La figure d'Antigone
Note du metteur en scène
Extrait du prologue
La presse
Antigone est considérée comme la plus belle pièce de Sophocle, parmi les sept qui nous sont parvenues. A la loi écrite brandie par Créon pour justifier sa décision politique de ne pas ensevelir le corps de Polynice, Antigone oppose la « loi non écrite » qui fait un devoir à chacun de respecter ce qui appartient au territoire des morts. L’Antigone de Sophocle interroge le lien entre les vivants et les morts et explore la part d’ombre qui nous constitue.
"Au milieu des mille et un compromis, accommodements, adaptations, arrangements, renoncements, il y a une figure dont le seul nom suspend en un instant - et pour un instant seulement - la bonne marche des choses. C'est celui d'Antigone. Ni martyre, ni sainte, Antigone ne fait pas profession de révolte mais tisse, jusqu'à la mort, les fils de cette chose apparemment si simple : ce qui n'est pas supportable, elle ne le supporte pas. En cela, Antigone est intraitable, absolument résolue à faire ce qu'elle ne peut pas ne pas faire. S'avançant sans crainte aux marches du Palais, elle marche, sous des yeux ébahis - ceux des citoyens de Thèbes il y a 2500 ans, les nôtres aujourd'hui - vers la mort. Mais en mourant, jeune fille qui ne tremble pas, elle fera, aujourd'hui comme hier, tout trembler autour d'elle : le chef qui se présentait comme voulant le bien de tous et le rêve d'un présent sans mémoire, d'une vie dans l'oubli des morts comme celui de l'amour qui console."
Anne Paschetta, Mai 2007
Traduit du Grec ancien par Florence Dupont, édité à L’Arche.
Œdipe, roi de Thèbes, découvrant l’inceste qu’il a commis à son insu avec sa mère Jocaste, se crève les yeux et fuit son royaume. Ses deux fils jumeaux, Etéocle et Polynice – nés, comme leurs sœurs Antigone et Ismène, de l’union incestueuse – héritent du pouvoir, chacun devant régner une année à tour de rôle. Au terme de la première année, Etéocle refuse de céder le sceptre à son frère. Celui-ci, furieux, s’allie à la cité d’Argos – l’ennemi héréditaire – pour tenter de récupérer ce qui lui revient de droit. Armée thébaine et armée argienne s’affrontent sous les remparts de Thèbes ; les Thébains sortent victorieux de la bataille, mais les deux frères, dans un combat singulier, « s’infligent une mort commune, l’un par la main de l’autre ». Créon, frère de Jocaste, prend alors le pouvoir et, pour rétablir l’ordre et asseoir son autorité, décide qu’Etéocle sera enterré dignement en héros et que son frère Polynice, traître à sa patrie sera privé des rites funéraires ; son corps sera laissé en pâture aux oiseaux et aux chiens. Quiconque s’opposera à cette mesure sera lapidé par le peuple. Avec cette décision, commence la tragédie d’Antigone.
Celle-ci ne peut supporter le sort réservé au cadavre de son frère et, désobéissant aux ordres de Créon, elle veut ensevelir la dépouille. Elle est arrêtée, conduite devant le roi qui la condamne à mort, ainsi que sa sœur Ismène soupçonnée de complicité. Hémon, fils de Créon et fiancé d’Antigone, cherche à fléchir son père. Celui-ci s’obstine, gracie Ismène qui n’a rien fait, mais fait enterrer Antigone vivante dans un caveau. Tirésias, le devin aveugle, devant l’acharnement de Créon, prophétise la catastrophe à venir. Et Créon se résigne enfin à renoncer à son projet. Mais sa volte-face arrive trop tard : Antigone s’est pendue avec son voile, Hémon, fou de douleur, après avoir menacé son père de son épée la retourne contre lui et se tue. Eurydice, femme de Créon et mère d’Hémon, au récit de cette mort, se tue également. Reste à Créon à subir le désespoir et la déréliction de celui qui, par orgueil, a offensé l’ordre du monde souterrain, bravé la loi d’Hadès, dieu des enfers, maître des morts. S’ouvre alors la question du sens de la tragédie…
Le théâtre grec, historiquement à l’origine du nôtre, est un grand théâtre politique et philosophique. Chacune de ses pièces met en scène les termes d’un débat contradictoire dont la résolution – à travers l’éventuel établissement d’une « loi » nouvelle – revêt une importance capitale pour l’ensemble des citoyens.
L’Antigone de Sophocle interroge le lien entre les vivants et les morts et explore la part d’ombre qui nous constitue : la dimension dionysiaque : le désir, l’irrationnel, les liens du sang, le monde de l’invisible… A la loi écrite brandie par Créon pour justifier sa décision politique de ne pas ensevelir le corps du « traître » Polynice, Antigone oppose la « loi non écrite » qui fait un devoir à chacun de respecter ce qui appartient au territoire des morts. La question agitait les esprits à l’époque lointaine où Athènes livrait à ses ennemis des guerres meurtrières. Elle reste évidemment d’actualité : au-delà des croyances religieuses, il n’est pas de société humaine qui puisse se passer des rites funéraires ; le passage du monde des vivants au monde des morts s’accompagne toujours d’indispensables gestes symboliques. Qu’est-ce donc que cette « présence » irréductible des morts dans notre vie sociale et psychique, au nom de laquelle Antigone, au prix de sa propre vie (c’est ce qui lui confère cet « éclat » singulier dont parlait Lacan), est devenue la figure mythique de la « résistante » que nous connaissons tous ? La tragédie de Sophocle, sans apporter de réponse dogmatique, pointe du doigt le « problème ».
