Faire parler des bêtes, c’est tout le génie de Colette qui chante « la triste tendresse qui fait battre si vite le cœur des bêtes ».
Faire parler un chat, un chien, pénétrer un monde mystérieux, drôle, cruel et tendre, c’est tout le génie de Colette. Donner à entendre ceux qui nous observent, nous reniflent, nous pressentent, ceux qui nous adorent bien au-delà de ce que nous pouvons imaginer est bouleversant, parfois hilarant. Colette chante « la triste tendresse qui fait battre si vite le coeur des bêtes ». Et aussi la révolte qui fait battre si fort le coeur des femmes : « Je veux faire ce que je veux. » Au gré des personnages qu’incarne Lara Suyeux, les dessins de Cyrille Meyer prennent vie.
Une rencontre magique entre théâtre et dessin. Et le plus puissant des charmes : la langue de Colette.
C'est grâce à Lara Suyeux que j'ai retrouvé Colette. En juin dernier, elle m'a proposé de préparer avec elle une lecture de Dialogues de bêtes. Puis la lecture est devenue un spectacle, dans lequel Lara incarne tous les rôles, accompagnée sur le plateau par le dessinateur Cyrille Meyer.
Colette, je l'avais dévorée il y a longtemps. D'abord les Claudine et puis... tout. Colette l'enchanteresse. « On lit Colette, et on oublie les mots ... on lit, on vit. » écrit J.M.J. Le Clézio.
Dialogues de bêtes est un texte étonnant. Colette donne la parole à deux bêtes, un chat et un chien, Toby-Chien et Kiki-La-Doucette. Ils parlent de leurs maîtres, les Deux-Pattes, Lui et Elle - Willy et Colette. Plusieurs tableaux pour accéder au « cœur des bêtes », en révéler la beauté, la pudeur, la vulnérabilité, le côté fantasque aussi.
Le chat et le chien servent à Colette de masque pour faire entendre sa vérité, celle de sa relation au monde, et aussi la vérité des relations entre les êtres entre chien et chat, entre Lui et Elle...
Dans les premiers tableaux, tout respire « le charme discret de la bourgeoisie » au début du XXème siècle : Lui et Elle à la campagne, Lui et Elle en voyage... tels que Cyrille Meyer les a si finement dessinés.
Dans le dernier tableau Toby-Chien parle, Elle se retrouve seule, sans Lui - avec le chat et le chien. Les bêtes l'accompagnent dans sa découverte d'elle-même. Colette renverse la table et arrache un dernier masque, celui de la femme mariée.
« Je veux faire ce que je veux. Je veux jouer la pantomime, même la comédie. »
Colette écrit ça en 1905. Elle décide de vivre en marge. Devenir vagabonde, déclassée, pour échapper au jeu de rôle de la bourgeoisie L'homme écrit, gratte le papier. La femme ramasse des mirabelles. Elle doit veiller à ce qu'on dîne à l'heure.
Imposture, mensonge des premiers tableaux qui cachent la vérité - puisqu'en réalité, c'est Elle qui écrit, qui gratte le papier. Ça ne sera pas dit, mais c'est aussi de ça qu'il s'agit. Et Colette reprend sa liberté. Évasion réussie.
Nous allons partager avec le public l'histoire de cette évasion, lui proposer un voyage pour retrouver Colette. Colette dont le visage change de tableau en tableau, Colette qui parle tout haut par la bouche des animaux et qui écrit dans L'Entrave:
« Être libre !... Je parle tout haut pour que ce beau mot décoloré reprenne sa vie, son vol, son vert reflet d'aile sauvage. »
Elisabeth Chailloux
53, rue Notre Dame des Champs 75006 Paris