Theodor Tagger, dit Ferdinand Bruckner est né le 26 août 1891 à Sofia, d’un père autrichien d’origine juive, banquier et homme d’affaires, et d’une mère française, Claire Heintz, née à Constantinople, passionnée par les lettres et les arts.
La carrière d’auteur dramatique de Ferdinand Bruckner commence en 1926 – il a alors trente-cinq ans – par Le Mal de la jeunesse, suivi par Les Criminels en 1928, La Créature en 1929, et culminera, au début des années trente, avec Élisabeth d’Angleterre, un drame historique à scènes simultanées (à l’instar des Criminels), considéré alors comme son chef-d’œuvre, et qui lui conférera une gloire dépassant même celle de Brecht et de Zuckmayer.
Ferdinand Bruckner fut sans conteste l’un des dramaturges les plus célèbres de la République de Weimar. Ses œuvres sont montées par des metteurs en scène aussi célèbres que Max Reinhardt (Élisabeth d’Angleterre), dans des temples du théâtre allemand comme le Deutsches Theater (Les Criminels, créée par Heinz Hilpert, et Élisabeth d’Angleterre également). Elles sont aussi traduites dans de nombreuses langues et produites à l’étranger.
Les Criminels connaît sa création française dès le 23 novembre 1929, par Georges Pitoëff et sa troupe du Théâtre des Arts, qui en donnera plus de cent représentations.
Dans un contexte marqué par un capitalisme galopant et un parlementarisme peinant à s’affirmer, une révolution communiste réprimée dans le sang, des crises économiques et gouvernementales à répétition, mais surtout dans un contexte artistique marqué par une effervescence tous azimuts – qui s’exprime dans le théâtre par les expériences d’Erwin Piscator, les pièces révolutionnaires d’Ernst Toller (la rédaction des Criminels commence après que Bruckner eut assisté à la création de Hop là, nous vivons) et la mise en place du théâtre de la distanciation de Brecht –, Bruckner, tout comme son confrère et ami Ödön von Horváth, va explorer et porter à son apogée le genre du Zeitstück, de la « pièce actuelle », un théâtre de type documentaire qui se confronte directement aux questions qui agitent la vie sociale allemande de ces années-là : perte des valeurs liées à la défaite et à l’anarchie capitaliste, cynisme affairiste, opportunisme politique ou pessimisme nihiliste des jeunes générations, inadéquation entre lois existantes et avancées sociales (émancipation sexuelle, conflits de classe), le tout dans une forme moderne particulièrement pertinente et séduisante pour le public averti et avide de nouveautés de cette époque.
Dans le cas de Bruckner, la dimension de critique sociale de son œuvre va de pair avec son esprit journalistique et sa connaissance des théories psychanalytiques, associés à un immense talent dramaturgique. Considérant son activité d’homme de théâtre comme une contribution à la compréhension, à l’analyse et somme toute au progrès de son époque, ses œuvres, comme Les Criminels, possèdent néanmoins un caractère à la fois moderniste, progressiste et pessimiste. Toujours est-il qu’elles ont, durant toute la période de la République de Weimar, un fort caractère polémique.
L’arrivée au pouvoir de Hitler va radicalement faire évoluer l’œuvre de Tagger/ Bruckner d’un « germanisme critique » à un « humanisme engagé ». Il choisit l’émigration dès la fin février 1933. La dimension conservatrice va dès lors disparaître de son œuvre au profit d’un militantisme politique clair, proche des idées du Front populaire. Cette nouvelle période est inaugurée avec éclat par sa pièce antifasciste Les Races (1933), qui aujourd’hui encore étonne par l’acuité de l’analyse politique et sociale de l’Allemagne nazie et par son côté particulièrement visionnaire. Cet engagement dans un humanisme militant antifasciste marquera ses œuvres écrites en exil, en Autriche, en France, en Suisse et finalement aux États-Unis, où il séjournera à partir de 1936 (la résistance antinazie dans Denn seine Zeit ist kurz – Car son temps est court, 1942 –, ou encore le difficile retour à la démocratie en Allemagne dans le contexte de l’écart idéologique séparant les Américains « libérateurs » des Allemands traumatisés par le nazisme dans Die Befreiten – Les Libérés, 1945).
Sa vie d’après-guerre est celle d’un personnage semi-officiel, proche des théâtres qui rebâtissent la vie culturelle en Allemagne et en Autriche. Il renoue avec le genre du Zeitstück avec Früchte des Nichts – Fruits du néant, 1951 – sorte de road movie théâtral existentialiste qui décrit les errances d’un groupe de jeunes gens au lendemain de la seconde guerre mondiale, partagés entre un nihilisme radical et la nécessité absolue de reconstruire un monde. Il est proche des cercles de l’Institut français à Vienne à partir de 1948.
En 1953, il devient le dramaturge du Schiller Theater, à Berlin-Ouest, où il symbolise l’antifascisme de retour en République fédérale. Il incarne dès lors une sorte de pendant libéral de Brecht, plus discret et plus modeste que son prestigieux confrère à l’Est. L’une de ses dernières pièces, Der Kampf mit dem Engel (Le Combat avec l’ange, 1956), drame en vers blancs, met en scène un personnage féminin hors du commun, maîtrisant avec cynisme les rouages de la bourse mais confrontée, par la personne d’un de ses beaux-fils, à la supériorité spirituelle d’une vie dévouée aux autres.
Pour terminer cette présentation, je voudrais citer un extrait de la thèse de Francis Cros, Tagger/Bruckner, ambiguïtés modernistes et humanisme militant (Nancy, 1984), source principale des informations contenues dans ce texte. « Même chez le praticien du théâtre, les problèmes de la scène s’intègrent au complexe plus vaste de l’existence et de la vie politique, culturelle de l’époque. Tagger/Bruckner est avant tout un “intellectuel” qui a réfléchi, sa vie durant, sur le monde allemand, sur l’univers humain, sur l’histoire et l’actualité, angoissante parfois, d’un siècle troublé. Il se passionna non seulement pour la scène, mais aussi pour les problèmes de la guerre et de la paix, de l’organisation politique et sociale de son pays et de l’Europe, pour le sort de la jeunesse contemporaine, son manque d’idéal et ses nostalgies éternelles. »
Theodor Tagger/Ferdinand Bruckner est mort à Berlin le 5 décembre 1958, d’une pneumonie.
Laurent Muhleisen, Editions théâtrales
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