Supposons que...
Pourquoi Céline ?
Guignol's Band dans l'uvre de
Céline
Pourquoi amener ce texte sur une
scène ?
Les textes choisis
L'actrice
Encore refaire ?... Non! faire
autrement...
Extraits de la deuxième
partie du spectacle
l'État renonce au mécénat des arts, l'exception culturelle soit une bonne blague, le théâtre public ne soit plus qu'un marché commercial de libre concurrence et prenant exemple sur le théâtre privé remplace ses acteurs par des mannequins/vedettes du cinéma, les directeurs de théâtres aient pour principale préoccupation d'équilibrer les comptes, de satisfaire le plus large public, de protéger leurs places et de se les échanger dans un grand jeu de chaises musicales, les metteurs en scène copient les uns sur les autres et ne s'inquiètent que de satisfaire les directeurs de théâtre, les jeunes qui se font rapidement une place aient des relations dans le milieu (famille, amant...), les acteurs et les metteurs en scène ne prennent plus le temps de travailler, les journaux n'aient pas les moyens de couvrir l'actualité théâtrale et qu'ils soient contraints pour des questions d'audimat ou de politique de ne s'occuper que des grands théâtres, les journalistes ne fassent plus de critique mais qu'émettre des opinions définitives à grands renforts d'adjectifs et de superlatifs, la seule préoccupation soit l'emballage, l'art soit superflu pour l'immense majorité de la population, alors, dans cette situation paranoïaque, comment pourrions-nous encore faire du théâtre ?
Nous serions condamné à plus ou moins courte échéance. En attendant, si nous voulions follement nous obstiner, il faudrait travailler beaucoup. Travailler avec peu de moyens. Travailler en équipe minimale. Trouver un théâtre qui aurait encore un idéal. Trouver par d'autres moyens que les circuits médiatiques habituels les spectateurs susceptibles de s'intéresser à autre chose qu'à des marchandises de distraction. Ne plus rien attendre de personne. Donner.
Depuis trois ans que nous travaillons sur ce projet, nous avons entendu cette question sans cesse, muette, alambiquée ou directe. Ça me fatigue. Ça me fatigue d'autant plus que cela ne vient pas de ceux qui pourraient montrer Céline du doigt. Cette bonne conscience bien propre "Ah, pas confondre, Céline ce n'est pas nous". Allez savoir.
Je serai toujours du côté de celui qui doute. Du côté de celui qui laisse parler. Du côté de celui qui invente contre celui qui détruit. L'Art n'est pas une morale, c'est un témoin. J'entends les bottes de ceux qui veulent rendre tout le monde pareil. Céline. Qui peut écrire comme il l'a fait ?
Usuellement la littérature développe des thèmes à l'aide d'une grammaire et d'un vocabulaire. Céline invente une grammaire et les mots qui s'adaptent au thème. Il décrit la guerre, la narration rentre en guerre avec elle-même. Le principe de la musique. Dans le délire, sa prose sort de ses gonds, réinvente l'écriture, toute musique et rythme. Aubaine d'être dans les premiers à poser cette écriture sur une scène.
Guignol's Band dans l'uvre de Céline
Troisième roman de Céline. Le premier tome de Guignol's Band est paru en 1944, temps où l'on ne se préoccupait plus de littérature. L'Histoire et les péripéties de Céline ont laissé le deuxième tome inachevé - il n'a été publié qu'après sa mort, nous offrant les plus émouvantes pages d'amour qu'il ait écrites. Le troisième tome ne fut qu'un projet. À une époque de destruction et mort, Céline réinventait la langue française, sortait de ses conventions et de son académisme, renouvelait la syntaxe, multipliait le lexique. Une écriture, un style qui sont liberté et vie. Une des plus belles prose du siècle.
Evénements et inachèvement ont tenu ce chef d'uvre dans l'ombre. La radicalisation musicale et poétique de cette écriture attend encore son heure, elle s'imposera.
Le Voyage met la langue natale en déséquilibre, Mort à crédit développe la nouvelle syntaxe en variations affectives, tandis que Guignol's Band trouve le but ultime, phrases exclamatives et mises en suspension qui déposent toute syntaxe au profit d'une pure danse de mots.
Gilles Deleuze
Critique et Clinique
Pourquoi amener ce texte sur une scène ?
Avec Guignol's Band et Féerie pour une autre Fois, Céline est au seuil de l'abstraction. On ne peut pas dire qu'il ne soit pas reconnu il n'est pas encore lu. La vie de cette écriture invite à lui prêter la voix. Une parole stylisée.
Faire lire. Désir. Faire découvrir. Partager. Faire lire autrement. Nous étions sûr que cette écriture conduirait le travail de l'acteur vers un ailleurs, qu'elle bouleverserait conventions, jeu et le rapport au spectateur. Une autre écriture pour essayer un autre théâtre. Se servir de l'exigence de Céline pour se remettre en cause plutôt que d'affirmer. Donner à voir ce qui se crée.
Première partie du spectacle - bombardement d'une colonne de réfugiés à Orléans, pendant la débâcle de 1940.
Deuxième partie - 1916 à Londres où le jeune Ferdinand est en convalescence après avoir été blessé au front. Il raconte son amour fou pour une adolescente anglaise. L'écriture à la limite de son effondrement, submergée désarticulée forgée par l'émotion. Poésie, chant ou cri nous retournons aux sources de la parole.
Et pourquoi une femme ? Se débarrasser de cette image grotesque de l'acteur singeant l'écrivain. Ne pas incarner Céline - se débarrasser de l'anecdotique. Une femme n'a pas cette tentation, elle va directement à l'essence de l'humain et du verbe. Il fallait être prêt à travailler longtemps. Affronter Céline. Partager ses peurs, ses brisures, sa soif de vivre... le délire comme parcours initiatique. Ce sera une actrice de rupture.
Encore refaire ?... Non! faire autrement...
Trois mois de travail pour cette reprise. Pour moi le théâtre ce n'est jamais quelque chose qui se refait. Il n'y a pas de répétition. Il y a quelque chose qui se déplace sans cesse. Les représentations ne sont pas la fin du travail. Elles sont le moment où l'on invite les spectateurs à poursuivre avec nous. Trois ans que nous sommes sur ce projet aucune lassitude. Le texte est infini, l'actrice aussi. Plus le temps passe plus le spectacle prend de la force. La volonté du neuf, de l'inédit, de la vitesse est une maladie de notre société - aveu d'impuissance, superficialité, mirage du progrès, angoisse de mort? L'art travaille avec le temps.
Cet automne premières représentations d'un autre travail commencé il y a un petit peu plus d'un an sur le peintre Dubuffet et le philosophe Tchouang-tseu...
Extraits de la deuxième partie du spectacle
Elle r'gardait ailleurs Virginie...
au loin là-bas vers l'autre côté...
l'autre rive... comme ça tout absente...
Pas un mot elle avait dit...
pas une petite réflexion...
elle se retourne vers moi...
mignonne figure pas fâchée...
et même un gentil sourire...
j'la vois encore dans la buée mauve...
comme ça toute pâlotte nous r'gardant...
le vent soufflait dans ses mèches...
le vent engouffrait par sautes...
il barbouillait tout
le brin de soleil... la buée...
la pluie... la fumée mauve...
elle en avait sur l'bout du nez...
petit nez mutin... nez de chat...
Ah! j'revois tout ça bien précis...
tout contre le navire...
le petit sourire...
je la verrai encore je crois
de l'autre côté...
sur l'autre bord du bout des choses...
c'est la magie même...
elle me reprochait rien...
prête encore à rire de tout...
3, cité Souzy 75011 Paris