Ce faisant, il met en place un dispositif dramaturgique rigoureux où, en quelques scènes cruciales, il pointe les conflits essentiels qui gouvernent nos vies. A travers l’insoumission d’Antigone à l’ordre du tyran se jouent les oppositions du masculin et du féminin, de la jeunesse et de l’âge mûr, de l’individu et du collectif, des mortels et des dieux…
Antigone c’est encore l’histoire de Créon, un homme de pouvoir, honnêtement attaché au bien commun, qui, poussé par un orgueil aveugle, s’obstine dans une décision dont il est clair, sitôt prise, qu’elle ne peut mener qu’à la catastrophe. Notre histoire récente regorge d’exemples de ces conduites aberrantes qui font le malheur de tous.
C’est la grande force de la tragédie grecque que de sonder les énigmes de notre condition humaine. Et aujourd’hui encore, elle reste dans sa simplicité et son évidence poétique, singulièrement opératoire. A condition bien sûr de se donner les moyens de la faire entendre dans son questionnement essentiel. Comment, hors de toute convention hiératisante, de tout pathos déclamatoire, jouer ces textes, certes loin de nous de par leurs références mythologiques, mais si proches de par leur profonde humanité ? Comment, sans actualisation grossière, les faire résonner au plus près de notre sensibilité contemporaine ? Ce sont ces questions auxquelles nous tâcherons d’apporter une réponse dans notre spectacle.
Nous créerons celui-ci au Théâtre de l’Atalante. Son charme particulier, sa dimension de « caveau » intimiste, se prête singulièrement au projet qui est le nôtre de mettre en évidence les forces obscures » qui poussent Antigone à accomplir son geste exemplaire.
Le décor sera des plus simples : une boîte noire, quelques chaises ; les costumes, contemporains, s’en tiendront eux aussi à l’essentiel. Nous viserons, là encore, dans ce dispositif volontairement stylisé, à faire entendre avant tout la densité poétique du texte, la plénitude du sens. L’éclairage en revanche jouera un grand rôle : ombre et lumière sont métaphoriquement au centre même de la thématique qui nous retient. Un travail d’images vidéo, à travers l’évocation des guerres contemporaines, viendra donner un arrière plan réaliste qui, sans tomber dans une actualisation forcée, nous
paraît indispensable.
Nous porterons une attention particulière à la fonction du chœur. On le sait, dans ce théâtre musical qu’était la tragédie, les interventions chorales – les stasimon – jouaient un rôle prépondérant, en introduisant entre les scènes parlées des ponctuations rythmiques, mais aussi en donnant la parole – par l’intermédiaire du chef de chœur qu’était le Coryphée – à une instance collective. Celle-ci dans Antigone est représentée par un groupe de notables, nobles vieillards choisis par Créon en raison de leur sagesse supposée et de leur dévotion à la monarchie. Constamment présents, c’est sous leur regard critique, et pour le moins circonspect, que se déroulent les péripéties de la tragédie.
Il est très difficile aujourd’hui de prendre en compte cette instance chorale tant elle semble relever d’un insoluble problème dramaturgique. Il me parait pourtant capital de trouver le moyen de la mettre en scène, parce qu’elle est une donnée essentielle d’un genre théâtral constitué en grande partie de « discours et récits » qui ne prennent tout leur sens – comme dans un procès ou une séance de l’Assemblée Nationale ou encore un débat télévisé – que prononcés devant un public. Tout est public dans la tragédie. S’il y a évidemment de l’affect, des affrontements passionnés, dans les échanges, il n’y a pas de scènes privées. Chaque mot engage publiquement – donc politiquement – celui qui le prononce.
C’est cette dimension primordiale de la tragédie que nous tâcherons de faire valoir en incluant clairement notre public dans le dispositif d’ensemble. C’est au nom de ce public, constitué pour l’occasion en chœur tragique, que le Coryphée prendra la parole et c’est en pleine conscience de ce regard public que les personnages seront appelés à débattre… Cette façon de prendre à témoin le spectateur d’aujourd’hui relève évidemment du plaisir de jouer avec les formes théâtrales ; mais c’est aussi une manière concrète de faire toucher à l’assemblée des citoyens que forment les spectateurs quelque chose – l’articulation de l’individuel et du collectif – qui est de l’essence même de la tragédie. Ce en quoi elle reste une stimulante forme vivante.
