Un clown au Purgatoire
Purgatorio
Significations de « blank »
Le projet
Un clown
Le langage
Après avoir affronté les enfers dans le spectacle Dans le rouge inspiré par le triptyque de La divine comédie de
Dante et créé au Théâtre de l’Aquarium en 2006, Lucie Valon revient pour un 2ème volet avec sa dernière
création Blank.
Un clown venu des enfers, sème le trouble au purgatoire, lieu d’expiation des âmes médiocres, lieu dévolu à l’attente immuable d’un jugement.
Soumis à des épreuves absurdes et à des brimades grotesques, il se risque à de
petites subversions dans l’espoir de maintenir un semblant de liberté…
Pourra-t-il s’en sortir, devra-t-il jouer le jeu ?
un clown au purgatoire
Gaïa, figure clownesque,
se retrouve dans un nonlieu,
une antichambre, une
salle d’attente… Le
Purgatoire.
Sur une scène, dans une salle, Gaïa attend… Ce que l’on peut attendre dans ce genre d’endroit : que son dossier aboutisse – comme métaphore de tous les types d’attente, qui relèvent d’une autorité invisible et inaccessible dont dépend notre avenir, entre autres… Puis, dans ce non-lieu, dans la salle d’attente, Gaïa se voit contrainte par une voix synthétique et aberrante d’apprendre la langue des traditions, la langue du Purgatoire : le latin. La machine s’enraye et laisse Gaïa épuisée et interdite sur sa chaise.
Une gratification tombe du ciel, une paire d’ailes. Enfin, elle va pouvoir prendre son envol… Espoir vite déçu : la voilà qui balaye au 18è d’une grande entreprise… un néon clignote… Elle enfile sa blouse : les ailes. Sur une scène, dans une salle, sur une chaise, l’ange témoigne de ses rêves envolés et de son triste sort, un corbeau passe, l’ange le regarde fasciné s’élance, tombe et se rate. Le diable jubile. Gaïa en diable de bas étage, dont le « dossier » a aussi été refusé, tente de se recycler en crooner de boîte de nuit minable et se prend peu à peu pour un animateur vedette… Une alarme retentit, fini de jouer, la réalité du purgatoire nous rattrape, comment sortir de là ? Le Péché est une tache, près d’une chaise, sur une scène, dans une salle, dont on ignore la provenance et qu’on aimerait voir effacée ; mais, malgré nos efforts, cette tache grandit, rétrécit, puis grandit et s’étend…
Notre personnage clownesque : Gaïa, s’apprête à présent à découvrir le Purgatoire… « Impensable de lire les Chants de Dante, dit Mandelstam, sans les attirer vers l’époque contemporaine. C’est dans cette intention qu’ils ont été écrits. Ils sont des appareils à capter l’avenir. Ils appellent un commentaire au futur. » En effet, ce n’est pas tant le contenu que la modernité du propos de Dante qui nous inspire– sa façon de dénoncer les travers de son époque et d’examiner l’ « Homme » sans détour. La divine comédie a été pour nous le point de départ, le déclencheur de notre envie de réaliser un triptyque autour de l’Enfer, du Purgatoire et du Paradis afin de voir comment ces thèmes résonnent pour nous quand on les transpose à l’époque actuelle.
A la différence de Dans le Rouge où nous avions des textes de départ et une idée précise du trajet à emprunter, notre premier désir pour Blank a été de partir du plateau, d’improviser, laissant le clown nous guider dans la construction du spectacle. En cela les deux productions se complètent tout en gagnant dans l’épure. Le jeu clownesque s’est développé avec en filigrane le mot Purgatoire et ce qu’il évoque dans le monde d’aujourd’hui : le malheur de dépendre humainement de tant de dossiers sur lesquels on ne peut jamais s’expliquer à fond, la dépendance face au bon vouloir d’une instance supérieure abstraite, l’attente comme mode de vie qui fait qu’on en oublie nos désirs, le mélange détonnant d’être tantôt un cas à part, tantôt un numéro comme les autres…
Le clown tend par nature vers le subversif. Dans ce qu’il a d’imprévisible et d’incontrôlable, il met à jour nos leurres et nos compromis. En même temps, il nous permet de distancier le réel et nous emmène vers un univers parallèle qui fonctionne comme une parabole du nôtre.
Le purgatoire… lieu d’expiation des âmes médiocres, lieu d’attente et de questionnements, d’espoir voué à l’échec, au report indéfini, lieu de solitude, dévolu au ressassement interminable d’une faute dont on ne sait plus même si elle a été commise. Le Péché ayant aujourd’hui plutôt disparu de la conscience moderne (pour certains) il ne nous reste plus qu’à nous sentir coupables sans savoir de quoi ni pourquoi. Nous abordons ce thème de façon décalée en opposant à Gaïa un monde absurde et déshumanisé, un Purgatoire contemporain rempli d’épreuves abstraites et castratrices où il faut qu’elle tente de se frayer un chemin et où dans un temps suspendu peut naître le rire.
« Le purgatoire – est une figure de l’espoir : tout n’est pas joué à ta mort, c’est-à-dire : mort, tu joues encore ton destin. Tu joues encore. » - Georges Didi-Huberman nous donne ici les clés d’un rire encore possible pour les âmes mortes de notre moderne purgatoire. Un rire nécessaire pour garder une forme de lucidité, et qui permet à Gaïa une forme de résistance.
