De Venise, le Palazzetto Bru Zane - Centre de musique romantique française s’installe à Paris le temps d’un week-end pour présenter quelques-unes de ses plus belles redécouvertes. Quatre rendez-vous autour du piano romantique mettront tour à tour en lumière des figures célèbres (Berlioz, Chausson, Debussy, Liszt…) et d’autres aujourd’hui bien oubliées (Dubois, Hahn, Chaminade, Jaëll, Gouvy…).
Cécile Chaminade : Trio pour violon, violoncelle et piano n° 2 en la mineur op. 34
Allegro moderato - Lento - Allegro energico
Ernest Chausson : Trio pour violon, violoncelle et piano en sol mineur op. 3
Pas trop lent. Animé - Très vite - Assez lent - Animé
Par le Trio Chausson (Violon Philippe Talec, Piano Boris de Larochelambert, Violoncelle Antoine Landowski).
Daté de 1887 et dédié au violoncelliste Jules Delsart, le Trio n° 2 fut peut-être composé en même temps que plusieurs oeuvres majeures de Cécile Chaminade, créées en 1888 : le ballet Callirhoé, la symphonie dramatique Les Amazones et le Concertstück pour piano et orchestre. L’année 1887 coïncide aussi avec des drames personnels. La musicienne rompt avec le médecin Paul Landowski afin de se consacrer pleinement à son activité de pianiste et de compositrice. Le décès de son père la contraint à subvenir à ses besoins et à ceux de sa mère. Chaminade écrira ensuite de nombreuses pièces brèves, susceptibles de rencontrer un large public. Mais le Trio n° 2 appartient à une période riche en oeuvres ambitieuses, tant par leurs dimensions que par l’originalité de leur langage. Dépourvu de scherzo, il possède toutefois une durée équivalente à celle du Trio n° 1 en quatre mouvements (1880). Il frappe par son ampleur sonore brahmsienne, ses nombreux contrastes, ses changements de caractère imprévus et son harmonie émaillée de couleurs modales archaïsantes. Dans l’Allegro moderato initial, le traitement orchestral de l’effectif et la densité du contrepoint alternent avec des passages transparents. La gravité du Lento, au lyrisme tendre et intense, est tempérée par un épisode central dansant et plus animé, où le piano stylise parfois la harpe de quelque barde ancestral. Quant au finale Allegro energico, il se distingue par des contours populaires, d’audacieuses dissonances et des rudesses instrumentales pourtant alliés à l’élégance d’un salon français.
Chausson compose son Trio entre juillet et septembre 1881, peu après avoir échoué au concours du prix de Rome. Un chromatisme structurel, et la présence dans la partition d’un thème cyclique, révèlent l’influence de son maître César Franck, mais le génie personnel de Chausson s’impose déjà. Synthèse très prometteuse du savoir-faire d’un jeune compositeur, l’oeuvre sera pourtant créée dans une relative indifférence, le 8 avril 1882 à la Société nationale de musique, avec André Messager au piano. Son premier mouvement débute Pas trop lent, sur un balancement d’arpèges au piano, quasi-barcarolle aux harmonies mystérieuses sur laquelle s’appuie un chant plaintif. Après cette introduction, un Animé tourmenté développe deux thèmes avec science et inspiration. Le mouvement suivant est introduit par une page toute en suspension. Elle laisse place au Très vite, espiègle et bondissant, bâti comme un scherzo avec section centrale plus calme réutilisant les motifs d’introduction, ceux-ci réapparaissant également en conclusion du morceau. Le troisième mouvement, Assez lent, repose principalement sur un thème déjà énoncé dans le premier Animé. Très franckiste, l’atmosphère est teintée d’une mélancolie douloureuse, jalonnée de plusieurs sommets effusifs, notamment lorsque le thème cyclique reparaît, plus passionné que jamais, soutenu par de puissants accords du piano. Pour terminer, l’Animé conclusif propose une synthèse de l’ensemble : après l’énoncé de ses thèmes propres, enjoués et dansants, il rappelle tour à tour ceux des trois mouvements précédents. L’unité de l’oeuvre s’en trouve confirmée, d’autant que ce sont les premières pages entendues quelques trente minutes plus tôt qui servent de conclusion.
À l’orée du XIXe siècle apparaît en France une abondante production de trios : il s’agit souvent d’oeuvres écrites pour pianoforte (ou clavecin), violon (ou flûte) et violoncelle, avec des parties exigeantes pour le clavier, destinées à mettre leur jeu en valeur. Jusqu’en 1815, le répertoire d’usage privé, joué par des amateurs, ne connaît guère d’exécutions publiques : il est constitué d’oeuvres de Français de naissance ou d’adoption, tel Pleyel, et de celles de Haydn, Mozart et Beethoven. Le genre s’épanouit en Allemagne sous l’influence de pianistes virtuoses et les trios de Schubert, Schumann et Mendelssohn constituent des modèles par rapport auxquels se positionnent les compositeurs français. Onslow, qui en écrit une dizaine, porte ainsi le surnom de « Beethoven français ». La forme en quatre mouvements se généralise, avec des parties pianistiques brillantes qui n’excluent pas un lyrisme démonstratif des cordes. Si beaucoup sacrifient plus ou moins ponctuellement au trio avec piano (tels Chopin, David et Reber), c’est la fondation de la Société nationale de musique, en 1871, qui suscite une floraison de compositions instrumentales : Saint-Saëns, Dubois, Widor, Castillon puis Fauré, Debussy, Ravel ou encore Roussel en écriront à leur tour.
« Le jeune Trio Chausson, ainsi nommé en hommage au compositeur Ernest Chausson, s'est fait porte-parole de la musique française. Il n'est que d'écouter ce dernier disque, qui mêle, à l'unique Trio de jeunesse de Claude Debussy, les oeuvres de deux compositeurs rares. L'un, que Georges Bizet appelait son « petit Mozart », est une femme, Cécile Chaminade (1857-1944), dont l'inspiration ne démérite pas. L'autre est un parfait inconnu - René Lenormand (1846-1932) - et son oeuvre une découverte : une musique expressive et charnue, nimbée d'une aura germanique, que le Trio Chausson sert avec un bonheur gourmand et une liberté de ton ensorceleuse. » Marie-Aude Roux, Le Monde, 8 mai 2012
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