Edmond Rostand, 29 ans, assistait pétrifié à l’incarnation par Coquelin de son Savinien de Cyrano (Cyrano, le vrai, source d’inspiration de Rostand) devenu Cyrano de Bergerac et s’excusait en coulisses, entre chaque acte, de l’avoir entraîné dans une telle galère. Rien n’annonçait le triomphe que ce fut.
Comme tous les grands archétypes du genre humain, comme Don Quichotte, comme Quasimodo, Cyrano reste intact, impeccable. Il cache son âme d’amoureux transi sous sa carcasse de mousquetaire. On l’aime pour sa fragilité et on l’aime pour sa force. Il est notre plus précieux remède contre la disgrâce et la désillusion. Tous les cœurs subissent son influence et tous les coeurs se consolent avec son panache. En fervent combattant de l’hypocrisie, de la lâcheté, du mensonge, il nous donne la force de mourir sans désespérer, il nous donne la force d’être des héros.
Comédie héroïque en cinq actes, c’est ainsi que Rostand définit sa pièce où se chamaillent actions comiques et dramatiques, où s’infuse la délicatesse des sentiments. Et d’ajouter dans son discours de réception à l’Académie Française en 1904 : Plaisanter en face du danger c’est la suprême politesse, un délicat refus de se prendre au tragique ; le panache est alors la pudeur de l’héroïsme, comme un sourire par lequel on s’excuse d’être sublime. L’esprit qui voltige n’est-il pas la plus belle victoire sur la carcasse qui tremble.
- Pouvez-vous nous parler de cet archétype qu’est le personnage de Cyrano et qui, à l’instar de Don Quichotte ou de Quasimodo, a traversé les âges ?
- Pourquoi un personnage devient-il un mythe ? Pour Cyrano, il y a sa verve extraordinaire, sa fougue, ses contradictions, la complexité d’un personnage qui hérite de tant de figures : Matamore, d’Artagnan, Alceste, sans parler du Cyrano historique, amant, savant, bretteur, poète. Pour un acteur, c’est un peu un Everest parmi les rôles. Un sommet qui reste un défi, parce qu’il suscite beaucoup d’attente chez le public. Tout le monde connaît ou croit connaître cette pièce. En fait, elle fourmille de détails surprenants, qu’on n’en finit pas de redécouvrir. Elle donne toujours un peu plus que ce qu’on croyait.
- Comment appréhendez-vous ce personnage ?
- Dans un premier temps, je me suis dit tout simplement qu’il fallait le prendre un peu au pied de la lettre. Si je monte Cyrano, je dois assumer de me confronter à un texte populaire. Pour moi, c’est un exercice difficile et inattendu, dans un registre très nouveau. La première étape du travail, pour moi, consiste à ne pas esquiver les données qui font partie du charme : le brio, les mousquetaires, les duels. Il y a un plaisir enfantin à cela, mais il ne doit pas devenir infantile, et sans faire le malin avec la pièce ni succomber à la facilité, il faut tenter d’approfondir les situations, gagner en subtilité et en sincérité.
- Pour cela, vous avez choisi un acteur compagnon...
- Oui. Je crois que pour tout metteur en scène, la première question que pose Cyrano, c’est celle de son interprète. Il faut un acteur qu’on admire, avec qui on partage un rapport de confiance, une façon d’aimer le travail ensemble. Avec Patrick Pineau, j’ai monté de nombreux spectacles, du Labiche, du Feydeau, mais aussi des pièces contemporaines ou des pièces de Brecht. Il a une force comique d’une générosité absolument merveilleuse, et en même temps du mystère, du secret, de la violence. Il porte cette contradiction de Cyrano, qui est un personnage blessé, qui croit impossible qu’on puisse l’aimer. Cyrano est fort pour masquer sa fêlure. C’est l’enjeu de la pièce. Ce qui est très beau, c’est que cet être qui porte une blessure intime refuse qu’on le plaigne. Il se défend à lui-même de parler d’amour – et il défend au monde entier de parler de son nez. Lui seul en a le droit.
Ces deux interdits créent une tension verbale et humaine extraordinaires. Le nez dont il parle couvre le silence gardé sur son amour : son obscénité est le masque de sa pudeur. Quand Cyrano entre en scène, c’est pour en expulser un mauvais acteur qui massacre la langue en faisant les yeux doux à Roxane. Cyrano vient prendre littéralement sa place : il fait le spectacle, récite des vers, joue un rôle, celui de Cyrano. Mais tout ce rôle et tous ces mots naissent, comme le lui dit son confident Le Bret, de ce qu’une certaine femme ne l’aime pas. Cette femme, il l’a choisie « la plus belle qui soit » : puisque l’amour est impossible, autant assumer cette impossibilité et la rendre sublime en la portant à son comble !
