À partir de 10 ans.
« Les parents ont quitté la campagne pour venir s’installer à la ville. Ils se sont arrêtés sur la colline des anges et des djinns au-delà du périph, cette frontière infranchissable entre leur bidonville, la décharge, l’usine toxique de « Stop herbe » et la ville. Vingt ans plus tard, « leurs enfants sans nombril » rêvent de partir à leur tour. Cette fois beaucoup plus loin, où un autre périphérique les séparera de la belle ville. Une seule chose aura réellement changé, ces jeunes gens « mauvaises herbes » auront plutôt recours à la bonne fée marraine de la télévision qu’à la gitane et à sa magie.
Avec une belle intelligence, une grande simplicité de moyens et beaucoup d’émotion, Sedef Ecer raconte la similitude des destins, l’éternité de cette misère qui reproduit les mêmes schémas dans les pays en développement comme dans les pays développés. L’exclusion, le recours à des travaux dangereux (l’usine de sablage des blue-jeans a remplacé l’usine de production d’herbicide), la seule force du rêve pour nourrir un quelconque espoir.
La beauté de la pièce tient à cette détermination naïve qui pousse les deux jeunes gens à préserver l’espoir malgré la dureté de l’épreuve. La violence n’est pas évacuée et la dénonciation est sans ambiguïté. Mais les personnages conservent une sorte de distance fataliste et l’utilisation de la métaphore (les enfants sans nombril, les maisons qui repoussent comme des fleurs, l’allusion à Platon...) éloigne la pièce d’un réalisme sordide pour lui insuffler la grâce d’un conte oriental. C’est tout simplement beau, sincère et émouvant. »
Gilles Boulan
« L'hétérogène est très bien traduit par le metteur en scène qui travaille en plans larges et cadres serrés et imprime un rythme soutenu à la représentation, servie par une distribution de qualité. » Armelle Heliot, Figaroscope, le 4 mars 2014
« Pour ma première pièce en langue française, je m’étais déjà attachée à la notion de « l’entre-deux ». Intitulé Sur le seuil, ce texte parlait des moments ou des espaces où l’on n’est ni à l’intérieur ni à l’extérieur d’un temps ou d’un lieu définis. J’ai aujourd’hui l’intime conviction que ce « seuil » continue d’être vital pour l’auteur bilingue que je suis : je dis du français qu’il est ma « langue d’accueil » comme on dit « terre d’accueil » car je crois profondément que l’on habite une langue de la même manière que l’on habite un pays. Mon statut « d’écrivaine immigrée » m’a emmenée une fois de plus vers un thème qui questionne l’identité déracinée. Nous suivrons deux histoires parallèles : la première se passe de nos jours et la seconde se déroule vingt ans auparavant. Aujourd’hui, nous sommes au coeur d’un bidonville en Turquie, puis d’une cité en France. Quant au passé, il est « récité » par des fantômes qui ont vécu dans ce même coin du quart-monde lorsqu’il était en train de se construire. Les personnages racontent cette histoire parfois avec distance, comme s’ils disaient un conte oriental dans un espace non défini, parfois en prenant part aux événements. En poursuivant dans cette direction que j’avais commencé à explorer lors de l’écriture de ma première pièce en français, je me suis servie une fois de plus de moments d’action et de récit clairement séparés.
C’est une structure de « faux-documentaire », alternant des témoignages purs avec des moments où les personnages sont « en situation » car je reste convaincue de la force d’un acteur qui livre une parole dépourvue de toute fioriture, à la manière d’un closeup très rapproché au cinéma. J’ai souhaité ancrer cette histoire de favela ou de slum en Turquie, mais il est tout à fait possible de la transposer dans un autre pays, puisqu’il y a malheureusement l’embarras du choix : notre planète se remplit de plus en plus de ces habitats périphériques, sans aucune infrastructure, où l’on repousse les populations dont on ne veut pas et où l’on a toujours peur que tout soit démoli du jour au lendemain.
