Déconseillé aux moins de 13 ans.
Après Le Souffle du temps pour le Ballet de l’Opéra de Paris ou Nya pour le Ballet contemporain d’Alger, il va voir du côté de la Bible ce que la danse a à en dire. Il s’arrête sur Le Cantique des cantiques, une suite de poèmes et de chants d’amour, due à un compilateur du IVe siècle avant J.-C. Une ode à la chair délicieusement scandaleuse, traversée de métaphores sensuelles, dans un jardin où se dégustent des fruits exquis et des breuvages enivrants.
C’est la première fois que le chorégraphe travaille à partir d’une narration préexistante. Il en déduit une succession de duos qui démultiplient le rapport amoureux comme un kaléidoscope en fractionnerait les vertiges, les peurs et les jouissances.
Le mouvement va à l’essentiel, au plus ténu de l’intimité du couple, se brise sur le ralenti d’un trouble soudain et joue, avec la voix des comédiennes, une partition rare.
Écrit par un compilateur du IVe siècle avant notre ère, écriture profane dans un texte sacré, le Cantique des cantiques témoigne des forces poétiques de notre passé fondateur et révèle à travers sa générosité les archaïsmes de notre temps.
S’accorder avec le chorégraphe Abou Lagraa sur la représentation d’un poème, sa traduction scénique à travers le mouvement et la voix de l’acteur, c’est explorer une forme antique de la représentation où texte et corps se compilent pour défaire les clichés et conservatismes qui perdurent dans notre modernité.
Le profane et le sacré s’ancrent tour à tour dans les problématiques de la société, et les différentes interprétations ont permis, au cours des siècles, à chacun de projeter ses propres icônes et valeurs sur ce poème. Au XXIe siècle, ce que nous apprend ce texte, si ce n’est que les retours, les falsifications, l’idéalisation sont un frein à l’appréciation du monde et sa compréhension. Le Cantique des cantiques est un cri retenu de liberté et d’amour dans un temps où les guerres des hommes faisaient rage tout comme balbutiait la démocratie naissante. Explorer ce texte sur scène c’est renouer et rendre sensible une partie de notre genèse, ce fond poétique commun aux Hommes, régénérant, généreux, mais sans en occulter les sensuelles ambivalences. À la lumière de notre actualité, le texte se charge d’un nouveau contenu et de nouveaux sens. Une parole poétique se doit de toucher aux émotions de son temps. Se confronter à ce poème c’est déchiffrer un manuscrit, être à la recherche de sa matériologie, du vivant, de son souffle.
Le travail avec les acteurs consistera à entreprendre cette fouille des sédiments, retourner avec la voix de l’acteur le terreau qui fertilise et révèle à la fois nos peurs et espoirs. Je me suis naturellement penché sur la traduction d’Olivier Cadiot et Michel Berder. J’ai rencontré Olivier Cadiot par l’entremise de Ludovic Lagarde à la Comédie de Reims où j’étais pour ma part dans le collectif artistique et lui artiste associé. S’approprier cette traduction c’est le choix d’une transcription exigeante, mais faite par un écrivain et dramaturge adepte des découpages, brisures et simultanéités inspirés de l’avant-garde littéraire du XXe siècle. Homme de théâtre, son expérience lui permet de ne pas rendre hermétique par un trop-plein de maniérisme la force scénique du poème.
Mikaël Serre
Pour la première fois, je travaille ma chorégraphie à partir d’une narration poétique préexistante au mouvement. Je recherche à travers le texte l’ancrage concret des situations amoureuses tout en exaltant la puissance universelle du chant biblique. En effet, la pièce se composera d’une succession de duos démultipliant le rapport amoureux dont il est question dans le poème. Chaque duo mettra en mouvement, en vibration, plusieurs enjeux et situations de l’amour : l’amour-fusion, la fuite, le conflit, la sexualité, la peur de perdre l’autre… pour tenter de saisir ce qui constitue l’intimité d’un couple.
Comme un kaléidoscope reflétant à l’infini les vertiges, les peurs et les jouissances liés au sentiment amoureux.
Dans cette pièce, je souhaite travailler sur les notions de lenteur, de ralenti pour mieux exalter le trouble qui saisit chacun d’entre nous au contact de l’être aimé.
Pour atteindre la vérité du sentiment, les interprètes devront se défaire des réflexes, des habitudes, des carcans : la danse ira à l’essentiel du mouvement, dans l’intimité du geste pour capter le ténu et donner à voir l’invisible chez les danseurs afin d’atteindre une liberté troublante presque dérangeante, à l’image de ce poème biblique qui a suscité tant d’interprétations et qui n’a cessé de faire scandale…
Abou Lagraa, décembre 2014
49 avenue Georges Clémenceau 92330 Sceaux