Quand j’ai commencé à penser à ce travail, presque secrètement, je savais, disons depuis la cassure, la rupture que représentait le 11 septembre, que je voulais travailler sur la transformation, sur ce qui fait passer quelque chose d’avant vers après.
En sortant de L’Épopée de Gilgamesh au Festival d’Avignon 2000, j’éprouvais le besoin de me confronter à un texte fort. Nous avons travaillé sur La Divine Comédie de Dante, ce qui a abouti à la création de Paradis (un temps à déplier) au Théâtre National de la Colline en janvier 2004. Dans ces deux projets, il était déjà question d’un avant et d’un après, L’Épopée de Gilgamesh est un récit du déluge, Paradis (un temps à déplier) quant à lui, s’articule autour d’un avant : la vie, et d’un après : la mort.
Je voulais poursuivre ce travail sur la transformation et établir un dialogue entre des corps, des états et des lieux différents. J’ai donc commencé au Japon à mettre en place un programme qui consiste à poser aux gens deux questions : En cas de grande catastrophe, d’un « nouveau déluge » qu’emporteriez-vous du monde d’avant dans le monde d’après ? et que n’emporteriez-vous surtout pas du monde d’avant pour le monde d’après ? J’ai ainsi recueilli plusieurs centaines de témoignages, dans tous les lieux où j’ai travaillé ces derniers temps : Tokyo, Kyoto, New York, Rome, Porto, Londres, Paris et plus récemment, de façon publique, en Avignon pour la préparation du Festival ainsi qu’à Annecy où la compagnie est en résidence.
J’ai interviewé des personnes de langues et d’horizons très différents : des artistes, des scientifiques, des gens connus et moins connus, des enfants… Les réponses, comme on peut l’imaginer, suivant les pays, les cultures, les religions sont toutes profondément différentes. Cet ensemble de questions et de réponses est donc le matériau brut, premier et principal de ce qui, ensuite transformé par notre travail, devient ce qui s’appelle maintenant After / before.
En voulant traiter de ces coupures, de ces avants et de ces après, d’un monde d’avant et d’un monde d’après, je voulais aussi établir un dialogue entre les corps d’avant et les corps d’après si j’ose dire. Créer un échange entre les corps jeunes des performeurs de mon équipe et les corps vieux, très vieux, de personnes non professionnelles qui pourraient, avec nous, mettre sous nos yeux ces passages du temps.
Les réponses aux questions que j’ai posées font l’objet d’un retraitement, d’une transformation puisque l’équipe en sa totalité, fait subir à cette matière un premier traitement textuel plutôt joué et un second plutôt dansé et chanté. J’ai pour l’occasion formé les néologismes « chantouiller » et « dansouiller » qui montrent bien qu’ici, il soit question d’écritures au sens large, où les façons de danser et de chanter privilégient l’invention personnelle et intime, plutôt que l’académisme et le formatage des corps et des voix.
Donc, s'il y avait un nouveau déluge, on ferait quoi ? S'il ne fallait garder que quelques objets ou que quelques théories, on garderait quoi ? (...) Moi ce que j'ai dans la tête c'est ceci : je cherche pour les années futures une pensée, des comportements, des objets, des sons et des façons de parler qui n'aient rien en commun avec « l'ancien monde ». Je cherche une nouvelle pensée et tout ce qui va avec pour le futur, quelque chose qui se défasse des anciens réflexes idéologiques et culturels. Un quelque chose d'après déluge. Un nouveau monde dont nous n'avons pas encore idée mais qu'il devient urgent d'inventer étant donné l'état de régression mondiale. L'art tel que certains d'entre nous le pratiquent est sans aucun doute un début de construction de cette nouvelle arche pour ce nouveau pays.
D’après un entretien avec Pascal Rambert.
Pour dix acteurs-performeurs et dix non-acteurs âgés de 70 à 85 ans.
32, rue des Cordes 14000 Caen