De même, puisque l’aveu sincère, naïf, lui est interdit, autant devenir un maître du langage : au lieu du silence, autant choisir la parole virtuose, le « panache » d’un rôle qui transcende la douleur secrète. Il y a des paradoxes, dans la logique de Cyrano, qui font que l’on jubile : on rit et on l’admire, en même temps.
- Rostand, lors de son discours de réception à l’Académie Française, dit : « Plaisanter en face du danger, c’est la suprême politesse, un délicat refus de se prendre au tragique ; le panache est alors la pudeur de l’héroïsme, comme un sourire par lequel on s’excuse d’être sublime. L’esprit qui voltige n’est-il pas la plus belle victoire sur la carcasse qui tremble ? »
- Il connaissait parfaitement son personnage ! La pudeur est une dimension importante. Cyrano n’est pas du genre à gémir. Il s’est jugé, et il s’assume. Au début, la mort serait la solution de ses problèmes. Il la provoque, mais elle ne veut pas de lui. Puis il fait la connaissance de Christian. Le drame va se nouer en quelques semaines. Et à nouveau, la mort ne voudra pas de Cyrano. Du coup, pendant quinze ans, il tiendra le rôle du vieil ami, pour cacher l’amour de sa vie. C’est un vrai drame.
- Qu’en est-il du personnage de Roxane ?
- Roxane, c’est la jeunesse, c’est la beauté : celle du corps et celle de l’esprit. Celle du bel esprit, même. Elle se pique de poésie. C’est une précieuse, qui se passionne pour l’analyse subtile du sentiment amoureux et les raffinements du langage qui l’exprime. Et elle veut que son bien-aimé soit à son image : un bel esprit dans un beau corps.
C’est peut-être naïf ou superficiel, mais elle est jeune, fougueuse, et entière : elle, qui a tout, veut tout. Du moins au début. Sous l’effet de l’éloquence magnifique de Cyrano, elle va évoluer, découvrir une autre beauté plus haute et plus profonde. Du bel esprit, elle va passer à l’esprit tout court, au coeur, à l’âme.
Elle est éblouissante, touchante, contradictoire, une digne cousine de Cyrano ! Pour répondre à son désir, au début, ils ne sont pas trop de deux : Cyrano plus Christian, l’un pour fournir l’esprit et l’autre pour l’incarner. On est plus près du pacte faustien que du trio de vaudeville. Ce n’est pas la femme, le mari et l’amant, mais l’amour, l’ami et la mort.
Cyrano devient le scénariste du beau garçon, son imprésario, son dramaturge, son metteur en scène, son répétiteur, son souffleur, tout cela pour les beaux yeux de Roxane. Il y trouve un certain bénéfice, bien sûr : celui de l’aveu amoureux, mais de l’aveu inavoué, en quelque sorte. Et au milieu de la pièce, à un moment qui est son sommet lyrique, il prête non seulement ses mots à Christian, mais sa voix et la flamme de sa sincérité. Cyrano parle pour Christian, et en le faisant, il parle enfin pour lui-même. En faisant l’acteur, en endossant le rôle de celui qu’on aime, il parvient enfin à exprimer son amour. Comme si le théâtre était pour lui le seul accès possible à sa vérité. Si la pièce est une telle réussite populaire, elle le doit à ces personnages très concrets, attachants, déroutants, qui vivent des expériences si troublantes en traversant des situations si peu réalistes. C’est toujours le langage qui fait avancer l’histoire, c’est ce grand style lyrique et non dénué d’ironie qui fait tenir tout cela ensemble.
« Cyrano, c’est un peu comme le sourire de Jean Rochefort : on ne sait s’il sourit vraiment ou esquisse une légère aversion. C’est que ces quelques 2600 vers – dont 1600 pour le rôle titre – sont juste au point de bascule entre l’almanach, la chanson de geste et le roman d’aventure. Des poussées de fièvre cocardière nous en éloignent, l’amour de l’art, du théâtre et de la poésie nous en rapproche.
Lorsque, venant saluer les comédiens, en février, je restais discrètement dans la salle de répétitions, je me fis cueillir par le texte en moins de cinq minutes. C’était l’acte V, la visite hebdomadaire de Cyrano au couvent, Soeur Marthe qui découvre son état, juste avant que Roxane ne s’en rende compte. La langue de Rostand intrigue immédiatement. Comme si elle cachait quelque chose, et que, derrière ce qui semble camelote qu’on enfile, il y a une émotion intense qui jamais ne se perd, un poème sur la vie.
Le personnage ne lasse jamais, les cadets, un peu. Et les confrères de Ragueneau. Au final on est séduit par ce diable d’homme, cultivé, élégant, sensible, intrépide dans lequel on rêve de s’incarner. « Chaque homme est partagé entre tous les êtres qu’il
voudrait être », et Cyrano est l’un d’entre eux.
