Angèle

du 15 au 25 avril 2004

Angèle

L'action commence juste après la révolution de 1830. Alfred d'Alvimar, fils de famille ruiné par un procès injuste, a décidé d'arriver par les femmes dans la carrière politique. Sa maîtresse, Ernestine de Rieux, ne peut plus lui servir à rien car son mari était lié au gouvernement de la Restauration qui vient d'être chassé. Alfred d'Alvimar la quitte alors pour jeter son dévolu sur une très jeune fille, Angèle…

La pièce
Intentions de mise en scène

A propos de “Angèle”

Le héros de Dumas
Théâtre de chambres
Un drame moderne

L'action commence juste après la révolution de 1830. Alfred d'Alvimar, fils de famille ruiné par un procès injuste, a décidé d'arriver par les femmes dans la carrière politique. Il avait une maîtresse influente, Ernestine de Rieux, mais elle ne peut plus lui servir à rien étant liée, par son mari, au gouvernement de la Restauration qui vient d'être chassé.

Alfred d'Alvimar la quitte alors pour jeter son dévolu sur une très jeune fille, Angèle. Celle-ci est d'une famille politiquement bien placée auprès du régime de la Monarchie de Juillet puisque son père, le général comte de Gaston fut tué à Waterloo, et que le nouveau gouvernement a besoin de s'appuyer sur les valeurs napoléoniennes restées populaires.

D'Alvimar séduit la jeune fille pour la forcer à l'épouser. Puis il s'avise ensuite de se marier avec la mère d'Angèle, la comtesse de Gaston, femme encore jeune et séduisante, qui lui serait plus utile. Celle-ci a notamment parmi ses relations la maîtresse d'un ministre qui peut aider Alfred à obtenir un poste diplomatique.

Mais cette femme qui porte un faux nom n'est autre que Ernestine de Rieux. L'ancienne maîtresse d'Alfred le tient alors entre ses griffes. Et Angèle, enceinte, accouche clandestinement...

Le scandale éclate. D'Alvimar se fait provoquer en duel.

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Après avoir mis en scène Gabriel(le) que j'ai adapté de Gabriel de George Sand, pièce de théâtre initialement destinée à la lecture, j'ai eu envie de continuer d'explorer les régions inconnues ou abandonnées de ce continent de l'univers dramatique qu'est le Théâtre du XIXème siècle.

Aussi, j'ai saisi l'opportunité du bicentenaire de la naissance de Dumas pour faire travailler aux élèves et anciens élèves de la Classe Supérieure d'Art Dramatique de la ville de Paris, dans le cadre d'un stage, une de ses pièces "en costumes modernes" : Angèle. Et c'est à partir de ce travail de stage que s'invente la mise en scène de cette oeuvre.

Le théâtre historique de Dumas n'est pas sans intérêt, mais si je choisis cette pièce extraite de son oeuvre dramatique "contemporaine", quoique écrite dans une perspective historique et sociologique, c'est pour sa virulence porteuse de théâtralité et la force de son thème: la place de l'individu sur l'échiquier de la société. C'est aussi pour souligner la spécificité de Dumas comme auteur dramatique puisqu'il fut, au dix-neuvième siècle, le créateur du drame moderne.

Bien qu’Angèle soit l'histoire de la poursuite d'un idéal, ce n'est plus un drame romantique, même si l’œuvre comporte encore des éléments de mélodrame qui en est une des origines. Dans la lignée du drame bourgeois, la pièce annonce la comédie de mœurs. Sa fable est proche de celle du Bel-Ami de Maupassant et les relations des personnages rappellent celles des Liaisons dangereuses de Laclos à la différence que les intrigues politiques y ont remplacé celles du libertinage. Son analyse de l'échec d'une ambition sociale à travers l'itinéraire du protagoniste, Alfred d'Alvimar, qui veut arriver par les femmes mais a le tort de vouloir garder une forme d'intégrité dans son arrivisme, reste d'ailleurs incroyablement corrosive.

Créée pendant la période de permissivité pour l'art qui suivit la Révolution de 1830, la pièce finira par être interdite.

En tant que metteur en scène de ce spectacle, la question que je cherche à résoudre est : "Comment restituer cet univers dramatique sans faire du théâtre musée ?"

