Les dates importantes du Théâtre de Proposition
Les missions du Théâtre de proposition
Parfum de scandale
Les dates importantes du Théâtre de Proposition
3 Mai 1994 : Inauguration
Printemps 1995 : Révélation de la metteur-en-scène Stéphanie Chévara pour " Des jours entiers, des nuits entières " de X. Durringer et de Julien Téphany pour " Le Belvédère " de H. Von Horvath. Ils sont depuis subventionnés par la DRAC-Ile de France.
Hiver 95/96 : Accueil du T.E.P (Guy Rétoré met en scène " Le Oui de Malcolm Moore " au Théâtre de Proposition), de l’Entreprise de François Cervantès ( " Le Sixième Jour " ) et de Pierre-Antoine Villemaine (spectacle autour du Journal de Kafka repris à la Cartoucherie au Théâtre de la Tempête).
Printemps 1996 : Le seuil des 10.000 spectateurs est dépassé.
Eté 1996 : Obtention d’une aide à l’équipement de la D.T.S. Travaux d’amélioration du Théâtre en Juillet, Août et Septembre.
Oct.-Nov. 1996 : Accueil d’une compagnie d’artistes algériens en exil. Succès de la pièce " Un couteau dans le soleil " mise en scène par Hamida Aït El Hadj, prolongation puis reprise à l’Echangeur à Bagnolet.
Janvier 1996 : Première mondiale de " Astoria " de Jura Soyfer, mise en scène d’Eric Auvray avec le soutien de l’Institut Autrichien.
Février 1997 : Première " création-maison " : " Fatima-en-France " de Nora Boublil, mise en scène de Stéphan Boublil. Publication du texte aux Editions de L’Harmattan. Le seuil des 20.000 spectateurs est atteint.
Juin 1997 : Participation au " Festival Onze " et présentation dans ce cadre d’un récital Brecht/Weill par Laurent Viel, de " Dissonnances " de Michel Azama, de " Lorenzo ou la liberté d’Hélène " de Bertrand-Marie Flourez et de " l’Escale " de Philippe Chapet et Virginie Baes.
Les mission du Théâtre de Proposition
Depuis son ouverture, le Théâtre de Proposition s’est fixé plusieurs missions :
1 - Défendre l’écriture contemporaine. Ecritures présentées : X. Durringer, F. Gallaire, Nora Boublil, D. Soulier, V. Havel, X. Bouygues, J. Soyfer. Mises en espaces de textes d’auteurs soutenus par l’association Beaumarchais dans le cadre du " Festival Auteurs contemporains vivants : de l’écrit à la scène " . A noter que plusieurs des textes des pièces jouées au Théâtre de Proposition ont été éditées à l’Avant-Scène, aux Editions de l’Harmattan et aux Editions Théâtrales.
Notre mission : révéler des auteurs, des metteurs en scène et des acteurs.
Notre rôle : rendre visible le travail des compagnies.
Dès la saison prochaine nous organiserons une manifestation intitulée " Nouvelles d’auteurs " dans le but de promouvoir les auteurs vivants.
2 - Présenter des pièces méconnues du répertoire classique. Pièces présentées depuis 1994 : " Shéhérazade " de Jules Supervielle, " Le Bon Roi Dagobert " d’Alfred Jarry, " Gringoire " de Théodore de Banville et " Le Mal Court " d’Audiberti.
3 - Accueillir en résidence metteurs en scène et auteurs. Saison 1995/1996 : recherche expérimentale menée par Pierre-Antoine Villemaine autour du Journal de Kafka et plus précisemment de l’année 1922.
Entrée libre. Travail repris à La Cartoucherie chez Philippe Adrien. Saison 1996/1997 : commande à Xavier Bouygues d’une pièce sur Toulouse-Lautrec. Participation du public à la progression de ce travail d’écriture. Spectacle présenté en mai pour 30 représentations.
