Pour tout public à partir de 10/11 ans.
Affronter l'horreur adulte
Dessine-moi un mouton ou dessine-moi l'actualité
Dramaturgie
Extraits
Réflexions
Ce qui a changé dans les guerres du XXe siècle finissant, c'est que les héros en sont des enfants. Enfants guerriers de l'Afrique ou de l'Asie, enfants victimes partout, ils se faufilent au milieu de la cruauté des adultes, se glissent dans les fissures des blocs de haine, maintiennent la mince flamme du rêve.
Un rêve souvent plus cruel que les adultes eux-mêmes ne sont, dans leur grande majorité, capables de le supporter. C'est ce que le texte de Maurice Yendt exprime avec à la fois une grande délicatesse et une parfaite lisibilité. Le jeune public se trouve de plain-pied avec ce qui se passe dans Ce qui couve derrière la montagne, où un de ces enfants de la guerre, dans une ville qui pourrait être Sarajevo, s'est construit une île déserte au cœur du désastre. L'irruption d'une adulte, cantatrice en rupture de culture, et d'un guerrier profiteur, met en lumière toute la dureté et toute la tendresse avec lesquelles l'enfance sait affronter l'horreur adulte…
Jean-Philippe Mestre, Le Progrès
Ce qui couve derrière la montagne est publié aux éditions Lansman.
Le répertoire théâtral pour les publics d’enfants et de jeunes repousse toujours un peu plus les limites que semblent lui inspirer certaines conceptions assez rétrogrades de la condition enfantine. Il surprend ainsi, très souvent, par son extrême diversité sur le plan dramaturgique comme sur le plan thématique.
Ce qui couve derrière la montagne est un texte qui s’inscrit dans la continuité du travail de recherche du TJA pour l’élaboration d’un nouveau type de répertoire théâtral à l’intention des jeunes spectateurs. Il s’inspire de constats faits depuis longtemps par tous ceux qui manifestent une authentique volonté d’écoute et de dialogue avec les jeunes d’aujourd’hui.
Comme beaucoup d’autres adultes, nous sommes fréquemment surpris par tout ce qui les intéressent, au-delà des idées reçues et des schémas convenus.
Un dossier et un article de Florence Noiville (Le Monde du 1er janvier 1999) nous rappelle opportunément que les enfants de 6 à 15 ans « dont on ne sait pas exactement, par ailleurs, quelle est la source privilégiée d’information - télévision, journaux pour enfants, écoles, parents ? - » n’ignorent rien des réalités du monde et révèlent toujours, quand on leur en donne l’occasion, un désir profond de les questionner, de les exprimer à leur manière.
Comment se fait-il, d’autre part, que le théâtre puisse sembler parfois un peu trop éloigné des problèmes de notre temps ? Que serait un théâtre pour jeunes spectateurs qui ne tenterait pas d’être en résonance avec les questionnements et les préoccupations des jeunes d’aujourd’hui ?
Dessine-moi un mouton ou dessine-moi l’actualité ? Il n’y a pas véritablement à choisir. La poétique théâtrale a des sources et des aspects multiples. L’essentiel est surtout de tenter de faire surgir du théâtre, là où on ne l’attend pas, à la rencontre de l’intelligence, de l’émotion et du plaisir.
Maurice Yendt
- Qu’est-ce que tu fais là ? dit Courfeyrac.
Gavroche leva le nez :
- Citoyen, j’emplis mon panier.
- Tu ne vois donc pas la mitraille ?
Gavroche répondit :
- Eh bien, il pleut. Après ?
Courfeyrac cria :
- Rentre !
- Tout à l’heure, fit Gavroche.
Et, d’un bond, il s’enfonça dans la rue.
Les Misérables, Victor Hugo
Il existe, pas très loin de nous, des enfants inconnus qui sont les frères éloignés de Gavroche. Izmir est l’un d’eux. Son histoire est celle d’un enfant de notre temps.
Une ville assiégée, soumise aux feux des combats de la guerre civile. Du côté de Beyrouth, de Sarajevo, de Grosny ou de Kigali... Izmir est rescapé de cette forme de naufrage. Il a une douzaine d’années. Livré à lui-même, il vit, ou plutôt survit, de combines et de chapardages.
Débrouillard et lucide, affichant une insouciance qui n’est pas toujours feinte, il s’est toujours habilement tiré d’affaire... Il a même su, comme Robinson Crusoë sur son île, aménager son propre refuge...
