Tout public à partir de 10 ans. Tarif pour les moins de 26 ans disponible au théâtre.
Note d’intention
A propos de l’oeuvre
Don Quichotte au fil du temps
Une scénographie livresque
La marionnette
Extrait : Un château
« Nous nous sommes emparés d’une petite partie de cette oeuvre parce que le cauchemar de Don Quichotte, fait de bagarres incessantes, d’utopie dévastatrice, de chute, d’énergie mal employée, de rêves fous, nous semble résonner 400 ans après sa création. Ce roman de chevalerie qui se cache sans se cacher doit trouver sa place dans le panthéon personnel de nos enfants, lui qui a fait de Don Quichotte, Dulcinée, Rossinante, des noms communs et donné aux moulins à vent leurs lettres de noblesse. Que d’idées humanistes derrière ces folles aventures, drôles poignantes, cruelles ! Don Quichotte tout sentiment, Sancho, instinct pur de l’utile. Deux aspects de la nature humaine qui dans la vie s’accordent. Pour quoi se bat Don Quichotte ? pour la gloire ? pour vivre, pour survivre ? Il n’est pas ce personnage du passé, décalé et fou. C’est peut-être son siècle qui a oublié ce que devrait être l’homme : valeureux, généreux, affable, intrépide. »
Grégoire Callies
Le spectacle met en scène la première partie de l’oeuvre, récit en prose, écrit probablement entre 1598 et 1604 et publié en 1605 à Madrid. Dix ans plus tard, en 1615, parut une deuxième partie qui est en quelque sorte l’illustration, l’interprétation et la conclusion définitive de la première.
Il s’agit de l’histoire d’Alonso Quixano, imaginaire gentilhomme campagnard ("hidalgo") qui, en s’adonnant à la lecture des romans de chevalerie, découvre ses propres tendances fondamentales : les vagabondages sans frein de son imagination, le lyrisme ému de son âme simple, candide et généreuse. Il se plonge tellement dans ses livres qu’il fait siens les idéaux pour lesquels se battaient les chevaliers errants : les idéaux de paix, de justice, d’une justice imprégnée d’amour.
Après avoir fourbi les vieilles armes de ces ancêtres et s’être fabriqué une visière en carton, Alonso Quixano ennoblit son cheval décharné en l’appelant Rossinante et prend lui-même, comme nom de bataille, celui de Don Quichotte de la Manche. Puis, il choisit, comme Dame de ses pensées, une paysanne, en la transfigurant sous le nom de Dulcinée du Toboso. Il choisit comme écuyer un paysan de sa bourgade : Sancho Pança qu’il attire par l’appât d’un gain important et le mirage d’une île dont il deviendrait le gouverneur. Les voilà donc ensemble, le chevalier et son écuyer, sur les chemins déserts de Castille ; l’un, couleur d'olive, grand et décharné, monté sur Rossinante ; l’autre rubicond, dodu et trapu, sur son âne.
Don Quichotte, c’est avant tout une histoire humaine, entre deux personnages que tout semble opposer…
Don Quichotte symbolise le chevalier des temps modernes, fasciné par l’aventure, qui a la folie de vouloir décider de son destin, défendre les opprimés et redresser les injustices de la société. Il renvoie à la posture de l’artiste : quelqu’un qui a des visions que les autres ne voient pas, qui décide d’en faire oeuvre pour les montrer et les partager. Il évoque aussi la démarche de l’acteur, qui se tient entre son rôle et sa propre personne, entre le rêve et le concret. Don Quichotte s’affranchit de la triviale de la réalité mais montre, dans certains passages du livre, qu’il reste toutefois conscient de l’illusion. Il est l’emblème de la friction entre la fiction et le réel, entre le mensonge et la vérité.
Sancho Pança est d’abord le paysan qui ne sait ni lire ni écrire et qui ne brille pas particulièrement par son intelligence. En discutant avec Don Quichotte, il évolue. La relation entre Sancho Pança et Don Quichotte dépasse le comique. S’instaure entre les deux personnages un véritable échange, l’un déteignant sur l’autre, en une merveilleuse métamorphose réciproque.
Les interprétations ont évolué selon les époques. A l’ère des Lumières, Don Quichotte apparaît comme un personnage naïf et ridicule, emblème de l’Espagne décadente. C’est une première lecture comique de Don Quichotte. Les lectures philosophiques n’apparaissent qu’à partir du romantisme pour se prolonger vers le XXe siècle. Le XIXe siècle le voit en hidalgo romantique malheureux, tandis que le XXe siècle en fait un héros christique qui dit vainement la vérité au monde aveugle. Par ailleurs, il perdure dans l’imaginaire populaireà travers les représentations des peintres, Goya, Daumier, Gustave Doré, Picasso… Mais aussi des compositeurs comme Richard Strauss qui réalisa en 1898 un poème symphonique au nom du héros.
La modernité de Don Quichotte met en scène la crise de la représentation et du savoir, instaurant le doute quant au langage et son rapport avec le réel. Don Quichotte se construit un destin qui n’a pas de prise avec la réalité. Ses objectifs ne vont pas avec la réalité de son temps.
