C’est la première fois que Georg Friedrich se mesure au Roland furieux de L’Arioste. Après cet Orlando, créé en janvier 1733 au King’s Theatre, viendront deux ans plus tard Ariodante et Alcina, inspirés eux aussi du grand poème épique de l’Italie baroque mettant en scène le neveu de Charlemagne. Il y a longtemps que la littérature s’était emparée de ce héros de légende, célébré par une chanson de geste dès le XIe siècle. Mais L’Arioste l’a fait entrer définitivement dans le panthéon des preux chevaliers d’une Europe immémoriale, et l’empreinte de son Orlando furioso devait rester profonde : les opéras de Haendel lui sont postérieurs de plus de deux siècles !
Autre personnage extraordinaire mis en scène ici : Zoroastro qui n’est pas seulement le prototype du Sarastro de La Flûte enchantée de Mozart mais aussi le premier avatar poétique du mythique Zarathoustra que glorifiera Nietzsche au siècle suivant. Chez l’Arioste comme chez Haendel, ce n’est pas un moraliste ou un philosophe mais un magicien aux pouvoirs très étendus, qui va tenir toutes les ficelles de l’action grâce à ses sortilèges. Haendel confie son rôle à une basse, et ce n’est ni une basse bouffe, ni une basse cruelle. Le rôle de Zoroastro est celui d’un sage, d’un devin « actif », si l’on peut dire, qui ne se contente pas de jouer de sa prescience mais engage sa responsabilité dans le cours des événements en corrigeant les effets de la folie d’Orlando avant de la guérir. Cette clairvoyance qui est la sienne souligne à loisir l’inanité des passions qui animent les personnages : les deux amoureux, Angelica et Medoro, que leurs transports amoureux rendent un peu évanescents, la charmante Dorinda, mi-comique mi-tragique, touchante mais bien peu réaliste, et puis bien sûr Orlando lui-même, dépouillé de sa bravoure par un amour insensé qui suscite plus d’étonnement, mais aussi de sourires, que de compassion.
Oui, il y a un peu d’ironie, de second degré, dans le regard que porte Haendel sur ses personnages. Mais il y aussi, comme toujours, beaucoup de tendresse. Et toute la richesse musicale de la partition découle des ambiguïtés et des doubles-sens que suggère l’intrigue de L’Arioste revisitée par le compositeur. Le sentiment porté par l’inépuisable invention musicale de Haendel, la vigueur que suggèrent les belles figures rythmiques de certains airs, la délicate parodie affleurant dans les nombreuses ruptures de ton et d’atmosphère, finissent par tourner la tête au spectateur-auditeur, malgré la sobriété de l’orchestration. Avec Haendel, nous sommes toujours dans le règne de l’aria da capo, cette « coupe » bien reconnaissable du morceau de bravoure vocal de forme A-B-A inventée l’opéra baroque italien. Mais l’abondance des dialogues accompagnés, par le continuo ou par l’orchestre, ne cesse de rompre la succession des airs pour introduire la musique dans l’action et l’action dans la musique. La partition d’Orlando donne vie à un discours impressionnant par ses volte-face et ses effets hypnotiques. Impressionnant, aussi, par la remarquable fusion qu’elle réalise entre fantastique et passion, les deux grandes composantes de l’opéra depuis ses origines et jusqu’à nos jours.
Georg Friedrich Haendel :
Orlando
Dramma per musica en 3 actes.
Créé au King’s Theatre, Haymarket de Londres, le 27 janvier 1733.
Avec l'Ensemble Matheus.
Direction : Jean-Christophe Spinosi
Château de Versailles, Place d'Armes 78000 Versailles
Entrée par la Grille d’Honneur. L'accès aux salles se fait par la Cour d'Honneur Porte B.
Voiture : Par l’autoroute A13 et A86, sortie Versailles Château.