4 - Développer des actions de sensibilisation pour un public de proximité Communication de proximité : 11ème 12ème et 20ème arrondissements. Statistiques élaborées à partir de nos fichiers : 34,4% de nos spectateurs parisiens habitent dans ces 3 arrondissements, qui représentent 21,76% de la population parisienne. Participation au Festival " Les 11 jours du 11ème " organisé par l’association 11ème Événement. Entrée libre pour tous les spectacles du festival. Objectif : aller à la rencontre d’un nouveau public qui n’ a pas forcément l’opportunité d’assister à des spectacles.
5 - Développer des actions de sensibilisation pour le jeune public. Dans la limite des places disponibles : gratuité pour les -de 15 ans ; tarif de 20 Francs pour les 15-18 ans. Volonté de développer des relations privilégiées avec collèges et lycées dont les jeunes élèves nous semblent constituer le public de demain. Saison 98/99 : projet d’éducation théâtrale. Une fois par mois, un public sans " habitudes théâtrales " aura la possibilité de se confronter à la pratique théâtrale.
6 - Former. Le Théâtre de Proposition héberge l’Ecole Internationale du Théâtre (E.I.T), Formation quotidienne d’un groupe de 10 élèves acteurs. Deux fois l’an, présentation des travaux d’ateliers sous la direction de metteurs en scène reconnus : Maria Zachenska, Eric Da Silva, Josanne Rousseau,
Jean-Baptiste Roussillon... Ce choix volontaire d’un petit nombre d’élèves tient au désir de suivre un groupe jusqu’à son insertion dans le circuit professionnel (trois des élèves-acteurs de l’E.I.T. et deux du cours Florent ont fait partie de la distribution de " Fatima-en-France " ).
Parfum de scandale
bienvenue dans l’arène du théâtre
Aridité d’un théâtre deserté
L’économie de marché
La valse de la mauvaise foi
Chronologie
bienvenue dans l’arène du théâtre
Maxime : Plus les gens s’appellent " cher ami " , se papouillent et se tripotent, plus ils se tirent dans les pattes. Ou la loi de : " l’amitié entre les êtres est inversement proportionnelle à l’étalage de leur proximité verbale et physique " .
L’Etat a bien compris cela, et s’en sert.
Tableau de famille (dressé à grands traits, et avec la conscience aiguë que les exceptions existent, bien heureusement) : dans le milieu du théâtre, les inimitiés naissent dès la fréquentation des premiers cours, et s’aiguisent au moment des concours, divisant les jeunes comédiens entre ceux qui " passent le consss " et les autres. Il y a ensuite ceux qui passent le premier tour, et ceux qui échouent. A peine plus tard, la " dure loi des concours " créera le fossé infranchissable, entre ceux qui sont finalement admis, les énarques du théâtre, et le reste du monde. Le système élitaire français impose sa loi jusque dans l’éducation artistique.
Les bonnes relations ne sont pas pour s’améliorer par la suite. Les artistes se fédèrent en compagnies, dont la plupart se détestent cordialement, frères ennemis cherchant la reconnaissance et le soutien des pères. Rien d’étonnant à celà : elles réalisent suffisamment vite que toute compagnie sur le marché des subventions est un concurrent qui risque de s’approprier les quelques subsides convoités, les " partenaires financiers " du théâtre n’ayant " pas assez d’argent pour tout le monde " .
