En attendant Godot

du 16 septembre au 24 octobre 1999

En attendant Godot

CLASSIQUE Terminé

Un virage à peine amorcé au sommet d'une colline, la pente douce d'une route qui redescend lentement vers nous : juste ce qu'il faut pour esquisser une ligne d'horizon. Au fond, un ciel d'hiver. Une silhouette squelettique y dresse ses deux bras noirs - ni croix ni gibet, ni mort ni vivant, ce n'est qu'un arbre.

Paris, 1949

Beckett achève la composition d’En attendant Godot en janvier. Sa femme propose la pièce à Roger Blin. Beckett l’a parfois croisé dans les cafés de Montparnasse, souvent en compagnie d’Adamov ou d’Artaud, mais n’a pas voulu lui soumettre lui-même son texte. Quand ils se rencontrent enfin, en 1950, Blin demande à Beckett pour quelles raisons il a pensé à lui. Il y en a deux, répond Beckett : il a apprécié sa mise en scène de Strindberg, et ce soir-là la salle était presque vide.

 

Un virage à peine amorcé au sommet d’une colline, la pente douce d’une route qui redescend lentement vers nous : juste ce qu’il faut pour esquisser une ligne d’horizon. Au fond, un ciel d’hiver. Une silhouette squelettique y dresse ses deux bras noirs – ni croix ni gibet, ni mort ni vivant, ce n’est qu’un arbre. Cette lande, âpre, vide et poignante dans son insistante simplicité, suffit à composer depuis 1953 l’un des décors les plus célèbres de l’histoire du théâtre. C’est là, dans la désolation de ce paysage mental ouvert à une attente sans fin et sans objet, que s’est tracée pour l’art et la conscience de notre siècle comme une ligne de partage des eaux. Luc Bondy a demandé à Gilles Aillaud, peintre et scénographe, de lui imprimer sa marque. Puis il a invité quatre acteurs d’exception à incarner ensemble la première pièce qu’écrivait, il y a tout juste cinquante ans, un auteur encore à peu près inconnu. François Chattot, Gérard Desarthe, Serge Merlin et Roger Jendly rendent à la voix de Beckett, sans rien perdre de son humour sec ou baroque, l’éclat de sa tendresse désespérée.

 

Générosité, humour, intelligence, superbe érudition. Nous pouvions parler de n’importe quoi, il savait tout. " Une mémoire d’éléphant ", disait-il de lui-même. Je devrais insister aussi sur son horreur du mensonge. " Que votre oui soit oui, que votre non soit non " pourrait être sa devise. On sait d’où elle est tirée.
Je m’étais permis un jour de faire analyser son écriture par une grande graphologue de ma connaissance. C’était la sensibilité extrême du scripteur qui la captivait. Quand je l’ai dit à Sam, il a un peu ronchonné " Sensibilité, sensibilité "… comme s’il s’en défendait.
Nos entrevues et nos correspondances se sont poursuivies pendant des années jusqu’au Nobel, qui l’a beaucoup affecté. Il n’admettait pas le principe et c’est Jérôme Lindon qui est allé recevoir le prix. Tout l’argent en a été distribué par Sam à des amis dans le besoin. A Roger Blin, avec le chèque il a mis un mot : " Ni merci ni non ".
Mais, à partir de ce Nobel, Sam s’est presque cloîtré. Il a coupé son téléphone. Et nos rapports s’en sont beaucoup ressentis. On craignait de le déranger dans son travail, qu’il a continué jusqu’à la fin de sa vie, visant à de moins en moins d’effets rhétoriques. Pour aboutir presque au silence de Soubresauts.
Ce qu’il faut que sache le public qui ne l’a pas encore découvert, c’est qu’un artiste ne grandit qu’en observant une discipline de fer. Mais aussi que le désespoir peut être le ressort même de son art.
" Accrochez-vous à votre désespoir et chantez-nous ça ", m’écrivait-il au tout début de nos relations.
Que le public sache aussi que sous son désespoir se cachait chez Sam quelque chose qu’il a voulu taire et qui devait toucher à la grande pitié par lui ressentie de la souffrance humaine. Il l’a exprimé d’une façon que chacun peut interpréter comme il l’entend. Révolte ouverte ou humble soumission. Le paradoxe était et demeure son beau souci et son secret.

Robert Pinget
" Notre ami Sam ", Critique 519-520,
août-septembre 1990, pp. 639-640

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Spectacle terminé depuis le dimanche 24 octobre 1999

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