Je suis le travail de Thomas Bellorini depuis ses débuts. Son premier spectacle, qu’il avait créé avec son frère Jean sur Édith Piaf, m’avait hantée pendant des jours. Je ne pensais pas que l’on pouvait dire quelque chose de nouveau sur cette figure si familière du patrimoine français, épiée, racontée, mise en scène mille fois. Le travail de Thomas et Jean était époustouflant de liberté et de grâce et je me souviens très bien avoir été émue jusqu’aux larmes et m’être dit que je voulais absolument faire partie un jour de leur univers, travailler avec eux. Ensuite, j’ai eu le bonheur de retrouver Thomas sur l’une des différentes versions (pas toutes réussies) de ma première pièce en français Sur le seuil. En assurant la direction musicale le temps d’une résidence de création, avec très peu de touches, il a su insuffler à mon texte ce qui lui manquait de folie, d’émotion et d’humour. Le peu de spectateurs qui ont vu cette version me parlent encore de cette complémentarité immédiate que nos deux écritures ont liée. Par la suite, j’ai eu l’occasion d’apprécier la beauté de son spectacle Pinocchio, de son apport musical à la pièce Où vas-tu Pedro ?, ou encore de ses créations en milieux amateurs. Thomas sait créer de très belles images mais cette recherche esthétique n’est jamais gratuite dans son travail. Elle est toujours liée au sens profond de ce qu’il raconte, à l’essentiel, à l’humain. C’est pourquoi j’ai souhaité lui confier À la périphérie. Je suis persuadée que nous appartenons à la même famille de théâtre. »
Sedef Ecer
« En mars 2012, je suis allé à la Maison des Métallos. Sedef Ecer m’avait invité à venir écouter son nouveau texte À la périphérie qui était programmé pour une série de lectures. Dès les premières minutes, le texte de Sedef m’a parlé. Très actuel, il abordait avec une grande simplicité des grands thèmes qui m’étaient chers et sur lesquels je travaillais depuis des années. Cela faisait longtemps que Sedef et moi souhaitions travailler ensemble, sans savoir quand et comment. Après la lecture, en parlant des possibilités scéniques du texte, nous avons immédiatement ressenti que c’était le projet qui allait enfin pouvoir unir nos deux univers : celui de Sedef, avec ses personnages et ses situations qui reposent sur la naïveté et l’humour pour traiter les sujets graves, et le mien, « musical, charnel et ancré dans le sol » d’après elle.
Dans À la périphérie, si la quête de Tamar et d’Azad, de Dilcha et de Bilo m’était si familière, c’est parce que, depuis quatre ans, je travaille dans un collège « à la périphérie », à la Courneuve, ville dont Sedef s’est inspirée pour écrire la deuxième partie de la pièce. J’y anime un atelier avec des primo-arrivants. Ces enfants ne parlent pas encore le français et sont intégrés dans un collège où ils rencontrent une nouvelle culture, de nouvelles coutumes. Nous chantons des chansons de chez eux et des chansons en français. Et souvent nous travaillons sur leurs souvenirs. Ces enfants me livrent leur destin, si particulier, avec leurs mots, leur voix, leur patrimoine musical. J’ai donc eu l’occasion de comprendre leurs rêves, d’en parler avec eux, d’en faire quelque chose. Ces enfants, tout comme les personnages de Sedef, m’ont appris que seul le rêve permet d’espérer un ailleurs. Et que l’histoire se répète souvent de générations en générations, exactement comme l’histoire que Sedef raconte… La musique sera très présente, comme dans toutes mes créations. Je souhaite construire une ligne dramaturgique à l’aide d’une longue mélodie qui permet de passer d’un monde à l’autre, d’une époque à l’autre, d’une langue à l’autre, d’une culture à l’autre…