Puis viennent les guerres claniques. Les compagnies et les petits lieux de diffusion se voient condamnés à travailler ensemble dans un système théâtral cloisonné (globalement, les Institutions fonctionnent en réseau, et les compagnies sans relations ni argent, quelle que soit la qualité de leur travail, si elles veulent faire voir leurs créations dans la capitale, ne trouvent tribune que dans les petits théâtres privés, privés eux aussi de relations et de moyens de subsistance). Les conditions dans lesquelles œuvrent les uns et les autres rendent difficiles les relations humaines. Chacun travaillant au centime près, c’est à une guerre incessante qu’il faut se livrer afin de ne pas encourir un déficit irrémédiable pour les compagnies, de ne pas mettre la clé sous la porte pour les théâtres. Ce n’est pourtant pas la bonne volonté qui manque. Mais une méfiance s’est instaurée, et les responsables des institutions semblent prendre un malin plaisir à jouer les clivages, comme pour trouver un bon prétexte à leur inertie : " Que ces gens commencent par s’entendre, qu’ils arrêtent de s’entre-tuer, et nous accepterons peut-être alors d’intervenir " . Et pas question d’y mettre bon ordre : " Il n’existe pas de solidarité entre les professionnels de la profession. Je ne les comprends pas, et je crois bien que je partirai d’ici sans les avoir compris " avoue Dominique Chavigny (Conseiller technique auprès de Catherine Trautmann) au Directeur du Théâtre de Proposition, comme s’il s’agissait là d’une fatalité presque amusante. On aurait même parfois l’impression que nos responsables culturels cherchent à décrédibiliser les gêneurs pour nommer à leur places des hommes plus proches de leurs idées.
Sans parler des bisbilles chez les fonctionnaires de la culture. Lorsque, pour une raison ou pour une autre, ils se laissent aller aux confidences, on apprend par l’un que la DRAC* ne s’intéresse pas aux projets suivis, même de façon informelle, par les responsables de la DMDTS** (voire les refuse systématiquement)... puis un autre nous explique que c’est une très mauvaise idée de s’adresser directement à ceux qui attribuent les budgets au lieu de suivre la procédure hiérarchique traditionnelle, car il existe des guerres intestines et des luttes de pouvoir qu’on ne maîtrise pas lorsqu’on ne fait pas partie des bureaux. On pourrait légitimement s’attendre à ce que ces donneurs de leçons s’efforcent plutôt de donner l’exemple... Retour
La monotonie s’est installée dans la plupart de nos grands théâtres. La grisaille de notre société " en crise " aurait-elle à ce point perverti la sensibilité de nos créateurs ? Sans nul doute l’explication est ailleurs.
L’uniformisation, là aussi, commence " à la base " . Dans les écoles de l’élite (Conservatoire National, TNS…) les professeurs, comédiens ou metteurs en scène en vue, enseignent leurs formes de prédilection : ils assoient ainsi leur propre pratique, confortent leur autorité, et entretiennent sans le vouloir un théâtre un peu poussiéreux. Comme ailleurs, mais un peu plus qu’ailleurs, la loi des relations sévit. Ce sont ces élèves, qui ont pu tisser des liens avec les hommes du milieu, qu’on retrouvera le plus rapidement sur les scènes publiques. Les Directeurs de ces lieux s’en cachent à peine : " Je dirige Chaillot parce que c’est un honneur. Je dirige Chaillot pour faire des spectacles que j’ai envie de faire. Et je dirige Chaillot pour faire travailler des copains " , explique Jérôme Savary dans une interview accordée au Journal du théâtre.
Une fois dans le réseau, les artistes passent d’un théâtre à l’autre, car les scènes publiques " s’approvisionnent " en créateurs les unes chez les autres : le label " coproduction " sert de garant, et les responsables de programmation de nos grands théâtres se déplacent essentiellement pour voir des spectacles qui ont déjà retenu l’intérêt de leur famille. Sans complexe, certains affichent leur position. Ainsi Stanislas Nordey dans Utopia : " Je ne suis jamais allé dans les trois quarts de tous ces théâtres qui sont dans le Pariscope. Le problème de ces théâtres privés, c’est qu’ils n’ont pas de ligne artistique.Quand je vais au théâtre de la Cité Internationale, j’y vais presque les yeux fermés. " On est atterré devant un tel parti-pris : comment peut-on juger de la ligne artisique de théâtres dans lesquels on ne met pas les pieds ? N’oublions pas, au passage, que les pièces qui s’exportent le mieux aujourd’hui sont des pièces issues du privé (Yasmina Reza, Eric-Emmanuel Schmitt, …) et que nos plus grands dramaturges ont été révélés par le théâtre privé (Beckett, Guitry, …). Les mêmes se permettent ensuite de donner des leçons aux journalistes " Je dis à la
Presse : ‘’votre premier travail devrait être un travail de découvreur et de défricheur, travail que vous ne faites pas’’ " (ibid).