L’analyse critique que Cervantès brosse de son époque résonne encore fort aujourd’hui. Dans le creux des phares, il écorne la puissance belliqueuse de l’Espagne qui dominait la planète en ce Siècle d’Or, il tourne en farce les pièges du pouvoir, il introduit des témoignages d’immigrés expulsés. Il fait également un plaidoyer pour la paix en décrivant la ronde infernale de la mort et les soldats avalés dans le cycle insensé de la guerre. “La paix est le plus grand des biens que les hommes puissent désirer dans ce monde. ” écrit-il. Tous ces thèmes agitent encore et toujours notre monde moderne.
À travers Don Quichotte, Cervantès touche l’essence même de l’humanité. Don Quichotte et Sancho Pança incarnent un pays, une époque, un monde et leurs personnages, comme les situations qu’ils vivent sont aujourd’hui encore d’une actualité étonnante.
"Quelque chose me frappe en tout premier lieu : cette vertu de modernité du personnage. Tout le monde rêve de ce Don Quichotte. C’est un mythe occidentalétonnamment présent. Mais est-ce si surprenant ? Les mythologies de l’adolescent d’aujourd’hui sont faites de ces bagarres chevaleresques. Les héros virtuels n’offrent-ils pas à nos enfants leurs armures pour affronter le monde ?
L’Univers que nous propose Cervantès est aussi virtuel que celui des jeux d’aujourd’hui. Son héros a été fabriqué par ses livres, par cette culture transgénérationnelle. Tout le fantastique d’aujourd’hui et d’hier est dans cet univers de livres. S’impose alors à moi le choix d’une bibliothèque comme zoomée, où les échelles et les rapports de proportion s’effacent : les comédiens y sont des pantins et les marionnettes y deviennent des géants. Les codes théâtraux n’y sont plus tout à fait en phase tout comme, je crois, Don Quichotte est déphasé dans l’univers où il circule. La subsistance de ce mythe se fonde sûrement dans ce déphasage.
Les livres aujourd’hui semblent appartenir à l’ancien monde. C’est un vieux support. C’est sur lui que j’ai choisi de projeter du langage futur. Les livres contenus dans la bibliothèque sont donc transformés en espace de projection. Leurs illustrations s’animent d’images qui se rapprochent de toiles peintes contemporaines, de gravures ou d’images d’actualité. Une image de demain imprimée sur le vieux livre qui représente pourtant lui aussi tout un monde impalpable, mental, virtuel… J’ai voulu jouer de cette contradiction."
Jean-Baptiste Manessier, scénographe
Les origines du castelet
En français, le dispositif plus ou moins branlant que les montreurs tiraient de leurs charrettes et tirent aujourd’hui du fond de leurs camions s’appelle depuis toujours le “castelet” ; en effet, ces théâtres ambulants, généralement plus haut que larges, font penser par leur forme à de “petits châteaux ”. S’il est devenu rare de les voir surgir sur les trottoirs sans formalités, on peut encore examiner de près leurs vestiges enracinés dans les jardins publics (à Paris aux Tuileries ou au jardin d’Acclimatation, à Madrid au Retiro, etc.) dont les toiles, souvent richement décorées, ont été remplacées par la brique et la tôle vernie.
Les marionnettes
Les marionnettes ont été réalisées en Chine
par Yeung Faï et son équipe avec la précision
et l’incroyable sens des détails et du travail
bien fait des artisans chinois. Les marionnettes
offrent aux acteurs un instrument proche
de la perfection et peuvent sans exagération être comparées à des stradivarius.
Créées selon une technique traditionnelle, elles nécessitent plusieurs corps de métier : des sculpteurs pour construire les têtes et l’articulation des visages et des mains, des peintres pour le polissage et le dessin des visages, des costumiers pour la coupe des costumes et la broderie (décoration des costumes). Ces marionnettes à gaine chinoise présentent des spécificités (à ne pas dévoiler aux enfants avant le spectacle) : certaines ont le visage (les yeux et la bouche) et les mains articulés ce qui leur donnent de belles expressions et des attitudes très humaines.
Les marionnettes à gaine
Catégorie de marionnettes dont la manipulation
se fait par le bas, la marionnette à gaine,
qui tient son nom de la robe de base, la gaine,
qui relie la tête et les mains, est constituée
d’une tête creuse montée sur un costume de
tissu fixé à la base du cou. On la manipule en
plaçant la main à l’intérieur du costume, un
ou deux doigts passés dans le cou, les autres
doigts dans chacun des bras, ce qui permet
d’exercer un contrôle direct sur les mouvements.
La tête et les mains de la marionnette à gaine sont fabriquées dans des matériaux solides (bois, futée, papier mâché) ou flexibles (tissu, caoutchouc, mousse, latex). Un spectacle de marionnettes à gaine est encore très souvent, montré de l’intérieur d’un castelet. Cette structure derrière laquelle se cache le marionnettiste peut prendre plusieurs formes, mais traditionnellement, la petite dimension des marionnettes à gaine permettrait d’avoir un castelet assez petit, démontable et portatif.
