Quand il réfléchit sur la science, le philosophe Gaston Bachelard transporte sa pensée aux confins de la poésie. La matière traversée par l’esprit est gagnée de magnifiques puissances dynamiques. Là, rien de figé. Matière, dynamique, ouverture sur les forces de l’esprit : ces liens ne font-ils pas songer à ceux qui sous-tendent la danse ?
La chorégraphe Carolyn Carlson, touchée par L’Air et les Songes, maître-ouvrage de Bachelard, s’en inspire dans la pièce Pneuma, grande fresque de la respiration générale universelle. Sa poésie visuelle fait lire sur les corps une philosophie de l’humain à jamais travaillée par le mythe d’Icare, en tension entre l’aspiration vers l’envol, l’élévation et la réalité de l’ancrage terrien.
Carolyn Carlson donne là une pièce de vaste amplitude, à l’invitation du Ballet de l’Opéra National de Bordeaux. Vingt-deux danseurs évoluent dans un espace épuré, que la musique de Gavin Bryars et Philip Jeck rend aussi dense qu’irréel. Inlassablement relancées, les métaphores de l’envol se délient en ralentis de lignes pures, traversées d’immenses ondes, portés jubilatoires et spirales étourdissantes.
Une profusion saisissante des motifs se traduit paradoxalement dans un éther spirituel, cultivant le rituel d’un inextinguible désir d’élévation. Le Théâtre National de Chaillot, devenu pour deux saisons la maison de Carolyn Carlson, fournit l’espace à la mesure de pareille respiration.
Gérard Mayen
1, Place du Trocadéro 75016 Paris