Comme si ce régime de faveur ne suffisait pas, les responsables culturels des collectivités territoriales et de l’Etat apportent trop souvent leur caution aux mêmes spectacles, aux mêmes artistes. Dans la profusion de travaux qui sont présentés sur les scènes parisiennes, ils ne savent plus où donner de la tête et, peut-être par crainte de se tromper, ils préfèrent suivre le mouvement. Les Directeurs des théâtres publics de banlieue leur en sont
gré : " Catherine Trautmann est un ministre sans paillettes et sans tape à l’oeil. Elle m’a plutôt conforté dans mes choix. Créteil, c’était 4000 abonnés en 1993 et 5770 en 1997. " (Didier fusillier, Directeur de la Maison des Arts et de la Culture de Créteil).
C’est au tour des journalistes. La morgue et la mauvaise foi sont en trop, mais reconnaissons avec Stanislas Nordey qu’ils manquent souvent à leur devoir : contraints par leur rédaction de " couvrir l’événement " , sous prétexte que " c’est ce que le public attend " , ils consacrent tout l’ " espace " à parler des pièces dont on parle, peu soucieux de la redondance, et confirment les institutions dans leurs choix. Signalons pour information, et sans aller jusqu’à mettre en doute l’intégrité des groupes de presse, que l’Etat subventionne la presse à hauteur de 850 millions de francs par an en aides directes...
Dans ces conditions, le cercle vicieux ne semble pas près de s’arrêter.
D’autant que l’Etat pourrait trouver un intérêt à habituer le spectateur à un toujours-la-même-chose confortable qui anesthésie son esprit critique. Ce n’est pas nouveau ; les périodes de crise, où les valeurs morales et politiques ne s’imposent plus aux citoyens, sont ses moments de prédilection pour essayer d’asseoir son pouvoir par tous les moyens, y compris et surtout par une propagande et une censure insidieuses.
Espérons que ces premier pas de travers ne nous conduiront pas à la dictature.Retour
Il n’est pas certain que l’Etat cherche sciemment à imposer une culture d’Etat. Plus probablement, la loi du marché s’est installée dans le domaine culturel, et l’argent est roi. Alors il y a le théâtre public, à qui seul on reconnaît une mission de service et d’intérêt généraux, que l’Etat innonde de subventions, et le privé, qui est traité comme un commerçant quelle que soit la qualité de sa ligne artistique ou politique. Entraîné par la loi de la concurrence, l’Etat donne des directives visant à supprimer l’aide aux compagnies non conventionnées*** - seule existera désormais une aide pour des projets ponctuels, non reconductible d’une année sur l’autre. Ce théâtre doit donc proposer des produits attractifs - et en l’absence de têtes d’affiche les chances de succès sont minimes - faire une publicité tapageuse, et si possible susciter la polémique pour attirer le chaland. Si le public se déplace, si le théâtre privé est rentable, tout va bien, et s’il ne l’est pas, qu’il ferme, on versera une larme, mais il y en a tellement d’autres sur le marché du spectacle. Les compagnies ont intégré cette logique. La démarche " marketing " prime désormais sur la recherche artistique. Pour défendre leurs projets, les artistes désabusés déclinent la liste de leurs mécènes, rassurent les directeurs de petits théâtres privés qui veulent leur donner tribune en affichant leurs quelques connaissances dans le milieu, et annoncent fièremement que telle ou telle entreprise leur apportera un soutien logistique.
