Catherine Diverrès - Penthésilées

du 3 au 5 avril 2014
1h30

Catherine Diverrès - Penthésilées

Les représentations du féminin et du masculin
La grande Catherine Diverrès possède un univers singulier, à l’écart des modes. Pas d’intentions féministes dans Penthésilées, mais l’impérieuse nécessité de dire la difficulté des femmes et particulièrement des danseuses, pour concilier leur vie professionnelle et leur propre vie.

« Le mythe des Amazones et la figure de leur reine Penthésilée ont fait l’objet de nombreuses recherches et interprétations, tant du point de vue de l’iconographie qu’à la scène. Récemment installée dans la ville de Vannes, la compagnie Catherine Diverrès en fait un sujet chorégraphique. Tel un arc en tension, cette nouvelle création pour neuf interprètes est structurée en deux temps. Deux mondes, deux esthétiques qui s’imbriquent pour traiter de la dualité, du masculin et du féminin.

Danseurs et musiciens se sont emparés du sujet pour le réactualiser à l’aune de leurs propres expériences, confrontant le geste artistique aux stéréotypes et codes sociaux d’aujourd’hui. De l’Antiquité au texte de Kleist, de la danseuse à la femme d’aujourd’hui, des états de corps aux gestes guerriers, thèmes et motifs se forment, se croisent, mutent et se défont. Ainsi surgissent, telles des ombres qui apparaissent et disparaissent, ces diverses Penthésilées d’hier et d’aujourd’hui.

La rigoureuse précision de la danse se marie au ludique. Le jeu traverse le mouvement et les corps, il oscille de la présence à la représentation. Tantôt abstraite ou plus figurative, l’écriture se mobilise sous les variations multiples que les danseurs déclinent sur le plateau. Enfances de l’art, masques et pouvoir, drôlement stylisés, étrangement métamorphosés distordent le temps, brûlent les effigies, détrônent les clichés. Le « nous » de Penthésilées… nous parle sur différents plans, de l’intime au collectif, de la nécessité de changer nos modèles. »

Irène Filiberti

  • Penthésilées plurielles

Une autre époque est venue, avec l’arrivée dans le Morbihan et la ville de Vannes, de la compagnie Catherine Diverrès. Penthésilées… est la première création réalisée dans ce cadre. Elle s’inscrit juste après le solo «Ô Sensei», sensible retour sur soi d’où émanent, par vagues, des plages de mémoire, comme un bouleversant hommage vivant rendu au maître japonais de danse butô récemment disparu, Kazuo Ohno. Une figure de référence, on le sait, pour la chorégraphe qui est aussi – dans ce retour à la danse incarnant son propre mouvement vers l’origine – un regard sur le chemin parcouru. Il semble donc bien naturel, qu’un autre pas, en volte-face, bifurque encore vers une autre direction de travail. Le temps poursuit son oeuvre et Penthésilées… renoue avec le groupe. Cette pièce est la marque d’une nouvelle étape dans la démarche artistique déjà richement nourrie de la chorégraphe.

En abordant la figure de Penthésilée d’après le texte de Kleist, en jouant comme on le fait dans l’enfance, à partir de souvenirs intimes et de travestissement, sur des notions d’identité, de genre – les représentations du féminin et du masculin – les neuf interprètes de cette nouvelle création renouent avec le mythe. Les Amazones et autres archétypes, la Grèce ancienne et celle d’aujourd’hui.

Entre ces deux extrêmes du temps, danseurs et musiciens, s’emparent de cette problématique et la réactualisent à leur façon, confrontant le geste artistique aux stéréotypes et codes sociaux d’aujourd’hui. Catherine Diverrès accorde une attention toute particulière aux rires enfouis, enfuis de notre enfance. Comment rêves passés et présents s’enlacent, comment de frémissements en chuchotements, inconscient et réalité jouent à cache-cache et tissent la trame de la condition des femmes. Pensant aux artistes-interprètes avec lesquelles elle a longuement travaillé, la chorégraphe est entrée dans ce mouvement : « Je m’attache à « mes » héroïnes de chair et d’os, pour visiter ensemble, à partir d’elles, les lieux du féminin. C’est un peu comme une photographie, une cartographie intime. J’ouvre avec elles les portes de l’enfance. Etaient-elles de sages Camilles, de rebelles Sophies, comme dans livres de la Comtesse de Ségur ? L’identification découle de « modèles » que l’on épouse ou rejette. Guerrières, héroïnes tragiques, marquises libertines, muses romantiques, starlettes de cinéma, parfois grandes mystiques ou sévères hystériques, le sujet est infini. Aussi j’ai d’abord pensé aux femmes danseuses et mères pour la plupart. Des femmes que je connais pour avoir travaillé avec elles, il y a longtemps ou plus récemment.

Jeunes filles qui ont poursuivi leur vie d’artiste tout en conciliant leur vie de femme et de mère. J’ai souhaité pouvoir en réunir quelques-unes pour cette création. Le point de départ de cette pièce s’appuie sur cette réalité. La difficulté, pour les femmes en général, en particulier pour les artistes, les danseuses, de concilier vie professionnelle et privée, sans compter les espaces-temps liés à l’entraînement quotidien. L’attention, la rigueur qu’elles doivent porter chaque jour à la transformation de leur corps, la témérité pour se tenir dans cette aventure sensible de l’imaginaire et de l’engagement dans une équipe de création.

Cette réalité me bouleverse d’autant plus que le « jeunisme» de nos sociétés règne en maître, alors que l’éclosion des talents ne mûrit profondément qu’avec le temps, la résistance, la patience du coeur. Cette grâce mêlée de sensualité peut devenir aussi solaire que vénéneuse. Avec cinq d’entre elles qui souhaitaient partager cette nouvelle traversée, j’ai défini la structure et les matériaux de cette création. Les hommes y sont leurs ombres, inconscientes ou conscientes, fantômes, fantasmes. Ils sont aussi les incarnations projetées des pères, fils et frères, avec la part masculine qui leur est propre. Ou bien encore des hommes -poupées, objets de jeu, de désirs ou de peur. Des hommes pour cerner, troubler ou effiler leurs ombres, celles des femmes (et vice versa).»

Conçue en deux temps, Penthésilées présente un premier volet précisément chorégraphié, au plus près d’une écriture stylisée et cavalière, au plus libre d’une crinière au vent, de pas qui vont l’amble, de courses en arc qui se tendent, de balancements et d’armes qui font mouche. Le second, recentré sur la métamorphose des corps et le jeu, décline, en de multiples variations non dénuées d’humour ou de sens tragique, ses enjeux d’aujourd’hui.

Passé, présent et devenir s’inventent dans la perméabilité corporelle, son imaginaire comme ses représentations. Des ensembles dansés aux figures plus singulières et posées, peu à peu tombent les masques du pouvoir. Les images et les signes se dérobent, les habitudes se fissurent. Décloisonnement des genres, théâtre et danse, ou comment faire des choses avec les mots, dire avec le plus inapparent des corps et le mouvement, danser sur le commentaire du texte, phraser avec les gestes, convier masques, costumes, coutumes à travers la danse. Tous ces objets et problèmes dérangeants tant pour la perception de soi et des autres que pour l’histoire et les moeurs. Le « nous » de Penthésilées… est mélange. Il ramène la marge vers le centre. Il nous parle de pouvoir et de crainte, de combat entre vaincre et capture, de la nécessité de changer les modèles. Il interroge : comment construire une paix qui ne passe plus par la guerre ?

Irène Filiberti, mars 2013

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Spectacle terminé depuis le samedi 5 avril 2014

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