Intention de Mise en Scène
Réflexions de James SAUNDERS
A
propos de " Alas, poor Fred " A duologue in the style of IONESCO
A propos de l Adaptation
Un homme et une femme parlent de leur passé et redécouvrent le crime quils ont apparemment commis. Mais toute cette histoire ne limaginent-ils pas pour supporter leur vie et réinventer leur jeunesse ?
Ionesco, Beckett, Pinter, Albee, Adamov, Arrabal, Saunders
On appelait leur théâtre, " Théâtre de lAbsurde ", tant leur appréhension de la réalité échappait aux compréhensions immédiates. Ils ont imposé un tel regard sur la société et les rapports intimes entre les individus, avec une telle innovation dans les structures dramatiques et lutilisation du verbe, quils rendaient instantanément périmé tout ce qui sétait fait avant eux.
Ce nest rien de dire quils influencèrent ceux qui comme moi ont commencé à faire du théâtre dans les années soixante. Cest en les lisant et en découvrant abasourdi les mises en scène de Terzieff, Régy, Mauclair, Bataille, Cuvelier, que nous avons imaginé que rien n'était plus magnifique que décrire et de mettre en scène, puisque le théâtre envoûtait les hommes, aiguisait les regards, changeait les réflexes, transformait le monde.
Le temps a passé. Le théâtre ne change plus le monde et le monde na plus besoin du théâtre pour révéler son absurdité. Limage a dépassé la réalité et sombre dans la virtualité. Mais le théâtre, lui, se nourrit de concret, et cherche encore un rôle à jouer dans la farce moderne.
Depuis combien de temps nai-je pas lu une pièce de Saunders ? Quen restera-t-il au-delà de lamnésie plus ou moins consentie quon a pour les enthousiasmes de jeunesse ? Que reste t-il de ce théâtre inventif mais récupéré cent fois ? Comment a-t-il résisté à lusure du temps, à laccélération des réflexes et des mentalités, aux nouvelles perceptions dun monde qui se réinvente chaque jour ? Je suis assez pessimiste lorsque jentreprends la lecture de "Hélas, pauvre Fred " dans ladaptation de Michel Carnoy.
Stupéfaction ! La pièce est forte, envoûtante, incroyablement maîtrisée. Les dialogues sont vifs, acerbes, détonnants. Absurde ? Il ny a rien dabsurde dans ce théâtre là. La pièce est devenue évidente, presque classique. Elle développe un grand sujet : le remords.
Loriginalité de forme qui semblait être, à la création, ce quon retenait dabord, est étrangement gommée par les ressorts dramatiques traditionnels : lenquête, lamnésie, la frustration, le coup de théâtre. Finalement, la progression dramatique est la même que celle d"Oedipe roi"de Sophocle !
Saunders vient tout à coup de se placer dans la lignée des grands dramaturges, tous siècles confondus. Jusquau titre, maintenant, qui prend des allures shakespeariennes ! " Hélas, pauvre Fred " ! Sûrement pour un anglais, cest " Alas, poor Yorick " qui doit venir à lesprit !
Décidément je monterai " Hélas, pauvre Fred " sans esbroufe, sans vouloir en rajouter de drame, de crime et de culpabilité, mais comme une pièce classique qui a du sens jusquentre toutes ses répliques, dont les mots sentrechoquent, se brisent, font écho à eux-mêmes et se réinventent sur des canevas inattendus.
La pièce, dans son contenu, pourrait avoir un côté sordide : quelle dérision que ce couple coupable, qui exorcise jour après jour une faute originelle ! Pourtant, le ton est joyeux. Oubliant leur forfait au fur et à mesure quils tentent de se le rappeler, les personnages sentretiennent dans un confort douillet. Le dérisoire a quelque chose de jubilatoire : voilà bien encore la contradiction des sentiments.
Philippe FERRAN
Extraits de : " Réflexions de James SAUNDERS sur son théâtre, sur le théâtre " ( 27 mars 1993). Traduction de Bruno SCHROEDER.