Nos politiques cherchent maintenant à appliquer la loi de l’offre et de la demande au marché de l’emploi. Une situation simple : d’un côté des jeunes à la dérive et des banlieues chaudes, et personne pour soigner à la base le mal-être de notre époque. De l’autre, une profusion d’artistes sans emploi qui coûtent cher aux Assédics et qui vivent dans la misère. On prend modèle sur le passé pour servir des arguments convenus : " avant " , dit-on, " il n’existait pas de séparation nette entre le culturel et le social " . (On se souvient en effet que Molière donnait déjà ses spectacles dans la banlieue de Paris... à la cour du roi à Versailles. Voudrait-on aussi nous faire croire qu’il sillonnait les routes de France en présentant des spectacles de rue pour favoriser l’insertion des travailleurs immigrés ?). Forts de cette expérience du passé, on explique aux hommes de théâtre que pour démocratiser la culture, il faut ouvrir son art aux jeunes, aux exclus, à ceux des cités. Il faut aller vers le public, lui compter fleurette pour l’attirer dans les théâtres, rôle qui incombe aux artistes indépendants. Ce n’est pas que les théâtres publics soient exonérés de cette mission, bien au contraire, on ne cesse de rappeler que leur travail doit être d’intérêt public. Simplement, ce sont les compagnies et les théâtres les plus démunis qui voient là l’occasion de grappiller quelques subsides et se lancent à corps perdu dans la chasse au public défavorisé, cependant que les compagnies conventionnées et les théâtres publics, qui savent que leur enveloppe sera immuablement reconduite, hochent la tête en signe d’approbation, convaincus (qui ne le serait ?) que " c’est bien, ça " , de faire dans le social, et retournent à leurs moutons et à leurs spectacles, réservés à une élite déjà rompue à leurs idées et à leur esthétique. Le public nouvellement conquis finira de toute façon par occuper les sièges des riches théâtres subventionnés, incité par les tarifs attractifs, la promotion à tout-va et les critiques des médias.
La séparation entre le public et le privé, celui-ci régi par la loi du marché, celui-là nourri de la prodigalité des institutions culturelles, risque de se creuser encore depuis la charte de Mme Trautmann qui cherche à " favoriser la pratique amateur " . L’intention n’est pas mauvaise : le théâtre enrichit l’âme de ceux qui le pratiquent et apaise leur esprit, remarquent les sociologues. Pendant ce temps-là, ils n’iront pas casser les vitrines ou faire brûler les voitures... Comme de plus on constate une forte représentation de ceux qui pratiquent le théâtre dans les salles de spectacle, si on incite les individus à en faire, du théâtre, du coup ils iront en voir, du théâtre, et l’argent qu’ils dépensent pour acheter leur billet, c’est toujours autant que l’Etat n’aura pas à donner aux compagnies... Comme en outre les artistes professionnels sont incités à la pratique amateur par les directives des ministères, ce nouveau statut risque de servir de prétexte aux organismes subventionneurs pour ne plus leur donner d’argent, puisque, par définition, un amateur gagne sa vie ailleurs, et ne s’adonne à un art que pour son plaisir personnel. Autre effet pervers : favoriser ces pratiques amènera les professionnels à constituer des équipes avec des amateurs (puisque ce sera là le moyen de ne pas les payer et de toucher les aides publiques), et à rendre floue la limite qui distingue les professionnels des non-professionnels. Le public finira inévitablement par faire l’amalgame et par considérer comme " amateur " un spectacle sans moyen mais réalisé par des professionnels, et à ne plus accorder le label de théâtre professionnel qu’aux productions lourdes : spectacles produits avec les deniers publics et montés dans les théâtres publics ou grosses machines pleines de superstars programmées dans le boulevard.