« Blank » ? « Page blanche, vierge ; espace vide ; avoir l’air complètement déconcerté ou ahuri ; laisser des blancs ; cartouche à blanc ; faire choux blanc ; se sentir la tête vide ou avoir un trou ; l’écran soudain effacé »… Le mot : « blank » se retrouve (en anglais) dans bon nombre d’expressions, qui toutes représentent l’état de notre personnage face aux épreuves incongrues qu’il va devoir subir.
« About : Blank » est aussi la formule consacrée par notre novlangue informatique pour signifier le « bug », autrement dit la panne, l’impasse. Elle illustre bien l’absurdité à la fois dramatique et comique de nombre de situations auxquelles l’individu est confronté chaque jour : face à un ordinateur hors-service, messageries vocales en boucles… Le purgatoire ordinaire.
Blank : Non seulement pour la sonorité du mot (qui sonne bien aux oreilles du clown), mais aussi pour la couleur blanche du costume.
Dans le Rouge, porteur de textes et de revendications est conduit par un personnage haut en couleurs : Gaïa, venue pour découvrir un enfer mythologique et qui se trouve confrontée à un enfer d’aujourd’hui, un enfer ordinaire. Blank, lui, met en scène l’errance de Gaïa dans le labyrinthe sans fin du purgatoire – où des règles absurdes la poussent à chercher toutes les petites subversions possibles et imaginables pour maintenir un semblant de liberté. Le code de jeu est tout en contrastes : physique et intime, gestuel et affectif, tout en écarts et en balbutiements – Gaïa n’étant pas très prolixe sous son nez rouge, nous emmènera à petits pas vers une sortie à sa manière.
L’écriture scénique est le produit d’une recherche conjointe du clown et du metteur en scène, un travail sur l’instant, fait de propositions et de constructions alternées où tous deux essaient de capturer l’imprévisible, qu’on traque pour lui proposer des passages obligés, en le concentrant sur du presque rien. Pour ensuite l’apprivoiser, le retravailler jusqu’à en redécouvrir la fraîcheur, la spontanéité, indispensables au clown. Il y a ensuite tout un travail en dehors du plateau : recherches dramaturgiques, travail de construction grâce aux répétitions qui sont filmées puis analysées. Cela nous permet de sauvegarder le premier jet et d’en faire un référent sur lequel on peut alors construire. Petit à petit des ébauches se mettent en place, des éléments se superposent, les situations dramatiques se précisent, le spectacle prend forme et le sens scénique se révèle.
« Cette ombre qui a peur d’elle-même » : c’est cette vision de Dante d’après Mandelstam qui nous a inspiré un personnage décalé, maladroit, perdu, un petit Dante Alighieri, « un porteur d’ailes » qui avouerait sa faiblesse sans pudeur. Malgré sa peur ou sa timidité, Gaïa peut devenir dans l’instant brutale, excessive, voire cruelle… Ses réactions sont pures et soudaines, elles ne passent pas par le prisme de l’éducation et des conventions. En cela elle est profondément subversive.
Dans ce purgatoire, rien n’est vraiment rassurant, tout est fait pour déstabiliser ; les repères habituels sont perdus. L’ingénuité de Gaïa rend encore plus cruelles les épreuves qui lui sont infligées en mettant en relief leur acharnement et leur logique illogique. Comment réagit-on face à une situation inextricable, lorsqu’on est dans l’impasse ? Gaïa représente charnellement cette interrogation. Pourquoi est-elle là ? Ne devrait-elle pas ? A-t-elle le droit d’y être ? N’est-elle pas coupable d’être là ? Sa seule force sera de tout découvrir comme une première fois, d’avoir une candeur à toute épreuve. Candidus, en latin signifie blanc : elle sera vêtue de blanc des pieds à la tête, pour souligner l’opposition avec l’univers sombre et hostile qu’elle doit traverser.
Un langage qui part « de la nécessité de parole beaucoup plus que de la parole déjà formée. Mais trouvant dans la parole une impasse, il revient au geste de façon spontanée. (...) Il refait poétiquement le trajet qui a abouti à la création du langage. » Antonin Artaud Nous voulons donc que le langage soit déconstruit, parcellaire, morcelé. Le personnage « s’emmêle les pinceaux » lorsqu’ il veut formuler une idée.
Parfois, un mot jaillit - lapsus ou maladresse - parfois un mot restera non dit et fera place au silence laissant le clown dans ce qui lui va le mieux- l’état déconcerté... Le langage, ainsi traité, est d’une certaine façon plus violent que s’il était articulé. Les mots, inaudibles, marmonnés, accouchés en quelque sorte nous ramèneront au corps, aux gestes et aux mimiques et ainsi nous jetteront plus puissamment au coeur des ces situations « purgatoresques ».
La Cartoucherie - Route du Champ de Manoeuvres 75012 Paris
En voiture : A partir de l'esplanade du château de Vincennes, longer le Parc Floral de Paris sur la droite par la route de la Pyramide. Au rond-point, tourner à gauche (parcours fléché).
Parking Cartoucherie, 2ème portail sur la gauche.