Nouvelles versions
Une pièce limpide et directe
De lautre côté de la vie
Un auteur rigoureux
"La
musique est mon modele" Entretien avec David Mamet
Les premières versions de Glengarry (sous son titre initial Glengarry Glen Ross, qui venait dobtenir le Prix Pulitzer) et de American Buffalo ont été créées respectivement à La Criée - Théâtre National de Marseille et au Théâtre Tristan-Bernard à Paris en 1985 et 1986. Pierre Laville, dont David Mamet avait, deux ans auparavant, adapté Le Fleuve Rouge (Red River) pour les Etats-Unis, en avait écrit les textes français, et Marcel Maréchal les mettait en scène et les révélait au public.
Depuis lors, luvre de David Mamet sest développée et précisée ; une dizaine de productions a été présentée (par les théâtres les plus divers, de la Comédie-Française aux théâtres privés, des Centres dramatiques nationaux au Ballatum, ou à Vidy et au Varia) ; simultanément, après le dramaturge on découvrait le cinéaste (Engrenages est devenu un film de référence).
Aujourdhui, Pierre Laville a écrit de nouvelles versions de ces pièces, qui sont publiées chez Actes Sud-Papiers. Au Théâtre du Rond-Point, Marcel Maréchal met en scène Glengarry, et Michel Fau American Buffalo, dans des distributions et des productions nouvelles.
Limpact du théâtre de David Mamet ne cesse de sétendre. Aujourdhui plus encore quhier, on est étonné par sa vitalité. Cest une uvre dexception qui se signale par sa puissance dramatique, la constance du propos, la rigueur de la construction, la singularité de la forme.
Faussement réaliste, dune écriture singulière et décalée, il est, à la fois, un théâtre subtil, souterrain, complexe, fondé sur le non dit, et un théâtre qui attaque de front toutes sortes daliénation, de domination et de violence avec une lucidité exemplaire.
Sous ce titre mystérieux (un jargon publicitaire pour désigner une réalisation immobilière de luxe), David Mamet a écrit un chef-duvre, éclatant de vie, de violence, de comique, dintelligence.
Comment, exaspérés par lémulation et la concurrence, les employés dune agence immobilière à Chicago vont, chacun pour soi, voler les fichiers des clients de leur patron, et ce qui sen suivra... Qui sera le voleur ? Qui sera le pigeon et paiera pour les autres ? Qui tirera son épingle du jeu et récoltera pouvoir et argent ? Qui dominera ?
Au premier degré, Glengarry est une histoire policière à suspense. Elle est, aussi et surtout, sur plusieurs plans, une cinglante attaque contre un monde doppression et de destruction des forces humaines.
La pièce est limpide et directe. Elle contient une allégresse, une énergie de provocation uniques dans le théâtre contemporain.
Méfions-nous du prétendu "réalisme" du théâtre américain. Le théâtre américain serait "cela" et uniquement "cela". Le théâtre européen, lui, serait symboliste, absurde, lyrique !
Trop facile ! Plus une uvre est dite réaliste plus on doit la traiter de manière rythmique et allusive. Le réel a son poids dinsoutenable quil faut savoir rendre métaphorique... autrement, où est lart là-dedans ? Quest-ce quon a à fiche que se soit (paraît-il) comme "ça" dans la réalité. On ne se paie pas une toile, on ne vient pas dans les rouges théâtres pour être comme dans la grisaille des rues stressantes de rage et de peur.
Comme le dit le docteur Destouches en exergue au Voyage au bout de la nuit :"Voyager, cest bien utile, ça fait travailler limagination. Tout le reste nest que déceptions et fatigues. Notre voyage à nous est entièrement imaginaire. Voilà sa force. Il va de la vie à la mort. Hommes, bêtes, villes et choses, tout est imaginé. Cest un roman, rien quune histoire fictive. Littré le dit, qui ne ne se trompe jamais. Et puis dabord tout le monde peut en faire autant. Il suffit de fermer les yeux. Cest de lautre côté de la vie".