Pas très rassurant pour l’avenir du théâtre…
Conscients que le renouveau du théâtre passe en priorité par les plus jeunes créateurs et par les écritures d’aujourd’hui, des hommes de terrain, plus prompts à réagir que les administrations, ouvrent des petits lieux de spectacle, espaces d’expression indispensable pour tous ceux qui ont raté leur intégration dans le circuit, parce que trop éloignés du modèle dominant. Ce nouveau réseau de diffusion, encore difficile à cerner - les directeurs de ces lieux ne font pas tous preuve, assurément, de la même détermination dans la défense des compagnies et de leur travail - est actuellement le seul espoir pour ces artistes exclus du " système " . Laissés à l’abandon par nos politiques qui expriment ouvertement leur lassitude en décrétant qu’il y a trop de théâtres à Paris, ces nouveaux théâtres subissent le malthusianisme ambiant. Ne sachant plus très bien à quel saint se vouer, les partenaires institutionnels du théâtre attendent que s’opère la sélection naturelle. Pour ne pas risquer d’être accusés de dilapider les fonds publics, ils préfèrent laisser faire le temps, comme si, dans la jungle du théâtre, les meilleurs devaient fatalement émerger, et les moins talentueux disparaître de la surface de nos scènes de spectacles. Et pour se faciliter la tâche, ils incitent au regroupement, préférant un interlocuteur unique - même s’il représente un groupe hétérogène - à une pluralité d’interlocuteurs indépendants. Ainsi les artistes doivent se fédérer en compagnies, les compagnies en associations de compagnies, les auteurs en collectifs, et les théâtres se réunir sous un label faussement unificateur. L’union fait la force, dit-on.
Le critère de sélection n’est donc plus le talent, mais bien le trinôme argent-relations-force de frappe. La raison du plus fort…
Ceux qui n’ont pas dans leur arsenal une de ces trois armes se trouvent fort dépourvus, mais le mythe de l’artiste difficultueux résiste, entretenu par nos subventionneurs : " Pour certains, les tournées, ‘’c’est ringard’’. Cela me choque. J’entends dans ces arguments la recherche du confort chez les comédiens et les techniciens " , confie le Directeur de l’ONDA à Politis. Comme si la recherche du confort était un crime dès lors qu’on travaille dans le milieu de la culture... Quant au Directeur du Thécif, il explique sans sourire qu’il admire avant tout les Directeurs de Théâtre qui œuvrent dans le dénuement le plus complet, comme si c’était là un gage de talent. Pendant ce temps l’argent du citoyen sert à payer les bâtiments de luxe dans lesquels sont logés les agents culturels de l’Etat. Retour
Tout bien réfléchi, tout celà est… scandaleux.
Nos partenaires de tutelle ne craignent pas l’incohérence.
Ils arguent en permanence qu’il n’y a pas d’argent " pour l’instant " , faisant ainsi miroiter aux artistes des jours meilleurs pour calmer leurs ardeurs vindicatives et étouffer la révolte, mais ils sont on ne peut plus dispendieux avec leurs protégés. Et pour excuser leur immobilisme, ils répètent inlassablement que la décision " vient du dessus " et qu’il faut attendre que les crédits soient votés... mais ne manquent jamais une occasion de faire sentir qu’ils détiennent le pouvoir.
Ils voudraient nous faire croire qu’il y a " trop de théâtres " à Paris, mais chaque semaine s’ouvrent des lieux de spectacles qui semblent créés " pour l’occasion " , et qui disparaîtront de nos mémoires en l’espace de quelques semaines. Sans parler des pièces présentées dans des squats de fortune. Tous ces théâtres-champignons suffiraient à prouver la carence en salles de spectacle pour absorber ce foisonnement de créations, pas toutes abouties certes, mais autrement plus personnelles et sensibles que les copies aséptisées qui inondent nos scènes publiques.