La solution que je propose est d'inventer des formes nouvelles à partir de cet univers du dix-neuvième siècle, ce qui m’amène à parler du rôle de la musique. Essentielle dans ce spectacle, elle est jouée en direct par une formation de six musiciens. Elle souligne la dramaturgie cinématographique de la pièce et la fluidité de son action, reprenant la tradition du mélodrame qui, comme son étymologie l'indique, comportait de la musique.

Dans Angèle, la musique est une ponctuation tour à tour ironique ou dramatique. Parfois contemporaine pour éviter le pléonasme et suivre les idées de Dumas sur la modernité en art, elle rappelle à d'autres moments des mélodies de l'époque en y apportant des dissonances.

De plus, la Maison des Conservatoires qui abrite l'Ecole Supérieure d'Art Dramatique de la Ville de Paris m'a offert la possibilité de travailler avec cette discipline que je veux mêler à la représentation théâtrale pour tendre vers un spectacle total, rêve des romantiques qui s'intéressaient à toutes les formes de l'art.

La scénographie et les costumes, eux aussi, appellent un traitement particulier. Dans Angèle, les espaces scéniques sont toujours intérieurs (salons, chambres...). Les divers lieux de l'action sont alors évoqués par des encadrements de portes et de fenêtres dessinés par des gobos et projetés au sol. Et la scénographie se compose d'éléments d'architecture domestique disposés de chaque côté de la scène. Une perspective est alors créée qui aboutit à l'orchestre, moteur du spectacle placé dans le fond du plateau.

Et si les panneaux sont ornés de moulures dont l'ordonnance a l'austérité classique de la Restauration, leur peinture, à grands coups de brosses et de pinceaux, évoque l'énergie du mouvement Romantique.

En ce qui concerne les costumes, nous travaillons sur un mélange de références historiques de la première moitié du dix-neuvième siècle. Nous nous inspirons principalement des styles vestimentaires de la Monarchie de Juillet, période où se situe la pièce, et nous empruntons aussi à ceux de l’Empire et de la Restauration lorsque les personnages sont rattachés à l’idéologie de ces époques.

Enfin, à la différence du travail qu’entreprit Sartre sur Kean et de celui que j’ai effectué sur Gabriel de Sand, je n’adapte pas cette pièce, car elle ne nécessite pas la réécriture. Je coupe simplement dans les passages mélodramatiques pour valoriser les aspects poétiques, humoristiques et littéraires de ce texte, allant du foisonnement du verbe jusqu’à l’épure du style suivant le mouvement de ce drame vers son accomplissement.

Gilles Gleizes

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“On retrouve dans Angèle une structure de base d’apparence mélodramatique, sur le schéma de la femme séduite puis abandonnée, et enfin vengée. Alfred d’Alvimar a beau être un arriviste, son parcours n’en est pas moins emblématique des hypocrisies de la société dans laquelle il évolue. Le principe sera le même dans le Bel-Ami de Maupassant dont la fable est proche. A la différence du traître de mélodrame classique, Alfred n’incarne pas à lui seul tout le mal social. Celui-ci est clairement visible dans le fonctionnement même du milieu où évolue Alfred, avec pour valeur la réussite par l’argent, et pour moyens la compromission, l’infidélité à quelque principe que ce soit. Alfred n’est pas plus odieux que son milieu, dont il est à la fois le produit et le reflet.”

Florence Naugrette, Le Théâtre Romantique

Angèle est une satire terrible de la versatilité politique, variant au gré des révolutions ou des simples mutations. Est-elle encore un drame romantique? N’est-ce pas plutôt un drame bourgeois, mais romantique tout de même par la personnalité du héros? Héros fascinant malgré ses fautes ou ses crimes, fascinant par son cynisme politique, par sa tristesse de mauvais ange et par l’ardeur suicidaire qu’il met à se précipiter, sans la moindre prudence, non seulement dans ses calculs ambitieux mais dans le duel qui le débarrassera de la vie.”

Anne Ubersfeld, Le Drame Romantique

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“Les héros de Dumas sont des hommes jeunes, sans famille, désireux de s’intégrer à une société qui les maintient dans une position marginale, parce que la batardise, la ruine ou quelque autre infortune les ont rendu illégitimes. La logique du dénouement qui les voue à la mort est morale, mais elle tend aussi à montrer que l’ordre social résiste violemment aux assauts d’un homme seul.

