La Friche La Belle de Mai a le nom de son quartier : la Belle de Mai (IIIe arrondissement). Mais son histoire commence en 1990, dans un autre quartier de Marseille. En connivence avec Christian Poitevin, alors adjoint délégué à la culture, Philippe Foulquié et Alain Fourneau, respectivement directeur du Théâtre Massalia et du Théâtre des Bernardines, investissent une ancienne graineterie du Boulevard Magallon, dans le XVe arrondissement.
La volonté de conquérir de nouveaux territoires de création est certes une aventure, mais elle repose sur des constats très pragmatiques. Il s’agit de poser autrement les enjeux de production et pour ce faire de dégager de l’espace et du temps pour les artistes. La nécessité est, et restera, artistique. C’est elle et elle seule qui impulse les processus de transformation du lieu. Ce dernier sera donc "libre, souple et ouvert", toujours à redéfinir en fonction des projets et de leurs évolutions.
La Friche ne dérogera plus à ces principes, et les fixera même en 1990 dans les statuts de l’association Système Friche Théâtre créée pour gérer et développer le projet.
En mai 1992, l’association déménage et investit 45 000 m2 dans l’ancienne Manufacture des Tabacs de la Belle de Mai. Un site immense que la crise économique a déconnecté de son environnement. Comment ré-ancrer ce morceau de ville dans la cité ?
La transversalité artistique et le mélange des publics seront la pelle et la pioche d’une longue opération de "bouturage". Cultiver un territoire est une entreprise délicate : à l’image de la nature qui progresse dans l’instabilité et l’imprévu, rien ne doit être figé. SFT s’engage donc à bâtir des cadres qui n’enferment pas. En ce sens, le premier projet structurant initié par la Friche La Belle de Mai est hautement symbolique. Il est porté par Armand Gatti qui en 1993, huit mois durant, réunit 80 stagiaires pour offrir à la cité toute entière une épopée poétique : "Marseille Adam quoi ?".
Au fil des mois, d’autres producteurs, opérateurs ou médiateurs sont venus rejoindre le projet Friche. Cette multiplicité de regards de gestes et d’actions ne vise pas à la dispersion. Au contraire, l’accumulation d’énergies favorise l’émergence et l’avènement de la parole d’artiste, mais dans un lien toujours plus fort avec le contexte, donc la société. Cette relation, pour ne pas être conceptuelle ou virtuelle, doit fortement s’enraciner dans la ville. Paul Virilio a brillamment théorisé cette nécessité vitale de prendre corps dans un territoire, dans un "milieu". Le philosophe envisage justement les friches comme "des tentatives de re-territorialisation, de retour à l’espace réel", en réponse "à la tyrannie du temps réel, virtuel et mondialisé".
C’est avec un autre penseur, Jean Nouvel, architecte, que la Friche élabore, en 1995, un Projet Culturel pour un Projet Urbain. La présidence de Jean Nouvel permet d’imposer l’idée de la permanence artistique comme agent indispensable du développement urbain. Concrètement, la Friche est rattachée au périmètre Euroméditerranée, la Ville de Marseille devient propriétaire des lieux. Mais cette reconnaissance ne va jamais de soi. La culture fabrique du lien social et génère de l’économie pour autant, il n’est pas question de dépouiller la dimension artistique de ses qualités propres.
En 2001/2002, la mise en œuvre sur le site d’un pôle patrimonial et institutionnel d’un côté et d’un pôle économique en 2004 de l’autre, conduit SFT à réaffirmer le besoin de contenu. Le "sensible" est la matière première de tout objet culturel. Sans lui pas d’imaginaire, juste un univers peut-être rentable et fonctionnel, mais désincarné. Or, quelle que soit la forme artistique, elle procède toujours d’une écriture. L’écriture est le corps de la pensée, dans la langue ou le geste, peu importe. La figure de l’auteur, dans le prolongement de celle du producteur, apparaît alors comme le moteur essentiel pour inscrire la culture dans un paysage économique qui aimerait bien se formuler sans elle. Le troisième "îlot" se définira, donc, en 2002, dans le frottement aux deux autres, en tant que pôle d’auteurs.
Le choix de Robert Guédiguian à la présidence de SFT est alors sans équivoque : le cinéma, à la fois industrie et art, représente ce rapport à l’économie, mais, dans le même temps, il permet de révéler la notion d’auteur et fait valoir l’écriture comme fondement du geste artistique. La Friche définie comme page d’écritures plurielles n’est plus une simple métaphore. C’est, pour les années à venir, une hypothèse vivante.
A la fois site industriel et aventure culturelle, la Friche invente en avançant. Il s’y joue un rapport complexe entre une indispensable structuration et la nécessité qu’elle laisse toujours place à une part, fondamentale, d’indétermination.
On comprendra donc que ce qui définit la Friche, c’est le principe de l’écriture. Des écritures multiples qui se forment au fil des projets, des intuitions et des convictions.
Il nous faut donc poursuivre un développement dans un cadre qui continue de permettre l’indéfinition, qui ouvre d’autres champs de formulations et qui conforte ce que nous avons pu découvrir, inventer, fonder.
Si l’heure est toujours aux explorations et aux développements, notre dynamique et notre justification restent sociales. Il faut cultiver dans la Friche sa capacité à exciter les curieux : pour avoir de la vie, il faut des lieux vivants, libres, souples, ouverts.
Philippe Foulquié, directeur
"L’artiste, la ville, sa ville" : les principes fondateurs du projet Friche sont contenus dans la juxtaposition de ces trois mots. Depuis 12 ans, la Friche accumule ainsi les hypothèses et tentatives d’artistes.
Et le solde est largement positif : 180 partenariats internationaux, 500 événements annuels, 45 000 M2 d’espaces de travail, près de 60 structures professionnelles installées, 400 personnes en activité quotidienne, 1000 artistes présents chaque année, 30 000 heures de formation, 105 000 visiteurs et public par an...
La Friche est un espace de [recherche, de production et de diffusion entièrement dédié à la création contemporaine sous toutes ces formes : spectacle vivant (théâtre, danse, cirque, arts de la rue...), arts visuels et arts numériques, musique, cinéma... Un terrain ouvert d’explorations, de croisements et d’expressions, autant pour les artistes que pour les publics.
Avec la volonté de réinscrire l’artiste au cœur de la ville, Système Friche Théâtre revendique la nécessité politique et sociale de la permanence de l’activité artistique. Cette présence, outre la production d’imaginaire et de questionnements philosophiques, se révèle être aussi un fantastique vecteur de développement économique déterminant.
41, rue Jobin 13003 Marseille