Les marionnettes portées
La marionnette portée est
plus grande que la marionnette à gaine. Elle est l’ancêtre
du Bunraku japonais,
manipulée par une seule
personne. Le bunraku est une forme
théâtrale du japon dans laquelle
de très grandes poupées
(1,2 à 1,5 mètre) sont
animées par des manipulateurs
visibles du public.
Un
narrateur, accompagné d’un
musicien, récite le texte.
Le bunraku est originaire des villes d’Osaka et de Kyoto et a connu son heure de gloire entre 1685 et 1785. Les personnages principaux sont animés par trois manipulateurs. Le maître manipulateur contrôle la tête - dont les yeux et la bouche sont très souvent articulés - ainsi que le bras droit. Deux assistants habillés de noir, tête couverte d’un filet noir, contrôlent le bras gauche et les membres inférieurs de la poupée.
S’ouvre le grand livre : une très simple auberge apparaît dans le castelet.
Don Quichotte : Regardez-moi ce château, avec ses quatre tours, ces chapiteaux
d’argent, son pont-levis, ses douves.
Il regarde partout comme s’il cherche quelque chose. On entend une corne, dans le lointain un porcher rassemble un troupeau de cochons,
on les entend.
Don Quichotte : Ah, je ne le voyais pas, mais voilà le nain qui donne le signale de ma
venue. Ne fuyez point, gentes demoiselles, vous n’avez rien à craindre, je suis chevalier
errant, et l’ordre dans lequel je professe m’interdit d’offenser personne, et moins encore les
dames d’aussi haut rang.
Filles : Dames… Haut rang… rires
Don Quichotte : La retenue sied aux belles. C’est une grande sottise que de rire à
propos de rien.
L’aubergiste a le plus grand mal à retenir son sérieux. Mais effrayé lui aussi par tout
cet attirail de guerre, il préfère s’adresser poliment à l’inconnu.
Aubergiste, chuchotant aux filles :
Au boulot, ça sent le fric.
à Don Quichotte : Si Monsieur le chevalier cherche où loger, nous n’avons pas de lit,
mais pour le reste, il trouvera de tout en abondance. Voulez-vous manger quelque chose ?
Don Quichotte : Quoi que ce soit, apportez-le moi vite. La fatigue et le poids des armes
ne peuvent supporter sans l’assistance de l’estomac.
Don Quichotte ne peut rien porter à la bouche avec ses mains. Une des filles se charge
de le nourrir. La visière ne s’enlève pas. On le fait boire avec un entonnoir…
Don Quichotte : Déçu. J’ai marché presque tout le jour sans qu’il m’arrive rien qui fût
digne d’être conté. J’aurais voulu faire l’expérience de la valeur de mon robuste bras.
On entend le sifflement de jonc d’un chârtreur de porcs. On entend aussi les porcs. La belle musique ! Une bonne étoile m’a guidé jusqu’à votre belle forteresse. Dans un moment de solitude avec l’aubergiste, Don Quichotte tombe à ses pieds.
Valeureux chevalier… ?
Aubergiste : Cher Monsieur le chevalier !
Don Quichotte : Je veux vous demander…
Aubergiste : Me demander ?
Don Quichotte : Que votre courtoisie m’accorde la faveur…
Aubergiste : La faveur ?
Don Quichotte : Elle pourra servir de gloire! Et tourner à l’avantage du genre humain.
Aubergiste : Ca coûte combien ?
Don Quichotte : La faveur que vous m’armiez chevalier !
Aubergiste, en pensant qu’il y aura un salaire derrière :
Accordée.
Don Quichotte : Quelle générosité ! Demain matin. Cette nuit, dans la chapelle de
votre château, je ferai une veillée d’armes. Oh, mon désir s’accomplira ! Courir les quatre
parties du monde… ! Aider les malheureux ! Tel est le devoir de la chevalerie !
Aubergiste : Vous avez parfaitement raison d’avoir ce désir. Avez-vous un peu
d’argent ?
Don Quichotte : De l’argent ?
Aubergiste : Oui.
Don Quichotte : Même pas un centime. Je n’ai lu dans les histoires de chevaliers
errants qu’aucun deux n’en fût muni.
Aubergiste : Vous vous trompez. Les auteurs n’ont pas trouvé nécessaire de
l’écrire, mais c’est une chose aussi simple que naturelle que de porter de l’argent pour un
chevalier errant.
Don Quichotte : Ah bon ?
Aubergiste : Et des chemises blanches.
Don Quichotte : Ah oui ?
Aubergiste : Ils ont la bourse bien garnie ! Un petit coffret plein d’onguents pour
panser les blessures, et quelqu’un pour les panser.
Don Quichotte, pensif :
Un petit coffret… ou une toute petite besace ? L’usage de porter de
grandes besaces n’est pas très suivi par les chevaliers errants.
Aubergiste : Une prochaine fois, revenez avec de l’argent !
Don Quichotte, écoutant, toujours pensif : Bon, bon.
Aubergiste : La chapelle est en travaux, vous pouvez faire la veillée d’armes dans
cette grande basse-cour à côté de l’aub… à côté du château. Allez, bon courage.
10, place Charles Dullin 75018 Paris