Le héros de Dumas n’est pas pour autant une figure de victime : arriviste, séducteur, violeur ou criminel, il n’est certainement pas non plus un modèle à suivre : mais il a le charme des grandes figures noires qui épouvantent et séduisent, précisément parce qu’elles remettent en cause de l’intérieur la société qui les broie après les avoir contraints au crime.

Florence Naugrette, Le Théâtre Romantique

“Le héros est aussi un séducteur. Il veut, par les femmes, conquérir le pouvoir ou l’argent. Sur de la légitimité de sa quête, il s’affirme possédant les droits du génie.”

Anne Ubersfeld, Le Drame Romantique

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Dans la foulée de son succès d’Antony, Alexandre Dumas écrit son nouveau drame, Angèle, avec la même perspective d’un rapport immédiat au présent, d’un présent revendiqué : “Parlez-nous de nous, c’est nous qui sommes intéressants” lui crient ses spectateurs. Il écrit alors le premier peut-être des drames modernes, de ces grands drames qui occuperont la seconde moitié du siècle et même le début du vingtième.

Toute l’intrigue repose sur l’évènement du siècle, celui qui partage l’histoire et donne congé définitivement à la vieille royauté, les journées de juillet 1830, les “Trois Glorieuses" : les patrons imprimeurs du Marais envoient leurs ouvriers à la conquête de la liberté de la presse... et du commerce. Après quoi, le monde de l’argent, tout comme l’ancienne noblesse, essaie sans scrupules de tirer son épingle du jeu.

Dans une scène extraordinaire du premier acte d’Angèle, le héros Alfred raconte son histoire, sa volonté de triomphe, son cynisme de putain mâle. Mais le génie de Dumas montre en permanence non seulement l’envers moral du héros - Henri, son double de mort- mais en même temps, dans le même personnage d’Alfred, qui ne porte pas par hasard ce nom de poète, le “héros romantique” : en lui le désir de vivre, le désespoir de la solitude, la place aléatoire dans le monde et, quelque part issu des mêmes causes, l’instinct suicidaire. En face de lui, partout dans ce monde, la femme, même triomphante, toujours victime.

Anne Ubersfeld

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Le premier titre du drame, au cours de sa gestation, est L’Échelle des femmes, encore accolé, sur les affiches des premières représentations, au nouveau titre Angèle, qui a choisi de privilégier l’une des femmes de l’échelle. Cette focalisation sur l’innocente victime semble tirer le drame vers le mélodrame; mais le changement de titre ne reflète que le changement du public auquel il s’adresse : écrit pour Bocage dans la perspective de l’engagement du comédien à la Comédie-Française, Angèle est saisie par Pierre-Jean Harel, directeur du théâtre de la Porte-Saint-Martin, et montée par la troupe, à laquelle appartient Ida Ferrier (nouvelle maîtresse de l’auteur), passant ainsi de la scène officielle à un théâtre des boulevards.

« Il m’était tout à fait impossible de donner ma pièce aux Français. La première raison, c’est que les répétitions que je venais de faire m’avaient plus que jamais exaspéré contre eux et fait jurer que de longtemps ils ne verront ni de ma prose ni de mes vers.
La 2ème c’est que Mademoiselle Mars partant au mois de juin je ne savais à qui confier mon rôle.

La 3ème qu’Anicet qui tremblait de perdre Térésa me tourmentait chaque jour pour en finir avec Harel qui ne reprenait l’ouvrage qu’à la condition qu’il aurait L¹Echelle et qu’enfin il est venu deux fois m’apporter le traité avant que je le signasse. » (1)
Lorsque, dans l’Avertissement, figurant en tête de l’édition de Catherine Howard (1834), le jeune auteur se livre à un exercice de taxinomie de ses oeuvres dramatiques, Angèle est classée comme du drame de mœurs, quant Antony relèverait du drame d¹exception.

