« On naît au hasard, on est tout à coup dans un berceau, on ne sait pas d’où l’on vient, on ne sait pas où l’on est, on vous apprend ça par la suite. Eh bien moi j’ai toujours vécu comme ça. Chaque fois que je me suis trouvé quelque part à l’étranger, aux antipodes, n’importe où en train de bourlinger, je me demandais : mon pauvre petit vieux, qu’est ce que tu fous là ? D’où viens-tu ? Pourquoi es-tu dans ce pays-ci et pas dans un autre ? Exactement comme si je venais de naître. » Blaise Cendrars, Interview à Radio Lausanne en 1949
Jusqu’à quel point Blaise Cendrars, ce grand aventurier de la littérature suisse, serait véritablement à l’origine du mot « bourlinguer » ? Peu importe, la légende est jolie. Né en 1887 à La Chaux-de-Fonds, l’écrivain poète d’origine suisse a fait de sa vie un roman, et de ce roman une œuvre d’art. Bourlinguer fait d’ailleurs partie de la tétralogie des récits autobiographiques écrits entre 1945 et 1949, lorsque la plume de l’auteur est à son apogée.
Parmi les onze récits qui constituent Bourlinguer, le metteur en scène Darius Peyamiras choisit celui intitulé « Gênes », qui retrace notamment des fragments d’enfance au parfum capiteux. Tout ce qui arrive au héros est insolite, extraordinaire, et donne lieu à une écriture particulièrement inventive, qui passe de l’anecdote détaillée à des réflexions plus profondes sur le genre humain.
On comprend bien le désir du metteur en scène d’entendre ce récit de la bouche du comédien suisse Jean-Quentin Châtelain, qui fait du monologue un art de haute voltige.
Ma plus grande passion était le dressage des escargots. Bépino, le fils de Pascuali, notre fermier, m’avait montré comment on les tient éveillés en leur chatouillant le ventre avec la pointe d’un cure-dent. On en ramassait partout, des grands, des petits, des bruns, des blancs, des jaunes, d’autres dont la coquille est comme du corail moucheté et d’autres encore, sénestres ou transparents et fragiles, lisérés de bleu, de noir ou dont le sillon médian est dur comme de la nacre, et d’autres, collés par couples, bavant, écumant. Pendant qu’Elena, armée du cure-dent, les chatouillait consciencieusement sous le ventre, je tendais des ficelles en l’air, d’une branchette à l’autre, en ligne droite, en diagonale, en zigzag, en rond, en étoile, et quand les escargots étaient bien éveillés, on les plaçait à la queue leu leu sur ces ficelles, des centaines à la queue leu leu, et leurs lentes et amusantes processions se déroulaient dans tous les sens, à différents étages superposés, comme des pénitents, chaque bestiole dans sa cagoule et chacune portant en guise de cierge allumé ses yeux montés sur tentacules et qui se télescopent si drôlement et sont tactiles. Quand on leur avait fait faire une demi-douzaine de fois l’exercice, on tendait les mêmes ficelles par terre et les escargots suivaient tous les méandres compliqués des ficelles comme un train interminable les rails d’un réseau de chemin de fer, le long fil d’Ariane argenté s’entortillant plusieurs fois sur lui-même dans les tours et les détours d’un labyrinthe avant de mener à la sortie, et la sortie était marquée par un tas de feuilles de laitue fraîche où les bestioles bien dressées se reposaient et se régalaient, mais sellées, harnachées, caparaçonnées comme des chevaux de cirque de l’écurie, prêtes à une nouvelle représentation. Et on leur faisait refaire le numéro et Elena battait des mains.
Tous les dimanches je lui faisais cadeau d’une ménagerie bien dressée.
Je ne sais pas ce qu’Elena pouvait faire de tous ces escargots de cirque que je lui donnais, jamais je n’en revoyais un ; je supposais qu’elle jouait avec dans le secret de sa chambre, ne les montrant à personne et surtout pas à ses sœurs qui auraient poussé des cris d’horreur, qu’elle jouait en secret et se donnait la représentation, et j’étais fier et content de moi, et tous les jours j’en cherchais d’autres.
Jean-Quentin Châtelain et moi-même avions envie de travailler à nouveau sur un monologue. Je lui ai proposé le thème de la « marche » : soi face au monde, à l’univers. J’ai lu de nombreux auteurs, de Bouvier à Walser et j’ai trouvé ce texte de Cendrars, Gênes, édité dans un recueil intitulé justement Bourlinguer. Il y avait là une langue extraordinaire, envoûtante, musicale, écrite en spirale et dont le centre collait à la quête que je me proposais de traiter, une réflexion sur l’aventure humaine. Nous avons été séduits.
« Bourlinguer ». J’aime ce mot, il évoque l’errance, la découverte, l’aventure, on pense à « rouler sa bosse », à « mener une vie aventureuse ». Mais cela signifie aussi, dans la langue des marins, « faire des efforts pour avancer contre le vent et la mer ».
Blaise Cendrars écrit ce texte à l’âge de 61 ans, il se met en scène à 20 ans revenant sur les traces de son enfance napolitaine sur les hauteurs du « Voméro », la colline qui surplombe la baie de Naples. Ce retour donne lieu à une fulgurance d’écriture très inventive, qui passe de l’anecdote détaillée autour de personnages hauts en couleurs à des réflexions sur le genre humain.
Lorsqu’il revient en septembre 1906 dans ce quartier qui abritait le « Palazzo Scalese », cette vaste maison entourée d’un jardin exotique dans laquelle il a vécu, Blaise Cendrars est en fuite. Il fuit son patron, avec lequel il a un grave contentieux, depuis le caravansérail de Téhéran, trois mois de poursuite mouvementée. Il découvre les lieux de son enfance complètement transformés, en proie à de nombreux projets immobiliers plus ou moins frauduleux ou contestables. Il est dans un sale état, crevé, perdu, à se demander qui il est.
Et il s’enterre, pour retrouver ses forces, ses racines, sa lumière. Il le fait dans le « clos Virgilii », jardin du tombeau de Virgile, au sommet de la colline, lieu des heures magiques passées en compagnie d’Elena ; il ne fait pas bon revenir dans le paradis de son enfance qui est un paradis perdu, le paradis des amours enfantines écrit Cendrars. Partant de là, le récit se déroule.
C’est un voyage dans le Naples du début du siècle, rempli de sonorités, d’odeurs, de musique, de misère et de richesse, c’est le voyage intérieur d’un être en quête de l’essence des choses. Par la force de ses évocations, il nous parle de l’histoire des humains, du grand théâtre du monde. Il évoque son amour pour la petite Elena, avec qui il découvre la beauté de la nature, et la nature de la beauté féminine ; il y a là une initiation à la sexualité à travers une évocation de la nature. C’est un texte euphorique.
Il s’agira de mettre en forme ce voyage dans l’enfance, d’emmener le spectateur sur ce chemin parsemé de poésie et de mystère, dans un univers rêvé.
Darius Peyamiras
Place Georges Pompidou 78054 Montigny-le-Bretonneux
Voiture : De Paris : Autoroutes A13 ou A86 (30 à 45 mn), RN 10 direction Saint Quentin en Yvelines. Sur la commune de Montigny le Bretonneux suivre la direction du Centre Commercial Régional
Parking : Centre Commercial Régional, SQY Ouest
Covoiturage : Le site internet du TSQY vous propose un module gratuit et sans création de
compte pour faciliter vos déplacements, accessible ici. N’hésitez pas à déposer votre annonce, ou à
répondre aux autres !