Ils arguent qu’ils ne peuvent pas voir tous les spectacles, prétexte à ne pas se déplacer dans les petits lieux, mais ils arrivent à voir tous les spectacles dont on parle dans les maisons bourgeoises et les salons littéraires. Ne pouvant pas tout voir hors de ces spectacles incontournables, ils ne vont rien voir d’autre, ou plus exactement limitent leur choix aux spectacles créés par des hommes de… confiance : fille, fils, ami intime, élève favori, assistant privilégié... La loi des relations atteint un paroxysme inacceptable. Et si d’aventure l’Etat se rend compte qu’il faut (quand même) stimuler les artistes et les théâtres indépendants, il ne prend pas la peine de chercher les plus prometteurs et de leur donner directement les moyens de perfectionner leur travail et de le présenter, mais finance une structure, le Thécif, qui s’en chargera… Finalement la pensée unique culturelle s’installe là où un semblant d’indépendance règnait encore.
La peur de se tromper, qui justifie le manque d’audace, justifie aussi une politique qui frôle l’acharnement thérapeutique. L’exemple du théâtre de la Main d’Or est à cet égard édifiant. Affichant une politique de défrichage et une volonté de découvrir les jeunes talents, ce théâtre programme en réalité une ronde de spectacles mis en scène par son Directeur et interprétés par des vieux de la vieille confirmés et gourmands. Soit. La gestion du théâtre est calamiteuse, l’endettement croît d’année en année pour finir par atteindre en 1999 environ 2,5 millions de francs. Le Directeur de la DRAC annonce fièrement qu’il s’est battu pour que l’Etat ne se désengage pas. Au bilan, il semblerait que la dette de la Main d’Or se voie prise en charge par l’Etat à hauteur de 75%. L’argent du citoyen, réinjecté d’année en année pour sauver la Main d’Or, servirait donc à satisfaire l’égo d’un homme de théâtre qui faillit à la mission culturelle qui lui est confiée et gâspille les deniers publics. L’horreur continue et on apprend qu’en plus d’avoir dilapidé sans complexe l’argent pour rembourser les déficits faramineux, l’Etat proposerait de continuer à subventionner son travail à condition qu’il achète un autre lieu, sans aide publique, et s’y établisse. Evidemment, on est heureux pour lui, et il n’y aurait pas grand chose à redire si on ne prétextait pas sans cesse à tous les niveaux de la culture qu’IL N’Y A PAS D’ARGENT ! Retour
Retour en arrière : il y a quelques vingt ou trente ans, les artistes entrant en théâtre se mettaient au travail, s’arrêtaient lorsqu’ils étaient satisfaits, montraient leur œuvre au public, travaillaient encore. On passait ses nuits dans les théâtres : Charles Dullin installait une grange dans son atelier et y dormait aux côtés de son cheval. Artaud exerçait son métier dans les hôpitaux psychiatriques où il était interné. Louis Jouvet faisait la navette entre le théâtre de l’Athénée et le Conservatoire. Aujourd’hui on fait la navette entre la DRAC, la DMDTS, la Ville, la Région, et on dort sur les marches des organismes susceptibles de vous servir de sponsors, pour être sûr de ne pas louper le coche. Hier on s’attelait à réunir des acteurs engagés et on travaillait à la recette, car il y avait une recette, dans des théâtres que les Directeurs mettaient à disposition. Aujourd’hui on cherche sans relâche l’argent pour produire des spectacles, on tente de réunir des partenaires financiers en essayant de les séduire par des projets qui rentrent dans le cadre, et il faut un temps infini avant de trouver le théâtre qui acceptera de programmer votre travail dans des conditions décentes.
L’Etat a tellement voulu structurer le paysage théâtral et le faire rentrer dans des normes rationnelles pour favoriser son expansion qu’il en a fait une immense institution semblable aux administrations qui régissent les entreprises commerciales, oubliant au passage que les mouvements de création viennent des tréfonds de l’âme de l’artiste, de sa relation à lui-même et à sa sensibilité. On a tenté de normaliser les artistes, créant ainsi des hybrides froids et comptables, obsédés par la nécessité de boucler leur budget, au point que les spectacles, une fois montés, ne sont souvent plus au cœur de l’actualité.
Le résultat, répétons-le, n’est guère convaincant, et la situation actuelle laisse présager le pire.