" Ce que je veux souligner cest que quelle que soit loccasion, il ny a pas moyen déchapper à la nécessité de jouer. "
" Même loin de la scène ou de lestrade, la représentation continue. Elle commence dans notre petite enfance, nous apprenons en imitant, limitation, cest du théâtre. Elle se poursuit à lâge adulte, lorsque nous jouons les rôles que nous souhaitons que les autres nous voient incarner. On pourrait dire du théâtre quil est un cas particulier, où des gens se font payer pour jouer et où un public paie pour les voir. Jouer un rôle de composition, se projeter dans un personnage, cest probablement ce qui ma attiré vers le théâtre "
" Cela veut dire que les questions quun acteur poserait à son personnage afin de le jouer le mieux possible, cet homme (ce personnage) se les pose à lui-même. "
" Attirer lattention sur le fait que les gens jouent leur rôle en puisant dans leurs réserves, selon les circonstances, cela ne veut pas dire quil ny ait pas quelquefois, en dessous, un moi qui ne joue pas, une créature souffrante ou en manque, aimante ou abandonnée : le moteur non intellectuel de lindividu. Mais un dramaturge ne peut véritablement montrer que la surface des choses parce quil na à sa disposition que des mots, et les mots par nécessité ne touchent que la surface. Cette créature enfouie qui ne joue pas, doit se prendre elle-même en charge ou être imaginée par le public. Ou peut-être est-ce lacteur, qui par le jeu qui accompagnera les phrases quil prononce, y fera allusion dune manière quelconque. "
" Ce que je laisse entendre, cest que, quoi que soit le théâtre par ailleurs et il peut être bien des choses cest une mécanique très efficace pour étudier les moyens que nous utilisons pour nous mettre en scène et jouer les rôles que nous avons décider de jouer. "
" Lintérêt que je porte au théâtre comme représentation de lauto-conscience de lêtre, a probablement commencé à la fin des années cinquante. Lexistentialisme était la philosophie à la mode, à travers Sartre et Camus, et loutil théâtral était labsurdité de Ionesco et de Beckett. Le théâtre de labsurde fournissait un moyen tout prêt dexprimer les problèmes existentiels. La scène est un espace à lintérieur duquel les gens font semblant dêtre réels. Lespace lui-même na pas de sens. Il est simplement là et on demande aux personnages de jouer dans ses limites. La seule alternative est de quitter la scène et de ne plus exister. "
A propos de " Alas, poor Fred " A duologue in the style of IONESCO
Ecrite en 1959 et créée la même année au théâtre-in the-round de Scarborough, " Alas, poor Fred " ouvre une série dune trentaine de pièces en un acte, dont la force repose sur lambiguïté entre réel et imaginaire.
Laboratoires où se développent des expériences humaines, ces pièces introduisent les questions universelles de lHomme dans sa quête didentité et de vérité.
Elles sarticulent la plupart du temps autour de situations de huis clos, dans lesquelles deux ou trois personnages (souvent des couples), engagés dans un dialogue générateur de tensions, tentent de percer un mystère.
Pris dans un jeu cérébral, qui passe par le langage, ils jouent jusquau vertige. Linsupportable mise à nu de leurs mensonges et de leurs frustrations les condamnent alors à jouer et à rejouer à linfini : être ou ne pas être coupable, tel en devient lenjeu du jeu.
Conscient de lartificialité du théâtre, Saunders transgresse les conventions théâtrales et utilise leurs mécanismes dimitation du réel dans sa vision du monde, où le spectacle prédomine.
Jeu dans le jeu, jeu de rôle, jeu de mots et jeu décriture, son théâtre se trouve au carrefour de lexistentialisme, de labsurde, de la pièce policière et du vaudeville.
" La tradition dramatique est bien là, omniprésente, riche de toutes ses interrogations métaphysiques . Alas, poor Fred en est un concentré. "
" Un espace unique, une situation de huis-clos, un objet scénique (un tricot) forment lépure de toute pièce de labsurde. Ici deux personnages (un homme et une femme) évoquent leur passé et le crime quils ont apparemment commis -à moins que toute lhistoire ne soit inventée- en supprimant ce pauvre Fred. La femme, Mrs Pringle, tricote inlassablement. A la fin de la pièce, on apprend que Fred était le premier mari de Mrs Pringle, et que Mr Pringle, alors son amant, caché dans le placard, fut découvert par Fred, ce qui valut à ce dernier de se faire couper en morceaux. "
" Lobjet métaphorise la situation dans cette parodie de vaudeville policier. En effet, cest le dialogue lui-même qui est tricoté avec élégance, tout comme le passé, tricoté puis défait comme un tricot, jusquau dernier point. " (Nicole Boireau, université de Metz, 1994).
