En lituanien surtitré.
« C'est de cette terre que naissent mes joies. » Goethe
« Faust » est le nom d'un étonnant dédale. Le réel et le mythique s'y sont très tôt croisés. En 1589, un demi-siècle après la mort du véritable Faust, curieux personnage qui colportait de ville en ville ses talents de nécromant, chiromancien, astrologue et mage, Marlowe compose et fait jouer à Londres son Doctor Faustus, où le charlatan de l'Allemagne réformée a déjà fait plus qu'entamer sa métamorphose en grand révolté. Entretemps, cependant, le mécréant semi-légendaire poursuit dans sa terre natale une tout autre existence au sein de la littérature populaire ; héros d'anecdotes diverses ou de spectacles de marionnettes, colporté dans les foires, il est quasiment ravalé au rang de pantin ridicule lorsqu'il croise la route du jeune Goethe.
Commence alors une aventure littéraire doublement extraordinaire. Car la figure de Faust va occuper Goethe pendant près de soixante ans, de 1771 (date à laquelle il entreprend la rédaction de son Urfaust) jusqu'aux derniers jours de sa vie (en janvier 1832, alors qu'il lit à sa belle-fille le premier acte du second Faust, il ne peut s'empêcher d'y apporter encore quelques retouches). À lui seul, ce dialogue intime, si longuement poursuivi, entre un très grand poète et l'une de ses créatures aurait de quoi captiver : Faust, reflet d'un esprit universel, a fini par réunir en lui la trace de toutes les passions, de toutes les interrogations qui l'auront hanté. Et comme sa riche complexité se nourrit des différentes strates accumulées depuis ses origines, il en résulte l'une des quelques rares figures de la littérature européenne moderne à avoir accédé (aux côtés de Don Juan ou de Hamlet) au statut de mythe.
Comment s'orienter dans un tel labyrinthe ? Comme fil d'Ariane, Eimuntas Nekrosius semble nous proposer le fil du temps. Temps de la vie, de la jeunesse et de sa fuite inexorable, de la conscience qui fatalement se retourne un jour sur le chemin déjà parcouru. Ce Faust paraît se diviser en deux époques : avant le pacte, le héros pensif (magnifiquement incarné par Vladas Bagdonas) se dresse solitaire devant le vide désespérant de l'existence ; après le pacte s'ouvre devant lui, sur fond de diablerie, l'amour de Marguerite et l'expérience de sa perte. - Temps de la scène, aussi, qui amasse à son rythme souverain sa pelote d'images évocatoires.
Nekrosius, en poète et en visionnaire, les pose scène après scène sur le texte de Goethe puis les laisse mûrir, libérant des sens inouïs, pareils à ces formules qui traversent parfois nos rêves. Un seul exemple : il lui suffit d'un nœud sur une corde pour que nous soit rendu sensible ce fil du temps ; l'instant qui se noue ainsi sur cette ligne de mémoire devient le signe tangible de son passage. Mais voici que la corde s'emmêle jusqu'à former une boule aussi grosse qu'une tête d'homme - et subitement cet amas, semblable à du temps enroulé sur lui-même jusqu'à l'inextricable, nous frappe comme une image de l'esprit humain.
Faust, d'après Johann Wolfgang von Goethe, mise en scène d'Eimuntas Nekrosius, a obtenu en janvier 2008 le prix UBU, décerné au meilleur spectacle étranger par le syndicat de la critique dramatique italienne.
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Entrée du public : angle de la rue André Suarès et du Bd Berthier.