Voilà. Cest ainsi que je rêve les personnages de David Mamet. Dans Glengarry, ce sont leurs âmes que nous voudrions faire parler. Cest peut-être "pas responsable une âme", comme dit encore Céline, mais quand ça parle sur un plateau de théâtre, cest quelque chose.
Marcel Maréchal
David Mamet aime comparer ses pièces à des chaises. "Ecrire cest mon métier", dit-il avec la fierté de lartisan. Il taille le langage comme dautres la pierre ou le bois. Cest de son travail quil est fier, pas de lui-même. Paraître ne lintéresse pas.
Mamet a une foi inébranlable, fanatique dans le théâtre. Il a toujours eu beaucoup de tendresse pour les acteurs, et plusieurs de ses pièces parlent directement du théâtre : "Je ne me suis jamais ennuyé en regardant des acteurs, surtout en répétition. On les voit faire des choses qui vous crèvent le cur".
Tous les personnages de Mamet parlent un langage qui nous frappe par sa justesse, que lon reconnaît parce quon lentend dans la vie, mais quon navait jamais entendu au théâtre auparavant. Mamet est un auteur rigoureux, réduisant le texte à lessentiel.
Le style de Mamet est en quelque sorte une version américaine du style de Pinter : une distillation du langage parlé, concret, réel, une arme autant quun moyen de communication. Les personnages luttent avec la langue sans pouvoir la maîtriser, sans pouvoir sexprimer dune manière satisfaisante, en perpétuelle compétition, celle de notre monde moderne. Les personnages négocient leur survie, mais comme dans Beckett la lutte est sous-tendue par une ironie corrosive, à la recherche de leur identité. La rapidité effarante et la vigueur du langage expriment avec dautant plus de force la peur, le désespoir, la rage de ces personnages. Avec, par-dessous, une vraie générosité.
"La musique est mon modele" Entretien avec David Mamet
Où est la différence entre sujet théâtral et sujet cinématographique ?
Si je décide de manger ce soir dans un restaurant français, italien ou indien, lun vous donne plus envie que lautre. Pourquoi ? Je ne sais pas. Viscéralement, lun vous semble une meilleure idée que lautre. Dabord je pense à raconter une histoire intéressante avant de choisir le medium.
Pour des sujets contemporains comme le harcèlement sexuel dans Oleanna par exemple, jessaie de me soumettre à la forme pour trouver une distance esthétique entre moi-même et mon matériel.
Vous avez appris les lois dramatiques, mais reste-t-il indispensable daccumuler des expériences dans la vie pour raconter des histoires passionnantes ?
Aux Etats-Unis, on dit quon ne peut chanter le blues sans lavoir eu auparavant. Lexpérience nest pas forcément une question dâge. Beaucoup de jeunes ont des idées incroyablement puissantes et ils ont connu des moments décisifs. Seulement, en vieillissant on trouve parfois la capacité de les communiquer dune autre manière.
Jai fait beaucoup de jobs différents qui mont fait rencontrer des gens de toute sorte. Cela ma aidé à inventer des personnages. Pour le film Engrenages par exemple, je suis entré dans lunivers des joueurs et ainsi jai pu dévier et exorciser mes propres tendances criminelles. Ecrire est mon moyen de vivre ces fantasmes dangereux.
Ecrivez-vous aussi pour vous engager, confronter les spectateurs aux problèmes sociaux et politiques ?
Non, je veux raconter une histoire, je ne veux rien "révéler" : le sujet me vient à lesprit par coïncidence. Si les gens arrivent à bien suivre mon histoire, ils peuvent y découvrir dautres éléments. Quand je commence à écrire, jignore mon "thème" - je pense à lhistoire. La musique est mon modèle : parfois un morceau me comble tellement que jy trouve la vie elle-même. Malgré le fait quelle consiste seulement en des notes isolées, la musique peut avoir une unité immense et la puissance de provoquer des émotions les plus profondes - sans que le compositeur les ait mises sciemment dans son oeuvre.
Mon but serait décrire une pièce qui arrive à émouvoir les gens par sa pureté - comme un morceau de musique.
Extrait dun entretien réalisé par Marcus Rothe pour lHumanité.
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