A quoi peut ressembler une chorégraphie de Marie Chouinard lorsqu’elle revient à l’objet tant détesté de son enfance : la danse classique ? La Montréalaise assène tout simplement une oeuvre magistrale, créée à l’occasion de la Biennale de Venise en 2005.
Dans cette fascination/répulsion pour la discipline pétrie de conventions, symbolisée par la musique de Bach et les “pointes” des danseurs, Marie Chouinard concilie recherche formelle et pur plaisir de danse. Plaisir pour les spectateurs, surtout, car un appareillage de prothèses en tous genres bride, torture les mouvements des dix interprètes en un “bondage” sophistiqué. Mais ces prothèses, béquilles collés au front, au bas du dos et vissées au bras, ces déambulateurs, rendent d’autres mouvements possibles.
Le corps, garni de ces appendices qui poussent chair contre métal, devient comme intelligent, s’érotise jusqu’à l’incandescence sur la version magnifiquement “handicapée” des Variations Goldberg subtilement retravaillée par Louis Dufort. La partition de Jean-Sébastien Bach est découpée et remodelée et des extraits d’entretiens de Glenn Gould, l’emblématique interprète de l’oeuvre, y sont ajoutés.
Dans bODY_rEMIX, la lacune et la prolongation, la virtuosité et la contrainte animent singulièrement une danse étrange et fascinante. L’oeuvre contourne ce qui est “beau” et “achevé”, pour trouver d’autres locomotions et d’autres sens à un corps ré-architecturé, fantasmé et insolite : une alternative au vivant, prêt finalement à toutes les reconstructions, toutes les mutations pour plonger dans le désir.
Avec tous les danseurs de la Compagnie Marie Chouinard.
“Ecouter attentivement la pulsion vitale du corps jusqu’à la cristalliser en un ordre nouveau”. La chorégraphe Marie Chouinard tend l’oreille à l’inaudible de la danse, là où le regard s’absente. Depuis son premier solo Cristallisation créé en 1978, chaque chorégraphie semble un retour à ce moment où l’énergie vitale et sa cristallisation deviennent contiguës, visibles en l’autre. Moment aussi où l’agencement de la matière symétriquement ordonné semble se suspendre dans le temps.
bODY-rEMIX revient là où
le corps du danseur ou de
la danseuse doit se faire, se
marteler dansla chair avec
ses pointes à la barre.
Moment étrange que ce
XVIIe siècle qui voit le ballet
classique devenir en France
et en Europe le modèle du
maintien. Cette verticalité
du corps par la galanterie
trouve sa grandeur dans le
déploiement des
salutations. En Allemagne
au même moment, la
musique de Jean-Sébastien
Bach dans sa droiture face à
Dieu s’illustre par un désir
forcené d’horizontalité.
Exercice à la barre, exercice
de piano appartiennent
l’un et l’autre à la même
culture de la discipline de
l’oubli de soi. Marie
Chouinard remixe ce corps
en lui adjoignant des
prothèses et des béquilles.
Elle entrave le corps, le
déséquilibre, le pousse
hors de ses gonds, le
réinvente.
La reconnaissance de la Compagnie Marie Chouinard à travers le monde est le fruit d’un travail entamé il y a vingt-huit ans par l’artiste montréalaise Marie Chouinard. Si la compagnie est aujourd’hui acclamée sur les scènes du monde entier et dans les plus grands festivals internationaux, son histoire débute en fait dès 1978 alors que Marie Chouinard, la soliste, présente sa première création : Cristallisation. Le spectacle, qui la consacre sur-le-champ comme une créatrice unique, sera suivi de quelque cinquante chorégraphies, actions-performances, oeuvres vocales, installations et films, où s’affirme et s’affine un intérêt indéfectible pour le corps humain et la recherche formelle. De 1978 à 1990, Marie Chouinard évoluera seule sur toutes les scènes du monde, développant un langage personnel aux résonances universelles.
Elle fonde la Compagnie Marie Chouinard en 1990. Dans la douzaine d’oeuvres qu’elle a depuis signées, la chorégraphe explore une poétique du corps, intelligible et immédiate, toujoursétonnante. Chaque nouvelle oeuvre offre une odyssée à travers l’histoire de l’humanité, sans jamais utiliser l’historique ou la linéarité d’un récit. Un effet théâtral et quasi opératique est achevé dans un dépouillement complet ; les particularités de l’”art vivant” y sont exacerbées à chaque fois, par diverses techniques de composition et de mise en scène. Le danseur y est présenté comme une singularité, un être en construction devant nous, dont les rythmiques sont détaillées en de microdivisions, selon des fluctuations propres à la communication verbale. Si une provocation est perçue, elle est plutôt un chemin vers la liberté et la compassion, l’humour est possible, Éros est omniprésent.
L’architecture du cosmos, l’intelligence intime du corps et la complexité inépuisable de ses articulations et de ses mutations se répondent dans des constructions formellement achevées, où le fond et la forme sont en résonance.
Le 29 janvier 2007, la compagnie se voit attribué une subvention de 1,2 millions de dollars pour lui permettre l’acquisition et la construction d’un nouveau centre chorégraphique en plein coeur de Montréal.
20, boulevard de Gabès 13008 Marseille