Mais cet abri est précaire. Ludmilla, une femme étrange, fait bientôt irruption dans son univers. Tout sépare Izmir et cette ancienne cantatrice qui erre depuis quelque temps dans la ville... Le danger frappe toujours à la porte. La vieille artiste et le garçon des rues se méfient l’un de l’autre. Mais, peu à peu, les deux solitudes se rapprochent et s’apprivoisent. Izmir retrouve, avec Ludmilla, un peu de sa famille disparue. Une complicité de plus en plus chaleureuse leur permet d’affronter « ce qui couve derrière la montagne ». La vie, toujours plus forte, reprend ses droits. L’espoir se réveille. On annonce la fin des combats.
Séquence 7
Bruit de détonation lointaine.
Izmir : C’est l’heure où ils recommencent.
Ludmilla : Les rues se vident. Les gens courent pour se mettre à l’abri. Apeurés et silencieux. Comme des rats.
Izmir : Pas moi. Moi, je n’ai jamais peur. Le soir, quand ils font du raffut, je sors dans la cour. Je grimpe dans l’arbre. De là-haut on aperçoit le ciel qui s’allume et devient tout rouge, derrière la montagne.
Ludmilla : Tes parents te laissent sortir ?
Izmir : Vous ne voulez rien comprendre. Je n’ai pas envie de vous parler d’eux... Vous êtes fatiguée ? Si vous voulez, je vous prête le fauteuil. Vous serez mieux dedans pour passer la nuit.
Ludmilla : Ce fauteuil est à toi ? Il ressemble à ceux que l’on voyait dans les loges, à l’opéra...
Izmir : Qu’est-ce que ça peut vous faire ? J’ai bien le droit d’avoir un fauteuil ? Vous le voulez ou vous ne le voulez pas ? Mais chacun dans son coin. Chacun chez soi. Personne n’a le droit de s’incruster chez moi. Personne n’a le droit d’entrer dans mon cercle...
Séquence 11
Ludmilla : Je voudrais tant sortir... Aller me promener, comme avant, le long de la rivière. Flâner au bord de l’eau. La rivière... Les crêtes de la montagne, au-dessus des toits de la ville. Le brouillard mauve sous le soleil d’été... Mon grand-père aimait tant regarder la montagne. Il s’asseyait dans l’herbe et l’observait pendant des heures. Il disait qu’elle cachait des blessures que l’on ne voyait pas. Je l’entends encore répéter : elle en a tant vu, elle en a tant vu... Il parlait souvent de sa jeunesse. Il avait vu plusieurs fois la guerre. Les grands-pères ont toujours une guerre à raconter. Et les jeunes se moquent toujours d’eux quand ils en parlent... Moi aussi... Je lui montrais en riant le grand ciel d’azur, les colombes qui venaient nicher sous notre toit... Mais il ne m’écoutait pas. Il regardait fixement la ligne bleue des sommets, de l’autre côté de la rivière. Il hochait la tête d’un air sombre. On ne sait jamais, disait-il, on ne sait jamais ce qui couve derrière la montagne...
Séquence 14
Izmir entre, poussé brutalement par le Milicien.
Ludmilla : Mais, que faites-vous ? Ne lui faites pas de mal !
Le milicien : C’est ici ? C’est ici que tu habites ?
Ludmilla : Bien sûr, bien sûr que c’est ici... Où voulez-vous qu’il aille.
Le milicien : Son père ? Vous êtes sa mère ?
Ludmilla : Izmir, mon petit... Mais qu’est-ce que tu as fait ?... Ses parents ? Vous voulez voir ses parents ? Je suis sa grand-mère... Il vit seul avec moi. N’est-ce pas Izmir ? N’est-ce pas mon garçon ? C’est moi qui m’occupe de lui, qui m’occupe de tout. Si on ne peut plus demander à un enfant d’aller chercher de l’eau...
Le milicien : C’est bon... Mais faudrait éviter de le laisser sortir. Il y a beaucoup trop de gosses qui traînent dans les rues... Des bandes de petits voleurs qui chapardent tout ce qu’ils trouvent... Certains sont armés et ont dévalisé des entrepôts, pourtant sous bonne garde. D’accord c’est la guerre mais quand les gosses s’en mêlent, il ne manque plus que ça... Alors, nous avons des ordres. Nous ramassons tous ceux qui n’ont plus de famille. On les regroupe dans la cour de l’ancien lycée et puis après, la Croix Rouge fait son travail... Mais, dites donc, vous n’êtes pas si mal dans votre trou... Allez, je m’en vais... Si vous avez besoin de quelque chose, je suis responsable du secteur. Facile de me trouver, je suis souvent dans le coin...