Du drame de mauvaises mœurs publiques aurait utilement précisé la pensée de l’auteur, celles de la société de son temps, à un moment clairement donné : les deux premiers actes se déroulent au lendemain de la Révolution de Juillet 1830, alors que la monarchie de droit divin, en la personne de Charles X, gagne à petites journées Cherbourg, où elle s’embarquera pour un exil définitif (16 août) et qu’un premier ministère, présidé par Louis-Philippe est intronisé (11 août) : « Le nouveau gouvernement, chancelant encore sur sa base demi-populaire, trop faible pour fonder un système nouveau, n’a d’autres ressources que de se jeter entre les bras des hommes de Napoléon. » (acte I, scène IV).

C’est l’instant où l’ambitieux doit « savoir changer à temps de points de vue », c’est-à-dire de femme-échelon.
Les trois derniers actes quelque sept mois plus tard, en mars 1831 alors qu’un ministère chasse l’autre. (2)
Le temps de concevoir et de mettre au monde un nouvel Antony, c’est-à-dire un bâtard, (3) prématuré, mais viable, comme ce nouveau régime, demi-populaire par son origine, demi-aristocratique par celui qui a été placé à sa tête.

Cependant, si Angèle tient du drame de circonstances historiques, sa vision de la nature humaine outrepasse le circonstanciel. Autre temps, mêmes moeurs, pourrait-on dire. En effet, le drame ne met en scène que la partie visible de l’échelle, recensant rapidement, et sur le mode de la comédie, ses deux premiers échelons, grandes dames de la Restauration, Mmes du Breuil et d’Orsay. Plus largement, il développe, sous forme axiomatique, une représentation pessimiste de l’homme : « La vie humaine se divise généralement en deux parties bien tranchées la première se passe à être dupe des hommes. Et la seconde ? À prendre sa revanche. » Le regard d’Alfred est désenchanté, car il voit l’existence, telle qu’elle est au fond, croit-il, sombre et boueuse.

Ce dégoût généralisé, qui s’étend à lui-même, s’apparente au mal du siècle inguérissable, qui a sa source dans la nostalgie du passé proche et héroïque de la Révolution et de l’Empire: pour un Français de cette génération - Alfred est né en 1797 - ne restent pour champs de bataille dérisoires que des lits - l’alcôve du viol, la chambre de l’accouchement jouxtent la scène - où le sexe n’est que le substitut de l’épée des pères héros, pour stratégie de conquête qu’un donjuanisme sans illusions : « Je me dis qu’il serait d’un homme de génie de rebâtir, avec les mains frêles et délicates des femmes, cet échafaudage de fortune que la main de fer des événements et des hommes avait renversé. »

Aveuglé par la fascination sexuelle qu’il exerce, il découvre trop tard que l’ascension de l’échelle des femmes ne mène qu’au vertige du vide. Et, à la mort, que, dans son premier acte d’homme libre, il choisit délibérément.

Claude Schopp

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Notes

(1) À Bocage, [Paris, 28 juin 1832], autographe, ancienne collection Charavay, 111. Anicet-Bourgeois a probablement fourni à A. Dumas le canevas du drame ; dans la préface de La Vénitienne, ce collaborateur écrit : « Si pour Térésa, pour Angèle, vous avez eu parfois recours aux conseils de mon amitié, ne m’avez-vous pas généreusement payé ces conseils en parant ma Vénitienne de quelques-unes des vives et brillantes couleurs qui abondent sur votre palette et que j¹eusse en vain cherchées sur la mienne. Votre plume, comme un pinceau de maître, s’est posée sur l’ébauche de l'élève ; mais modeste ou prudente, elle ne l’a signée. »

(2) C’est historiquement la démission du ministère Laffitte, le 9 mars, et son remplacement, le 13 mars par le ministère Casimir Périer. Les deux ministres, mentionnés sans être nommés dans la pièce par Ernestine de Rieux et Mme de Gaston, seraient donc le maréchal Gérard à la Guerre et le général Sébastiani aux Affaires étrangères, qui étaient bien « des hommes de Napoléon ».

(3) Coïncidences entre autobiographie et fiction, presque à l’heure où Angèle accouche, Belle Kreilssamner, maîtresse de Dumas lui donne un deuxième enfant bâtard, sa fille Marie (5 mars 1831).

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Spectacle terminé depuis le dimanche 25 avril 2004

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