Marie Delmarès, qui a joué dans mes mises en scène de La Fille aux rubans bleus de Yedwart Ingey au Théâtre des Abbesses et Rêve d’automne de Jon Fosse au Théâtre de l’étoile du nord, jouera Antigone. Je jouerai moi-même Créon. J’ai déjà joué ce rôle dans une mise en scène de Claude Yersin à la Comédie de Caen, il y a presque trente ans. Ce sera l’occasion de me confronter à nouveau (le poids de l’expérience aidant…) à un personnage dont la complexité n’a cessé de me questionner. Yedwart Ingey, auteur dramatique mais aussi excellent acteur, jouera le Garde, Tirésias, le Messager. Claire Puygrenier, Elmire dans Le Tartuffe que j’ai monté dernièrement, jouera Ismène et Eurydice. Jacques Brücher sera notre Coryphée (qui dira également le texte du chœur). Et distribué dans Hémon, Igor Mendjisky (Jeune Théâtre National).
René Loyon
ANTIGONE
Ismène, je t'aime. Tu es ma sœur, ma petite sœur,
Nous avons eu le même père, la même mère,
Et maintenant nous héritons ensemble des malheurs d'Œdipe,
Nous héritons ensemble des crimes de notre père.
Tant que nous vivrons toi et moi, tu le sais,
De cet héritage Zeus ne nous fera jamais grâce.
Je nous vois comme de pauvres filles…
Déjà, nous vivions dans la douleur
La honte et l'exclusion.
Nous sommes maudites, toi et moi,
Rien ne nous a été épargné.
Et voici qu'aujourd'hui on parle d'un édit que le général
Aurait fait proclamer partout dans la ville,
Un héraut l'aurait lu à tous les carrefours.
Tu n'as rien entendu dire ?
Tu n'as rien appris sur nos ennemis ?
Tu ne sais rien des malheurs qu'ils nous préparent ?
Contre nous et notre famille ?
ISMENE
Moi ? Non. Aucune nouvelle n'est venue jusqu'à moi,
Rien de nouveau pour notre famille,
Rien de rassurant, rien d'angoissant,
Hier nos deux frères se sont entre-tués
Et depuis leur mort, rien.
Enfin, si !
Je sais que l'armée argienne a disparu dans la nuit.
Ce matin elle n'était plus là.
Rien de plus.
Rien pour me réjouir, rien pour m'inquiéter.
Antigone de Sophocle
Traduction de Florence Dupont
"On peut monter Antigone de bien des façons, celle-ci est parmi les plus concluantes qu'on ait vues." Le Nouvel Observateur
"Un spectacle très intéressant, qui est la pureté même du théâtre." Le Quotidien du Médecin
"René Loyon nous resitue au cœur de l'essentiel." L'Humanité
"On entend le verbe de Sophocle dans toute sa vigueur." Le Figaroscope
"Une traduction très contemporaine et tout en contrastes. Une occasion assez peu fréquente de dépoussiérer la tragédie. C'est rare, parlant, très juste." CNDP, actualité scènes
"La proximité des acteurs, les costumes contemporains, un sobre mais efficace jeu de lumières servent au mieux le texte de Sophocle en le rendant presque tangible, matériel." Le Journal du Dimanche
"La mise en scène de René Loyon est remarquable." La Réforme
"René Loyon épure la tragédie grecque de tout pathos superflu." La Nouvelle Vie Ouvrière
"Marie Delmarès est une Antigone attachante, têtue et douloureuse." Pariscope
"René Loyon offre à l'homme d'Etat Créon une reptilienne et inquiétante présence." La Terrasse
Très déçue! Le parti-pris de jouer sobre pour éviter le pathos déclamatoire vide de leur substance les personnages et les belles idées dont ils sont porteurs. Je connais bien le texte grec et le faire connaitre est une initiative que j'apprécie.Mais pourquoi avoir privé le public de toute émotion: pitié, admiration, terreur, selon les vieux (mais pas démodés) principes du classicisme?
Très déçue! Le parti-pris de jouer sobre pour éviter le pathos déclamatoire vide de leur substance les personnages et les belles idées dont ils sont porteurs. Je connais bien le texte grec et le faire connaitre est une initiative que j'apprécie.Mais pourquoi avoir privé le public de toute émotion: pitié, admiration, terreur, selon les vieux (mais pas démodés) principes du classicisme?
16, place Stalingrad 92150 Suresnes
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Départ de cette navette 1h précise avant l’heure de la représentation (ex. : départ à 19h30 pour une représentation à 20h30), avenue Hoche (entre la rue de Tilsitt et la place Charles de Gaulle-Étoile), du côté des numéros pairs. À proximité de la gare Suresnes-Longchamp (Tram 2), la navette peut marquer un arrêt sur le boulevard Henri-Sellier (à l’arrêt des bus 144 et 244 (direction Rueil-Malmaison), 25 minutes environ avant la représentation. Faites signe au chauffeur.
La navette repart pour Paris environ 10 minutes après la fin de la représentation, et dessert, à la demande, l’arrêt Suresnes-Longchamp, jusqu’à son terminus place Charles de Gaulle-Étoile.