A la croisée du mythe et des mouvements d’avant-garde de la modernité, Gertrude Stein, qui aimait à faire se rencontrer le tout Paris des arts du XXéme siècle naissant dans son salon du 27 rue de Fleurus, s’autorise toutes les audaces en s’emparant de la légende de Faust et son fameux pacte avec le diable, pour transmuter le roman dans un geste artistique définitif en un opéra électrique.
Goethe devra se faire une raison et accepter de partager son pré carré avec Freud et Lewis Caroll pour ne citer qu’eux... Car, cette entreprise à caractère ludique convoque pour parvenir à ses fins aussi bien une vipère, qu’un chien qui dit merci et un petit garçon. Ici, une seule règle… C’est la musicalité des mots qui fait sa loi. Alors tout se démultiplie dans le dictat d’une rythmique d’une précision sans faille qui fait que Marguerite se retrouve du coup affublée de quatre prénoms.
Adapté par Olivier Cadiot, l’oeuvre mise en musique par Rodolphe Burger devient un merveilleux champ d’expérience pour Ludovic Lagarde qui avec tendresse et sans nostalgie, la raconte pour aujourd’hui.
Des chansons s’intercalent dans cette pièce aux accents de conte, des personnages non annoncés apparaissent au gré des scènes, la structure classique esquissée se détraque – pas le rythme.
Ici au commencement, Faust a déjà pactisé avec Mephisto, un diable de pacotille : Faust seul dispose de la lumière, la lumière électrique. De son côté Marguerite Ida et Helena Annabel, oui Marguerite a ici quatre prénoms, en promenade dans les bois, se fait mordre par une vipère. Et c’est Faust qui la sauve, l’air de rien.
Passe le temps, pas la mélancolie ; dans ce monde artificiel, Faust est exclu de la commune nature – maître et possesseur de la lumière, il n’y a plus pour lui de jour, il n’y a plus pour lui de nuit. Solitaire déçu.
Sur l’autre bord, la vipère est apprivoisée, Marguerite Ida et Helena Annabel, comme une apparition parmi ses chandelles, a rencontré Mr Overseas Man, c’est l’amour. Il paraît qu’elle aussi possède désormais la lumière.
Mais alors, si une autre dispose de la lumière, le pacte diabolique se défait. Libéré, Faust veut juste être lui-même et, désir retrouvé, il aspire étrangement plus que tout à aller en Enfer avec Marguerite. Il convoque Mephisto, second pacte déroutant, et s’entend dire qu’il lui suffit de commettre un péché, de tuer ses deux compagnons, le chien qui dit merci et le petit garçon. En route pour l’Enfer, le diable lui accorde en sus l’éternelle jeunesse.
Mais non, l’Enfer, ce sera sans Marguerite : elle ne le reconnaît pas, jeune il n’est plus Faust, et puis de toute manière elle en aime un autre.
De son côté Faust chante toujours seul : Leave me alone / Let me be alone.
Marion Stoufflet
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