Jouée pour la première fois, en français dans le texte (dans une autre adaptation), il y a une trentaine dannées, au théâtre de Lutèce, sous la direction de Laurent Terzieff, cette pièce, " Hélas ! ", na jamais été remontée depuis.
Interview de Michel CARNOY par Anne MAZARGUIL
Lorsque jai rencontré Michel CARNOY et que je lui ai demandé ce qui lavait poussé à adapter " Hélas, pauvre Fred ", je me suis trouvée face à un homme dune étonnante fantaisie. Ses réponses ressemblaient curieusement à celles de James SAUNDERS : déstabilisantes et pleines dhumour. Au " pourquoi écrivez-vous des pièces ? ", lAuteur répond : " Parce que les critiques disent que je suis un gars bien ", "pour largent " ou encore "parce que je nai guère daptitude à faire autre chose ". Michel CARNOY, lui, après une série de plaisanteries de la sorte, avoue sincèrement : " je suis comédien et désirais incarner le rôle dErnest " ; ce qui est la meilleure des motivations. Puis, voici ce quil ma confié :
- A.M : " quand avez vous rencontré lécriture de Saunders ? "
- M.C : " Jai eu la joie de créer " un parfum de fleur " au théâtre La Bruyère dans une mise en scène de G. VITALY. Cest une écriture étrange, légère, très quotidienne, charnelle aussi qui raconte des choses graves sur le ton de la comédie. Finalement les personnages sont tout à fait conventionnels, mais ils se trouvent dans des situations hors du commun, incroyable même ! Voilà, cest une langue qui me fascine. Il y a quatre ans, jai traduit une phrase de " Hélas, pauvre Fred ". Il métait impossible de marrêter, je devais continuer jusquau bout. Je souriais, javais peur. Jai vécu un moment intense. "
- A.M : " Et maintenant ? "
- A.C : " Je souris mais je nai plus peur. La pièce est prête. Il fallait une comédienne, un metteur en scène. Ils ont lu. Ils sont daccord. Merci Pascale ROBERTS, merci Philippe FERRAN, avec qui je voulais travailler depuis longtemps. "
- A.M : " Vous nommez votre travail : adaptation. En quoi en est-ce une, plutôt quune simple traduction ? Est-elle si différente du texte original ? "
- M.C : " La traduction ne mintéresse pas. Dabord parce que lexactitude nexiste pas en linguistique, surtout lorsquil sagit de théâtre et encore plus quand on aborde Saunders. Dans " Play for yesterday "(Le langage est une façon tellement inadéquate de dire les choses), Saunders fait dire à lun de ses personnages : " language is such an inadequate way of saying things ". Voilà en une phrase la problématique de la traduction posée ! On ne peut quinterpréter un texte. Ce qui est en anglais ne trouve évidemment pas son équivalent en français. Non seulement les jeux de mots propres à une langue ne veulent rien dire dans une autre, mais cest la langue même de Saunders qui nadmet pas la simple transcription. Jai voulu être au plus prés de son écriture. Pour lêtre au mieux, il faut parfois sen éloigner. Jai par exemple transformé un monologue en un dialogue. Le français est une langue trop cartésienne et rendrait indigeste ce quécrit Saunders. Il me fallait briser cette structure trop rigide pour que sen évade limaginaire. Les transmissions de pensées dEthel et dErnest ne pouvaient exister que par un dialogue improbable. "
- A.M : " Votre adaptation comporte donc déjà une part de mise en scène ? "
- C.M : " Non. Tout le reste est à inventer. Au-delà des mots il y a des personnages. Je laisse à Philippe FERRAN la part qui lui revient. Maintenant, je ne regarde plus ma pièce quavec le regard du comédien avide de jouer un Ernest quil me reste encore à découvrir. "
39, quai d'Anjou 75004 Paris