Depuis Aatt enen tionon qui le révéla en 1996, Boris Charmatz n’a pas cessé de changer notre regard sur son art. Ayant créé toute son œuvre à partir de forts partis pris physiques, spatiaux, relationnels, il défie ici les frontières de l’imagination en questionnant l’infini. Les dates historiques, les nombres infimes ou immenses, les comptes musicaux, sont le point de départ d’une danse virevoltante, incessante et qui semble courir vers l’infini. Affronter l’infini, c’est danser un vertige mathématique et philosophique, pour générer des libertés « infinies », pour une équipe de danseurs exceptionnels.
Thomas Hahn.
… quelque chose qui n’a pas de limite en nombre ou en taille…
… les danseurs, depuis des siècles, comptent jusqu’à 4, 6 ou 8, puis recommencent… dans les chorégraphies modernes, il arrive qu’ils comptent de manière plus complexe, avec des treize et des cinq qui se combinent… mais qu’arriverait-il s’ils comptent à l’infini ?... qu’arriverait-il si au lieu d’atteindre un but, une fin, une mesure, un rythme cyclique, ils comptaient comme on s’endort, comme on meurt, comme on regarde les étoiles éteintes par notre sur-luminosité urbaine ?… Que serait le chiffre s’il marque l’abandon, le passage, la métamorphose infinie ?... le nombre de la recherche, et non de la détermination ?...
… le mouvement de la recherche et non de la détermination…
… certains chiffres sont sanglants, d’autres sont intimes, certains ont des valeurs particulières, un nombre peut être date, elle-même oubliée ou légendaire, ou bien mesure, minime ou immense… les nombres sont devenus des codes et des data à collecter, stocker, mémoriser, vendre… dans notre projet, on ne s’arrête pas, la suspension du temps a lieu dans cette fuite… on ne s’arrête pas à 1989, on ne s’arrête pas à 2000, on ne s’arrête pas à 2015, 2016, 2017, 2018, 2019,…
… le corps semble ≪ fini ≫… pourtant le mouvement humain est surtout un potentiel … savoir faire ceci ou cela, avec ce corps-ci ou celui-là, oui, mais la puissance est aussi, surtout, puissance de ne pas faire, puissance de se laisser remuer… on voit qu’ils peuvent sauter, mais ils ont aussi le choix de ne pas… la véritable puissance est d’avoir le choix de (ne pas) agir ? !... ils courent, mais alors ils sont déjà tendus vers le point d’arrivée, ils sont déjà là-bas dans le but, ils sont déjà un peu en amont et en aval de ce geste de course… on peut chercher l’infini dans le passe, en remontant sans fin, on peut le chercher devant soi, en se projetant le plus loin possible, on peut aussi creuser à même le présent, en regardant tout ce qu’il y a entre 0 et 1, entre maintenant et maintenant…
… en ce moment je fantasme beaucoup sur le plein air et les espaces publics… l’une des chaines qui pourtant m’attache à l’architecture des théâtres est que l’ensemble scène-salle est comme une énorme tête, avec cerveau d’un côté et langue-bouche-mâchoire-palais de l’autre. Décidez vous-même si le cerveau est la salle ou bien le plateau ! Et si l’espace de la mastication, des tubes qui permettent les flux, des nerfs à vif forme la scène ou bien les sièges de la tribune. On y vient collectivement, et pourtant on s’y retrouve seul, souvent dans le noir. On est ≪ dans ses pensées ≫ et dans celles des autres, ceux qui jouent et dansent, et ceux qui sont assis juste a cote. Or ce qui n’a pas de limite, pour moi, c’est justement cette sorte de tête abstraite. Il y a les infinis mathématiques, il y a l’espace stellaire, il y a l’humain perdu dans la (dite) nature… on doit bien trouver aussi une sorte d’infini dans le sommeil ou les rapports amoureux, en cherchant bien… mais c’est comme si toutes ces notions d’infini ont été pour l’humain une manière de provoquer notre conception étriquée du monde. L’infini serait une manière non-sacrée de toucher à ce qui nous dépasse… le théâtre est l’un des lieux de pensée qui permet cet écart.
… j’ai toujours détesté compter en dansant… j’ai toujours préféré laisser mon cerveau divaguer… dans cette pièce nous comptons, parlons et chantons et dansons mais c’est pour mieux divaguer…
… pas de clôture, opulence sans fin …
2/4, rue Alexandre Bachelet 93400 Saint-Ouen
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