L’argument
Des mots qui chantent…
Entretien avec Danielle Stefan
Souvenirs souvenirs
En compagnie de Prévert est un spectacle d’une grande fraîcheur, qui nous invite à découvrir ou redécouvrir les textes du poète sur les musiques de son compositeur favori, le grand Joseph Kosma , ami du poète.
On s’y balade, avec bonheur de contes en chansons :
Quelquefois la musique cède le pas à la parole, et les habitants des Lettres des Iles Baladar conte anticolonialiste répondent en échos aux Paroles.
En sortant de l’école, Le désespoir est assis sur le banc ou encore, La fête continue autant de flots délicieux des Paroles qui nous rappellent l’odeur des classes fraîchement repeintes et Le Cancre face au tableau noir.
« Dans cette petite île qui n’avait l’air de rien, il y avait des oiseaux et des animaux beaux comme tout et toujours des poissons tout autour. Aussi, beaucoup étaient pêcheurs parmi les habitants et ceux qui n’étaient pas pêcheurs étaient planteurs ou agriculteurs à cause des piments doux, à cause du blé noir, des amandes vertes et des fraises des bois. Mais on ne rencontrait jamais de jardiniers. Il y avait tellement de fleurs que, des jardiniers, il en aurait fallu des milliers.
On ne voyait jamais non plus de petites fleuristes devant leur petit inventaire, ni de grands parfumeurs dans leurs grands magasins. »
Extrait de « Lettre des Iles Baladar »
Haut de page
Pourquoi Prévert ?
Pour moi, le fait qu’on me sollicite sur Prévert a été autant une surprise que de voir l’engouement du public. J’avais l’impression que depuis certaines années, il avait été mis au placard. Il y a avec cet auteur une familiarité que l’on a pas forcément avec d’autres. Et finalement cette surprise là est vraiment agréable.
Monter Prévert cela a été un plaisir retrouvé.
Prévert c’est mes années de conservatoire, c’était un auteur que l’on travaillait beaucoup. C’est aussi des chansons
d’Yves Montand, des Frères Jacques, de Mouloudji, des chansons qui nous ont trotté dans la tête depuis l’enfance. « Lettre des Iles Baladar » était un spectacle que j’avais vu il y a très longtemps monté par le TJA (Théâtre des Jeunes Années dirigé par Maurice Yendt )de Lyon et que j’avais adoré. A l’occasion du centenaire de la naissance de Prévert, on m’a fait la commande d’un spectacle autour de Prévert. J’ai écarté tout de suite le récital poétique, j’ai cherché à associer un ouvrage complet à certaines chansons. Puis, en fouillant dans ma mémoire, je suis retombé sur « Lettre des Iles Baladar ». En le lisant, les associations avec certaines des chansons de Prévert et Kosma me sont
apparues évidentes et cette construction si particulière du spectacle s’est imposée d’elle-même : les chansons viennent s’insérer à l’intérieur du conte comme un écho de ce qu’il raconte.
« Lettre des Iles Baladar », c’est aussi un texte de la maturité de Prévert ?
Ce texte a été écrit durant la guerre d’Indochine, c’est un texte anti colonialiste, un texte militant. Prévert est un anarchiste affirmé, il a été toute sa vie antimilitariste, pacifique, libertaire et n’a cessé de l’écrire à travers toute son œuvre. Il a toujours été engagé tant au niveau artistique que politique. Il est intimement lié au mouvement surréaliste. D’ailleurs dès1933, il fait partie du « Groupe Octobre ». Néanmoins la grande force de Prévert est aussi d’avoir écrit de nombreux textes politiques sans qu’ils soient pour autant didactiques.
Prévert a écrit « Lettre des Iles Baladar »sous la forme d’un conte pour enfants, les personnages en ont toutes les caractéristiques. Les animaux et les humains y vivent dans une sorte de société idéale. Il n’y a plus de barrière de langage entre eux. Ils ont un langage commun qui est aussi un langage universel. Ce qui en fait un texte compréhensible par tous. C’est un hymne à la nature et à la générosité.
En ce qui concerne les chansons ?
Au total il y en a 12.
Elles sont toutes tirées du recueil « Paroles » et mises en musique par Joseph Kosma sauf « Les animaux ont des soucis ». Certaines d’entre elles font déjà partie de la mémoire collective, pour d’autres je n’en connaissais aucune interprétation. C’est cela aussi qui était passionnant et qui nous a permis avec Hubert Reynouard qui m’accompagne de laisser libre cours à notre création commune.
La grande qualité d’Hubert Reynouard est de posséder à la fois une formation classique solide en même temps qu’un répertoire très large. Il travaille à la fois sur des styles musicaux très différents, de la musique contemporaine au tango, en passant justement par l’univers de Kosma dont la musique est parfois savante et parfois simple comme une chanson populaire. Nous avons déjà collaboré avec Hubert Reynouard à l’occasion d’un autre spectacle musical : « Pas si bêtes !!! », qui est en fait un concert animalier dans lequel nous avions inséré déjà deux chansons de Prévert et Kosma.
Kosma a mis énormément de poèmes de Prévert en musique, mais aussi d’autres grands poètes comme Francis Carco, Louis Aragon et Raymond Queneau… C’est le Paris de l’après guerre, celui aussi de Saint –Germain des Prés, celui de Juliette Gréco.
Vous étiez aussi comédienne dans « L’Echange » comment passe-t-on de l’univers de Claudel à celui de Prévert ?
Le travail intérieur n’est pas le même. Chez Claudel, on plonge dans des zones inconnues pulsionnelles alors que dans le conte, on est dans le rapport direct et ludique. Chez Claudel il y a moins de distance avec soi-même, encore que dans certaines chansons comme « Chanson dans le sang » ou « Le désespoir est assis sur un banc » on plonge également dans des univers sombres et violents.
En écho à ce conte, pas si naïf que ça et capable de faire tressaillir enfants, parents et grands-parents voici les titres des « Paroles » de Prévert, mises en musique par Joseph Kosma que l’on retrouve dans le spectacle.
- En sortant de l’école
- Deux escargots s’en vont à l’enterrement…
- Chansons dans le sang
- La pêche à la baleine
- Fable
- Le désespoir est assis sur un banc
- Chanson de l’oiseleur
- La fête foraine
- Epiphanie
- Les animaux ont du souci (musique de C.Verger)
- La fête continue
- Inventaire
Dans la Force de l'âge, Simone de Beauvoir témoignera de la place éminente qu'occupe désormais Prévert auprès des gens de cinéma qu'il rencontre au Flore, la fameuse brasserie de Saint-Germain des Prés : « Alors leur dieu, leur oracle, leur maître à penser, c'était Jacques Prévert, dont ils vénéraient les films et les poèmes, dont ils essayaient de copier le langage et le tour d'esprit. Nous aussi nous goûtions les poèmes et les chansons de Prévert. Son anarchisme rêveur et un peu biscornu nous convenait tout à fait. »
136, rue Loubon 13003 Marseille