Eneas, neuf

Paris 19e
du 17 mai au 3 juin 2010
3h00 entracte inclus

Eneas, neuf

La compagnie Les Affinités Electives prolonge son périple dans la mythologie grecque et romaine. Enéas, neuf est le deuxième volet du projet Les années de cendres, chroniques des temps de guerre, qui propose de réfléchir notre époque en interrogeant la guerre. Et si le monde, depuis son origine, n’était qu’une guerre entrecoupée par des instants de paix ?

Une épopée nouvelle
Structure
Ulysse sur la route
Raconter le monde

  • Une épopée nouvelle

“Ils allaient obscurs dans la nuit solitaire.” L’Enéide, chant VI

La guerre de Troie marque une profonde mutation : un autre monde sortira de ces ruines. C’est dans le sentiment euphorique, et peut-être illusoire, de l’avènement des temps nouveaux, que se développent les séquences et les personnages de la pièce.

Nous allons raconter l’errance d’hommes et de femmes, laminés par la violence du monde et qui, semblables à des demi-spectres, cherchent les bribes d’un futur dans lequel s’inscrire pour reprendre vie.

Commençons par le pivot autour duquel s’articule la pièce : Énée.

Personnage en retrait, comme en marge de sa propre histoire, manipulé par tous, Enée est devenu boxeur professionnel.

Champion de Méditerranée poids Walter, il enchaîne les combats en attendant que son destin s’accomplisse.

Figure populaire et fantasmatique, il entraîne dans son sillage une suite de profiteurs et d’affairistes.

Accablé par la défaite Troyenne, rongé par la culpabilité du survivant, englué dans le sentiment qu’il ne peut agir sur le monde, Enée ne croit plus aux promesses et aux engagements qu’il a vus s’effriter et se dissoudre dans l’oubli des hommes et des dieux. Le temps se joue de tout et de tous, les volontés s’étiolent, et il ne reste rien de la chose convenue.

C’est donc un personnage désabusé, méfiant et perdu, qui entrera en scène.

  • Structure

La pièce se déroule en quatre actes :

I. Carthage
C’est à Carthage que commence l’aventure, dans cette ville en pleine construction qu’Elissa-Didon gouverne, une femme éprouvée par une vie difficile et particulièrement en empathie avec les victimes. Sa cour se compose d’une foule bigarrée d’exilés, d’apatrides, d’aventuriers et d’hommes d’affaires… Auréolé de son titre de Champion de Méditerranée poids walter, Enée débarque à Carthage au cours d’une soirée de Gala donnée par la reine Elissa-Didon. Une passion naîtra entre cette Reine et notre héros, mais le devoir d’Enée conduira les amants à se séparer. Didon se suicidera.

II. Les Enfers
La descente d’Enée aux Enfers est un épisode particulièrement riche pour un projet de théâtre. Mais qu’est-ce que les Enfers ? Ce monde du dessous, où les âmes libérées des corps viennent séjourner, a ses règles, sa hiérarchie, son quotidien. Il est le lieu de la souffrance, qu’on soit élu — regret du temps de la vie — ou puni — châtiments perpétuels. Emporté loin de Carthage par une équipe d’affairistes conduite par Vénus, sa mère, Enée qui rechigne à accomplir son destin exige de voir son père, Anchise, qui est mort. C’est un autre voyage qui commence alors pour Enée, accompagné de la Sibylle, dans le pays du remords et du regret.

III. L’Italie
Après avoir perdu la trace d’Enée, on le retrouve en Italie, au Latium. Il a été arrêté avec des clandestins, sur la côte, et conduit à un poste de police. Nous suivons son parcours du centre de rétention au Palais du Roi Latinus. Nous assistons aux multiples épreuves subies par ce Turc pour s’installer dans une Europe en devenir…

IV. Tübingen
Nous voici dans ce village d’Allemagne où les rebelles du Latium se sont réunis autour de la figure emblématique de Turnus, le boxeur Italien, champion du monde. Le jour où le roi Latinus lui a proposé sa fille en mariage, Turnus s’est exilé du Latium, et, comme l’a fait le poète Hölderlin, il a élu domicile dans la tour d’un menuisier de Tübingen. Depuis, il vit comme un ermite que l’on regarde comme un prophète. Enée vient à sa rencontre. Leur échange sera décisif.

