre deux« personnes de la ville », un danseur allongé, comme mort, ressuscite et s’anime... La fracture du rideau représente le déchirement d’une illusion. Le spectateur est immergé dans le décor, devient le décor d’un ballet fantomatique.
Le spectateur atteint un état de perception lié à son humanité essentielle. C’est l’ouverture vers un renversement des valeurs, à la fois en deçà et au-delà de la société régnante.
Yves-Noël Genod (propos recueillis par Hélèna Villovitch)
- Blektre
Blektre est un spectacle créé par Yves-Noël Genod à l’occasion du festival ActOral en octobre 2007 à Montévidéo, le centre des écritures contemporaines codirigé par Hubert Colas à Marseille ; puis repris à Paris pour ActOral Paris et Bruxelles pour Charleroi-danse. Sur une scène vaste traînent toutes sortes de vêtements, accessoires de théâtre et objets non identifiés divers. Le texte de Nathalie Quintane a été préalablement enregistré, comme la répétition nonchalante d’une pièce radiophonique, que les acteurs articulent sur scène, plus ou moins en play-back. Ils semblent improviser des séquences, se dénudant, enfilant des vêtements au hasard, des masques, construisant des bribes de scènes.
Chaque situation est à la fois ironisée et traversée de mille autres séquences diverses, au gré des objets ou des agencements du moment : l’image de soi et l’image de théâtre ne valent ici pas mieux que les situations sociales ou affectives des personnages du jeu. (…) C’est un théâtre tout entier potentiel, offert, et dans le même temps un théâtre du désoeuvrement comme puissance nuisible à tout ce qui s’oppose à la vie, à l’imaginaire et à la libre rencontre des corps, des rêves et des idées.
Ainsi cette scène théâtrale à l’ironie dégagée ne surenchérit pas ses enjeux et laisse au contraire le spectateur se construire ses propres images ; nulle tentation de mieux dire qu’un autre, nulle propension à énoncer à son tour un discours castrateur : au contraire, mise à disposition de tous d’un matériel brut à investir, tiré d’un regard clairvoyant sur le réel. Avec une légèreté inouïe et heureuse, le regard lucide et cruel de Torris trouve son expression dans la langue féroce et précise de Quintane, et ses images dans le théâtre détaché, ouvert et en apparence désinvolte de Genod : grandeur et décadence de la vie moderne.
Eric Vautrin
1, Place du Trocadéro 75016 Paris