Le Milicien sort.
« En octobre 1997, l’Unicef a publié les résultats d’une première étude de ce type en Afghanistan sur les effets du conflit sur les enfants. Cette étude a établi que le traumatisme subi par les enfants de Kaboul était chronique, qu’il avait une répercussion sur leur développement émotionnel et altérait leur manière de se voir eux-mêmes et de voir l’avenir. 90 % des enfants interviewés (pourcentage inquiétant) étaient persuadés qu’ils allaient mourir pendant le conflit. Une majorité d’entre eux disaient qu’ils faisaient moins confiance aux adultes qu’avant les combats. La plupart d’entre eux souffraient de cauchemars, d’anxiété et de problèmes de concentration qui affectaient aussi leur appétit et leur aptitude au jeu. Presque tous les enfants interviewés avaient, parfois ou souvent, le sentiment que la vie ne valait pas d’être vécue. »
Amnesty International
« Combien sont-ils ces observateurs silencieux de guerres qu’ils ne comprennent pas ? Combien sont-ils, impuissants face à la folie des grands, muets devant la violence qui s’affiche chaque jour devant leurs yeux ? Combien sont-ils ces enfants ?
Mais il suffit parfois de quelques crayons de couleurs sur une feuille blanche pour que se dessine l’histoire d’une tragédie. Car les enfants de Bosnie et de Croatie se souviennent des temps heureux dans leur village. Ils racontent la destruction et la mort. Ils exigent justice et réparation.
Les enfants sont les grands exclus de toutes les considérations géopolitiques et diplomatiques. Mais rappelons-nous que ces futurs adultes risquent fort de ne pas nous pardonner le drame d’une jeunesse brisée. Leurs dessins nous appellent. Ne l’oublions pas. »
Philippe Biberson
Président de Médecins sans frontières
Préface du catalogue de l’exposition itinérante “Enfances interrompues par la guerre” - dessins d’enfants
« L’enfant exige impérieusement des jouets qui sont fusils, épées, canons et chars, ou soldats de plomb et panoplies de tueur. On dira qu’il ne fait qu’imiter ses aînés, mais je me demande si ce n’est pas l’inverse qui est vrai, car en somme l’adulte fait moins souvent la guerre qu’il ne va à l’atelier ou au bureau. Je me demande si la guerre n’éclate pas dans le seul but de permettre à l’adulte de faire l’enfant, de régresser avec soulagement jusqu’à l’âge des panoplies et des soldats de plomb. Lassé de ses charges, l’adulte mobilisé se démet de toutes ses fonctions et s’amuse avec des camarades de son âge à manœuvrer des canons, des chars et avions qui ne sont que la copie agrandie des joujoux de son enfance. Le drame est que cette régression est manquée. L’adulte reprend les jouets de l’enfant, mais il n’a plus l’instinct de jeu et d’affabulation que leur donnait leur sens originel. Le sérieux meurtrier de l’adulte a pris la place de la gravité ludique de l’enfant dont il est le singe. »
Michel Tournier, Le Roi des Aulnes
« Fonder un théâtre permanent pour jeunes spectateurs, écrire et mettre en scène des textes susceptibles de les éveiller, dès le plus jeune âge, aux réalités du monde et de la vie sont aussi des formes d’engagement artistique pour la reconnaissance des droits de l’enfant. Car le dénominateur commun entre tous les enfants du monde reste qu’ils ne sont que très rarement, quelle que soit la société à laquelle ils appartiennent, abordés et traités en tant que « personnes ».
Sur ce plan, il n’y a en définitive que très peu de différence entre les enfants affamés du tiers monde et les enfants repus des pays industrialisés. Les uns comme les autres se heurtent à la même incompréhension de la part des adultes. Tous sont confrontés aux même processus d’asservissement social et culturel. »
Maurice Yendt
« Il n’y a pas de mission plus importante que de construire un monde où tous nos enfants peuvent grandir en réalisant tout leur potentiel, dans la Santé, la Paix, et la Dignité. »
Kofi A. Annan, Secrétaire Général des Nations Unies.
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