  • Ulysse sur la route

Après être revenu de Troie à Ithaque, et après avoir débarrassé son palais de tous les prétendants qui l’encombraient, après avoir vécu son odyssée, Ulysse est à nouveau sur la route. Figure inversée d’Enée, nous le retrouvons au fil de notre récit. Voyageur anonyme et spectateur passif du monde, il parcourt le globe à la recherche d’une terre sans conflit.

Mais où qu’il aille la violence le rattrape. Il comprend qu’il ne pourra trouver cette paix qu’il appelle de ses voeux que dans l’indifférence aux autres. Il refusera d’adopter cette attitude et décidera de reprendre le cours de sa vie en rentrant chez lui.

Nous le retrouvons à différentes étapes de son périple : dans la chambre d’un hôtel à Haïphong, à la table d’un café de Buenos-Aires, sur Alexanderplatz…

L’errance, les combats truqués, l’espoir qui surgit au lendemain des catastrophes, l’impossible retour, la vie nouvelle, la griserie du progrès, la fièvre des convalescents, un fils et sa mère, le pays des morts, le poids du devoir, les méandres de l’administration, composeront l’univers d’Enéas, neuf.

  • Raconter le monde

Dans l’Enéide de Virgile, le destin d’Enée est décidé depuis longtemps. C’est un héros, libre de ses actions, libre de son commerce avec les dieux, qui réalise son destin. Il consent à une histoire qui le dépasse. Tout au long du récit, le cheminement d’Enée repose sur la confiance. Enée obtempère aux ordres qui lui sont donnés. Cette particularité du personnage de Virgile ouvre un espace de non-dit qui me séduit et m’incite à le remplir.

Notre Enéide n’est pas tout à fait celle de Virgile. Elle ne s’inscrit pas dans la perspective d’un avenir de paix, mais plutôt dans les temps du doute et de la méfiance. Devant un monde à déchiffrer, notre héros cherche lui aussi le sens des événements qui l’accablent, mais sa confiance a disparu. Il veut comprendre à l’avance ce qu’il doit faire et refuse d’être le jouet de quiconque. Le héros de Virgile enchaîne les combats singuliers. Son sens du devoir prime sur ses désirs dont on ignore tout. Cela répond à une certaine idée que je me fais du boxeur, peut-être une image d’Epinal : une fragilité face à la vie compensée par une détermination aveugle et brutale sur le ring. Et puis, il n’est pas invraisemblable d’imaginer qu’un homme qui a passé son temps à se battre à la guerre trouve dans la boxe une reconversion possible quand la paix revient.

Après la guerre, dans l’écho de l’onde de choc, c’est bien là où nous sommes pour ce deuxième volet des Années de Cendre, dans ce passage entre l’avant et l’après, et notre regard se concentre sur un homme que le doute assaille, un survivant dont les blessures ne se referment pas. Enéas, neuf est une saga, avec une foule de personnages, victimes et bourreaux, victimes ou bourreaux. Chacun se débat pour s’assurer une place ou ne pas perdre celle qu’il possède déjà.

Enéas, neuf cherche à représenter le monde, non pas d’une façon globale, mais par accumulation de fragments, de séquences, d’anecdotes, comme les notes d’un journal intime. De fait, cette représentation est parcellaire, comme si nous ne possédions que quelques pièces d’un puzzle à partir desquelles nous tenterions de recomposer l’image d’origine.

L’humour, très présent dans la pièce, peut surprendre avec un sujet aussi grave. Il ne s’agit pas de dérision, mais plutôt d’une réponse à deux options : la première étant que la vie, elle-même, ne manque pas d’humour ; la deuxième tient d’une sorte de délicatesse. Nous sommes épargnés par la guerre, nous ne prenons pas complaisamment la place des victimes, mais établissons ainsi une distance respectueuse avec ceux qui en souffrent réellement.

Le spectacle devra être joué avec une formidable énergie de vie. Une bourrasque qui balaye tout sur son passage, peut-être le souffle de l’Histoire.

Frédéric Constant

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Spectacle terminé depuis le jeudi 3 juin 2010

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