Ce mélange des sons et des sonorités sera, tout au long de la pièce, le reflet des périphéries, de la vitalité qui y habite… Un autre son qui, au contraire a perdu de son humanité, viendra s’y superposer : sonorités enregistrées dans les images d’émissions et la voix (sonorisée) de la présentatrice nous raconteront une autre histoire. La voix de cette figure médiatique puissante finira petit à petit sans micro, sans habillement, nue et sincère pour nous livrer sa propre réalité, loin de celle qu’elle nous montre sur ses plateaux de télévision. [...] Sons, musique, scénographie, langues « périphériques »... Bien évidemment, j’ai envie de donner une place essentielle à cette idée de la périphérie, la colonne vertébrale du texte. Par le son et la musique puisqu’ils seront très présents dans le spectacle, à l’image des bidonvilles où la musique permet de survivre, mais également par les langues qui se mélangent et s’entremêlent. Je souhaite que la musique prenne le relais quand les mots ne suffisent plus, puisqu’elle rend l’émotion universelle, et permet de dépasser les frontières, celles qui séparent les pays mais aussi celles qui séparent le centre de la périphérie : de différentes lisières qui hantent l’écriture de Sedef. Une grande partie du travail musical sera basée sur les chansons tziganes et le répertoire de Zsuzsanna Varkonyi qui interprétera Kybélée. Cette femme « tsigane » est l’exclue des exclus, celle qui est à la périphérie de la périphérie, mais elle est aussi la sorcière : celle par qui tous les miracles arrivent, par conséquent, le contrepoint de Sultane, star de la télé qui offre des machines à laver, des traitements contre le cancer et des mariages à ceux qui habitent les bidonvilles et qui n’ont rien. Quant à l’univers musical de Sultane, personnage kitsch et exubérant, je souhaite le ponctuer de sa « chanson » de Paris, La vie en rose d’Édith Piaf. Par le choix de ces univers musicaux variés, d’une scénographie fragmentaire et de comédiens venant de mondes et de cultures très différents, je crois pouvoir poser un regard juste et nouveau sur ce texte que nous souhaitons défendre. »
Thomas Bellorini
Azad : Sept cents dollars 4 l’espace Schengen, il a dit.
Tamar : Sept cents ?
Azad : Oui.
Tamar : L’espèce quoi, déjà ?
Azad : Schengen. Pas l’espèce, l’espace.
Tamar : C’est cher.
Azad : Oui, mais on ira.
Tamar : C’est cher pour l’espace Schengen.
Azad : Oui, mais on ira je te dis.
Tamar : Pourquoi, un copain du cousin 14 d’un copain ferait passer les frontières au copain d’un cousin d’un copain ?
Azad : Parce qu’il gagne de l’argent comme ça.
Tamar : Comment peut-on passer une frontière sans se faire prendre ?
Azad : Dans des bateaux.
Tamar : Des bateaux ?
Azad : Oui. Des bateaux.
Tamar : Il y a des frontières dans la mer ?
Azad : Bien sûr.
Tamar : C’est dessiné comment sur l’eau ?
Azad : Ce n’est pas dessiné sur l’eau, c’est dessiné au fond de l’eau. Après, une fois débarqué en « Oc-ci-dent », il y a aussi des frontières à passer sur la terre.
Tamar : Celles-là aussi, on les passe sans se faire prendre ?
Azad : Oui.
Tamar : Comment ?
Azad : Tu m’as manqué ma Tamar. 19
Tamar : Toi aussi. Pourquoi tu ne m’as pas appelée ?
Azad : Je ne pouvais pas. J’essayais de passer en France.
Tamar : Tu n’étais pas en France, la dernière fois ?
Azad : Non, ils m’ont dit que c’était l’Italie. Ils ont voulu me renvoyer. J’ai fui. J’ai trouvé un camion. Je suis à Paris, maintenant.
Tamar : À Paris ?
Azad : Enfin, pas loin. Tout près de Paris. C’est comme Paris.
Tamar : Alors, c’est beau ?
16, place Stalingrad 92150 Suresnes
Navette gratuite Paris - Suresnes : Une navette est mise à votre disposition (dans la limite des places disponibles) pour vous rendre aux représentations du Théâtre.
Départ de cette navette 1h précise avant l’heure de la représentation (ex. : départ à 19h30 pour une représentation à 20h30), avenue Hoche (entre la rue de Tilsitt et la place Charles de Gaulle-Étoile), du côté des numéros pairs. À proximité de la gare Suresnes-Longchamp (Tram 2), la navette peut marquer un arrêt sur le boulevard Henri-Sellier (à l’arrêt des bus 144 et 244 (direction Rueil-Malmaison), 25 minutes environ avant la représentation. Faites signe au chauffeur.
La navette repart pour Paris environ 10 minutes après la fin de la représentation, et dessert, à la demande, l’arrêt Suresnes-Longchamp, jusqu’à son terminus place Charles de Gaulle-Étoile.