Vers quels lendemains se dirige-t-on ? Si les choses restent en l’état, les directeurs des petits théâtres indépendants, seule tribune pour les nouveaux créateurs, finiront par s’épuiser et choisir de fermer, abandonnant ainsi la création aux mains d’un nombre de plus en plus réduit de décideurs. Les créateurs s’acharnent pour l’instant à poursuivre leur trajectoire, mais déjà leur désir et leur capacité à créer s’estompent ; faute d’interlocuteurs, d’encouragements, et de lieux où présenter leurs travaux, leur déclin ne peut que s’aggraver encore. L’uniformisation des spectacles sera totale, et les idées véhiculées ne trouveront plus de contradicteurs. Le public aura pris l’habitude de se laisser bercer par une esthétique et une pensée uniformes ; ayant perdu curiosité et esprit critique, il deviendra le terrain idéal pour toute forme de propagande.
A moins que…
Précisons que les artistes ne sont ni aussi bêtes, ni aussi faibles, ni aussi inorganisés, ni aussi désespérés que nos hommes politiques voudraient le croire. C’est vrai qu’ils n’ont pas de production légumière à déverser sur les routes, pas de passagers à retenir prisonniers dans les stations de métro, les gares ou les aéroports, ils ne peuvent pas plonger notre pays dans l’obscurité en fermant leurs centrales, et ne sont même pas un poids électoral suffisant pour effrayer nos politiques. Mais lorsque leurs droits sont remis en question, leur soulèvement finit invariablement par faire reculer les projets saugrenus du gouvernement, preuve qu’avec un peu de concertation ils forment un groupe de pression efficace. Laissons-nous rêver un instant à la catastrophe économique qui s’ensuivrait si les compagnies de théâtre boycotaient Avignon off…
Les spectateurs n’ont pour la plupart pas les moyens d’aller voir les spectacles du " In " ; ou alors ce sont les places qui font défaut à ceux qui n’ont pas été prévoyants ( " les réservations sont bouclées depuis des semaines " ). Privés du off, pourquoi iraient-ils en Avignon ? Quant à ceux du cru, pourquoi y resteraient-ils un mois de plus ? l’aventure théâtrale les appelle ailleurs.
Les infrastructures touristiques (hébergement, restauration, transport,…) se verraient ainsi privées de centaines de milliers de clients qui constituent vraisemblablement la presque totalité de leurs revenus, et n’auraient plus qu’à glisser la clé sous la porte, rejoignant ainsi le rang des demandeurs d’emploi… qui coûteront cher à la Nation. Les salles avignonnaises subiraient le même sort, l’immense majorité d’entre elles n’ouvrant que pendant le festival. Avignon en deux mots deviendrait une ville sinistrée.
Hors les remparts avignonnais, qu’adviendra-t-il ?
Les programmateurs subventionnés devront courir la France toute l’année durant à la recherche des spectacles qui occuperont leurs murs les saisons prochaines, au lieu de " faire leur marché " en un seul lieu et un seul temps. Ils devront établir leurs programmes de façon beaucoup plus aléatoire, au coup par coup, empêchant ainsi les abonnements à l’année. Tout ceci leur coûtera cher et réduira d’autant leur capacité d’auto-financement, d’où un recours accru à l’Etat ou une baisse du budget de création.
Quant aux compagnies, elles gagneront en argent ( " faire Avignon " est un investissement à haut risque dont elles sortent généralement exsangues) et en respect (assez de ce rapport de force que leur imposent les directeurs de salles avignonnais !) ce qu’elles perdront en spectateurs (gageons même que ces spectateurs trouveront d’autres occasions de voir leurs spectacles au fil de l’année dans d’autres villes).
Elles auront prouvé enfin leur capacité d’action et leur poids économique, et dissuaderont l’Etat, espérons-le, de continuer à les prendre pour des décérébrées chroniques. Retour
Stéphan Boublil et Line Spielmann
Proverbe druse : respecte ceux que tous humilient.
3, cité Souzy 75011 Paris