Et puis, la première arriva, en plein air, à l’Odéon des Nuits de Fourvière, après 20 jours de répétitions épouvantables, le vent, la pluie, le froid. Et dans la fougue, dans la vaillance qu’il fallut pour servir le théâtre, il y eut soudain en ce premier soir clément, un vrai combat pour l’art, une revanche sur les éléments. Patrick Pineau lunaire happé par son personnage, Roxane parfaite, tendre et résolue, Marie Kauffmann. Et le ballet
parfait et saisissant des De Guiche, Ragueneau, Lebret, Christian, toutes et tous bien sûr, défendant passionnément le théâtre qui les unissait. »
« Patrick Pineau endosse avec brio les habits de Cyrano de Bergerac. » Philippe Chevilley, Les Echos, 04 octobre 2013
« Georges Lavaudant s’empare de la pièce d’Edmond Rostand avec une finesse qui fait mouche, réussissant une de ses meilleures mises en scène. » Hugues Le Tanneur, Les Inrocks, 30 septembre 2013
« Un esprit de liberté, d’humour et d’élégance française flotte sur ce spectacle, au-delà de la convention.» Philippe Chevilley, Les Echos, 04 octobre 2013
« Du panache, Patrick Pineau en a jusqu’au bout, poussant l’élégance jusqu’à s’éteindre en douceur et en murmure. « À la fin de l’envoi, je touche » : le programme est rempli de bout en bout. » René Solis, Libération, le 5 juin 2013
« Georges Lavaudant réinvente la pièce de Rostand comme un rêve. Un conte et légende bravache traité sur le mode quasi fantastique. Un esprit de liberté, d’humour et d’élégance française flotte sur ce spectacle, au-delà de la convention. Vêtue de costumes chatoyants, toute la troupe s’investit à fond dans ce délire romantique, entourant avec allégresse leur héros de Bergerac. La fluidité de la mise en scène qui passe subtilement de la comédie au drame rend le classique aérien, céleste... » Philippe Chevilley, Les Échos, le 6 juin 2013
« Sa version à lui, allégée, vive et songeuse, dure deux heures et demie. Deux heures et demie qui passent comme un rendez-vous sous un balcon. Version Lavaudant ? Une pièce rêvée qu'on aurait lue, vue, perdue de vue cinq cents fois, et ce qu'il en reste quand on ferme les yeux. » Francis Marmande, Le Monde, le 10 juin 2013
« Acteur de théâtre peu connu du grand public, Patrick Pineau, vieux complice de Georges Lavaudant, compose un Cyrano plein d’humour et de gouaille, qui emprunte à Depardieu et à Belmondo, mais sait aussi émouvoir en amoureux blessé. Verdict ? Version classique mais très réussie, qui met en valeur les sublimes alexandrins de Rostand. » Thierry Dague, Le Parisien, le 7 juin 2013
« Une version pleine de flamme. Patrick Pineau n'a rien à envier à ses prédécesseurs. Il incarne le fin bretteur avec une gouaille et un entrain qui rappellent à la fois la sincérité d'Alceste dans Le Misanthrope de Molière et les fanfaronnades d'un Jean-Paul Belmondo dans Le Guignolo. » Nathalie Simon, Le Figaro, le 5 juin 2013
« Malgré les vraies longueurs du récit, malgré les alexandrins ici inaperçus, le Cyrano de Lavaudant ne souffre d’aucune baisse de rythme. Ce petit miracle, on le doit à la performance de la distribution, parfaitement homogène autour de l’omniprésent Patrick Pineau dans le rôle-titre. » Francoise Monnet, Le Progrès, le 5 juin 2013
« Le spectacle de deux heures trente, respectueux du texte original, devrait plaire à un large public qui regardera avec plaisir Patrick Pineau habiter le rôle (et le nez) de Cyrano. » Céline Pauilhac, Culturebox, le 4 juin 2013
« Les fulgurants Patrick Pineau et Frédéric Borie seront Cyrano et Christian dans la mise en scène imaginée par Georges Lavaudant : la promesse d'un feu d'artifice théâtral tant les deux acteurs sont réputés pour la générosité et l'énergie de leur jeu et le metteur en scène pour l'originalité de ses créations et la pertinence de sa direction d'acteurs. » Julie Cadilhac, BSC news, le 17 mai 2013
Un Cyrano comme celui-ci, le théâtre français ne nous en donne pas si souvent... alors courez-y ! C'est humble, noble, fin et divertissant.
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Un Cyrano comme celui-ci, le théâtre français ne nous en donne pas si souvent... alors courez-y ! C'est humble, noble, fin et divertissant.
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