Pendant 50 ans, moi, j’ai caché qui j’étais. La société, qui n’aime que la normalité, comprenez celle du plus grand nombre, m’imposa l’éducation qui va de pair avec mon genre. Elle a choisi pour moi, car la société doit savoir, pour nous classifier. Classée garçon par le sexe je devais être garçon par le genre. Viril, je l’ai été, mais derrière ce genre exacerbée, je protégeais cet autre « moi » qui continuait de grandir, habitée par l’espoir qu’un jour elle pourrait vivre à son tour. Je partis donc vers l’opération, destination bonheur. Boules de billard électrique, nos vies sont souvent chaotiques. Nous descendons la pente vers une sortie inévitable, de rebond en rebond. Les plus chanceux héritent d’une boule supplémentaire. Ce fut mon cas : nouvelle vie, nouvelles règles. Choisir de vivre est un livre devenu pièce de théâtre, qui parle de souffrance et de détresse mais aussi d’amour et de joies, témoignages d’une victoire sur l’Interdit.
En détachant mon histoire de sa réalité écrite, en la faisant entrer dans le domaine de l’imaginaire, Franck Berthier l’a rendu universelle. Elle rentre ainsi dans l’histoire des différences qui font aussi la richesse de l’humanité.
Depuis deux ans je cherchais à aborder la question du genre. J’ai vu beaucoup de films, reportages et lu aussi beaucoup. Le déclic se fit à la découverte du livre de Mathilde Daudet, Choisir de Vivre.
En parcourant ce récit de Thierry devenu à soixante ans Mathilde, après des années d’emprisonnement dans un corps qui n’était pas le sien, j’eu la certitude qu’un jour je la rencontrerai. Il y a des évidences, des reconnaissances d’âme qui vous propulsent dans la découverte de l’autre en sachant profondément que vous en connaissez les rouages, les doutes.
La rencontre fut aussi évidente que la lecture du roman le fût. Mathilde et moi appartenons pour des raisons différentes à la famille des survivants. Il y a une compréhension commune et immédiate du sens de la vie. Aussi je lui proposais l’adaptation de son roman pour la scène. La réponse ne se fit pas attendre et c’est à 4 mains que nous avons démarré le travail.
Nous avons gardé le double Mathilde/Thierry comme pivot du récit et avons projeté l’intrigue dans un espace mental qui n’est pas si éloigné de nos empêchements et interdits.
Je tenais beaucoup à ce que la voix de Mathilde soit entendue par celle d’une autre femme. Il était évident que seule une femme, terriblement et diablement femme s’approprie cette parole, ce récit, ce témoignage.
Nathalie Mann apparut alors sur mon chemin et de nouveau ce fût une rencontre et une évidence. Nathalie, immense actrice à la carrière riche autant au cinéma qu’au théâtre ou à la télévision a cette voix si particulière dans laquelle résonne rage, colère et douceur. Nathalie est un combat à elle seule et que rêver de mieux pour incarner le combat de Mathilde.
« À une époque où règne la confusion ne dîtes jamais c’est naturel, dans la règle trouvez l’abus et partout où l’abus s’est montré, trouvez le remède. Ne dîtes jamais c’est naturel ». Cette parole de Brecht provoque en moi un écho puissant et me pousse à proposer cette parole pour un avenir de liberté, d’acceptation des différences et d’amour. Vivre pour ne pas mourir, se libérer de ses entraves afin de gagner sa vérité, se rapprocher de soi en le respectant et en apprenant à l’aimer, voilà le chemin que Mathilde m’inspire.
Aussi je compte travailler sur un espace réduit, minimaliste, permettant le travail du détail, et laissant au récit toute sa puissance. Pas d’artifice mais la nudité des mots et la présence de l’actrice contrainte à une partition chorégraphiée, jouant de la lumière et de l’univers sonore.
Cette femme devenue femme par choix a décidé de faire mourir Thierry afin de lui survivre en acceptant les regards et violences de la société. Cette femme, héroïne des temps nouveaux nous oblige au respect. A travers cet acte ne provoquerait-elle pas chez nous le besoin de respecter ce que nous sommes dans nos différences ? Pour ma part elle m’ouvre un chemin de liberté que je n’avais que rarement ressenti auparavant.
Je vous invite tous à emprunter ce chemin pour découvrir nos différences, nos paradoxes et réaliser que nous ne sommes pas si éloignés les uns des autres.
Franck Berthier Juillet 2017
Sur un thème que l'on croit connaître : une femme née dans un corps d'homme., une magnifique évocation d'une vie hors normes. Tant par le texte, l'originalité de la mise en scène que la qualité de l'interprétation, ce spectacle est totalement enthousiasmant !
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Sur un thème que l'on croit connaître : une femme née dans un corps d'homme., une magnifique évocation d'une vie hors normes. Tant par le texte, l'originalité de la mise en scène que la qualité de l'interprétation, ce spectacle est totalement enthousiasmant !
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