« Il faut que tout change pour que rien ne change » énonce Tancredi dans Le Guépard de Tomasi di Lampedusa, filmé par Visconti. Clément Hervieu-Léger y reconnaît la sensibilité de la communauté inventée par Tchekhov.
Acculés à la vente, Lioubov – qui vient de rentrer de Paris – et les siens n’ont pas compris l’urgence de la situation. Les habitudes, comme les souvenirs d’enfance d’une classe aristocratique que tout semblait jusque-là épargner, les ont rendus incapables de clairvoyance, et ce malgré les mises en garde du marchand Lopakhine, fils d’un ancien moujik qui rachètera finalement la propriété aux enchères.
Après avoir monté Molière et Goldoni, Frank Wedekind et Jean-Luc Lagarce, Clément Hervieu-Léger en vient à cette pièce, écho des mouvements de notre société, miroir des complexités de nos vies : « J’aime le théâtre fait de souvenirs. Ceux de l’auteur. Les nôtres. J’aime ces pièces testamentaires, non pas parce qu’elles nous obligeraient à une lecture quasi biographique, mais parce qu’elles nous interdisent de faire l’économie de nous-mêmes » dit le metteur en scène qui la porte intimement en lui depuis longtemps. C’est dans un esprit de troupe qu’il investit avec ses camarades de jeu ce théâtre qui sublime le naturel et le sensible. Qu’il s’agisse de l’amour de Lopakhine pour la cerisaie et sa propriétaire, des idéaux politiques de l’éternel étudiant Trofimov, du sérieux laborieux de la jeune Varia ou de la fidélité du vieux serviteur Firs, tous disent à la fois la nostalgie et l’avenir, l’abandon et le renouveau.
Au crépuscule d’un empire féodal, au tournant du xxe siècle, la cerisaie est un havre de beauté ; Tchekhov y cristallise les tiraillements de la fin d’une époque.
Place Colette 75001 Paris