Résumé
Extraits
Notes du metteur en scène
Chronique de la Luxiotte
Une très belle biographie de l’un des pionniers du rock, Jerry Lee Lewis ; mais aussi une vraie histoire américaine : un gamin de Louisiane, issu d’une longue lignée de colons sudistes qui, après la transe de Dieu lors des messes pentecôtistes, découvre dans les bouges nègres le blues, « la musique du diable ».
Le vieux rock’n’roll laissera place à un univers sonore composite, un sermon profane à plusieurs voix, pour raconter une édifiante histoire de l’Amérique entre le Ciel et l’Enfer.
« Il était le Tueur, et il était immortel – condamné à l’être, aussi longtemps que le bien et le mal seraient là pour écarteler les hommes dans d’atroces souffrances. (…) Il avancerait comme un homme vers la scène, son cigare dans une main et un grand verre de whisky dans l’autre, et il pilonnerait son piano en chantant ses chansons du péché, et il exhorterait tous ces mortels rassemblés là devant lui ; il les exhorterait à venir, à se tenir debout avec lui quelques instants au bord de l’enfer. Puis il s’en irait dans la nuit ancienne, vers d’avantage de pilules et d’avantage de whisky, là où les chiens noirs n’arrêtent jamais d’aboyer et où l’aube n’arrive jamais ; il s’en irait là-bas » Nick Tosches - extrait de Hellfire
« Je veux que les choses soient bien claires. Hellfire de Nick Tosches est le plus beau livre jamais écrit sur un interprète de rock’n’roll – il est sans égal. Mais il est loin de n’être que cela. Tôt ou tard, Hellfire sera reconnu comme un classique de la littérature américaine. » Greil Marcus, in préface à Hellfire
- Texte
Je suis tout à fait d’accord avec Greil Marcus lorsque, dans sa préface à Hellfire il écrit que le texte de Tosches prend la forme du sermon biblique.
C’est une très belle matière à dire ; un sermon à plusieurs voix, pour raconter une édifiante histoire entre le Ciel et l’Enfer.
Ce dont je suis sûr aujourd’hui, c’est de ne pas écrire une « vraie pièce de théâtre » à partir de ce livre. Je garderai le style narratif, bâtirai autour du « il », celui du sermon.
Feu d’Enfer / Hellfire raconte une tension monstrueuse entre les aspects les plus violents du puritanisme américain, et la sexualité assumée du rock’n’roll.
C’est une belle biographie de Jerry Lee Lewis ; mais c’est surtout une vraie histoire américaine : celle d’un gamin de Louisiane, un jeune blanc issu d’une longue lignée de colons sudistes qui, après avoir vécu lors des messes pentecôtistes la transe de Dieu, à l’adolescence découvre dans les bouges nègres le blues, « la musique du diable ». Là naît cette tension, qui le nourrira et le détruira toute sa vie. La transe de Dieu et la transe du Diable…
- Sur scène
De vrais «diseurs» de texte : Stéphane Bernard, Douce Mirabaud (une jeune comédienne remarquable avec qui j’ai travaillé ces deux dernières années dans le cadre du compagnonnage du NTH8, et qui aujourd’hui aura tout à fait sa place dans cet univers) ; et moi. Nous serons les narrateurs, qui pour quelques instants parfois endosseront des rôles et incarneront des personnages. Ce type de théâtre, constamment adressé au public, est celui que je recherche depuis mes deux derniers spectacles sur les nouvelles de Dylan Thomas.
Et trois régisseurs, fabricants d’univers : Seymour Laval, responsable de la scénographie, de la lumière, modifiera les espaces, créera les images… Catherine Delmond, oscillera entre la fabrication de sons et une complexe régie-costumes agissant à vue sur le travail des acteurs. Eric Dupré mettra en forme l’univers sonore.
- Musique et son
J’adore le livre de Nick Tosches. Et pourtant la musique de Jerry Lee Lewis ne m’intéresse pas. Ce qui m’a nourri fortement quand j’étais adolescent, c’est le pop-rock des années soixante, les Stones, les Who, Dylan, puis leurs extensions psychédéliques avec Pink Floyd, Hendrix, le Velvet, etc.…, pour ne parler que des très connus…
Mais il n’y a pas eu sur ces artistes une écriture aussi forte que Hellfire. Il y a juste eu des articles, des faits, des anecdotes, mais pas une matière-texte comme celle-là. Et ce qui compte pour moi c’est la langue. C’est le texte qui me sert de moteur.
Contrairement à ce que j’avais imaginé à une époque, ce spectacle n’utilisera pas sur scène les instruments mélodiques fétiches de la musique pop-rock (pas de guitare électrique, de clavier, de guitare basse, etc.…).
Nous fabriquerons plutôt un très riche univers sonore, souvenir d’un bayou imaginaire réinventé. Avec plusieurs micros et de tout petits instruments - ces instruments archaïques comme sifflets, guimbardes, crapauds de bois -, avec aussi des objets domestiques détournés de leur fonction première et utilisés ici comme sources sonores, nous créerons un grouillement d’éléments sonores. Parfois quelques fragments de vieux blues ou de rock, traces fossiles, dans cet univers qui laissera aussi une part belle au silence.
Il sera ponctué de respirations apportées par des chants a capella. Très mélodiques, ces chants seront écrits à partir d’extraits du texte de Tosches, et aussi à partir de paroles de chansons (en américain et en français). Ce seront des compositions originales, greffées sur l’univers sonore ou nées du silence…
- Espace
Ce qui m’intéresse, c’est de considérer l’espace scénique comme un lieu peuplé de personnes et de machines, un lieu sans cesse mouvant et réinventé, où l’on voit le travail de plusieurs personnes en action.
Depuis longtemps j’aime mettre en scène le rôle du régisseur plateau ; surtout lorsque c’est Seymour Laval. Son travail est très agréable à regarder ; il est d’une grande élégance, à la recherche du geste efficace, juste et calme, proche de l’épure. Dans cet esprit, une régie costumes modifiera à vue le corps des comédiens. Ces changements, pendant le jeu, en modifient l’acte.
Des croisements s’opéreront entre le jeu des acteurs et les actions des régisseurs, plateau, costume, son. En mettant en scène ces rencontres, je mettrai les régisseurs en jeu. L’été dernier je cherchais comment définir ce nouveau projet, je relisais d’anciens dossiers et dans le dossier artistique de PN de DT (Poèmes et Nouvelles de Dylan Thomas) j’ai retrouvé : «une rêverie âpre sur la naissance et la mort, le désir et le puritanisme, en liaison avec les pouvoirs de la nature ».
Cela m’a frappé de voir à quel point certains éléments de ce descriptif s’accordaient avec le nouveau Hellfire : désir et puritanisme, et plutôt puritanisme et sexualité…
Tous mes spectacles réalisés depuis 2002 sont une suite de variations sur ces thèmes-là ; avec bien sûr divers angles d’éclairage, selon l’époque, le lieu, le contexte etc.… : C’est par le désir immense d’Harriet Bosse perdue que Strindberg parvenait à la jalousie pathologique et à la paranoïa, mais aussi au douloureux processus de création. Dylan Thomas confrontait son désir de vie (et de mort) à la culture puritaine anglaise, avec une joyeuse touche d’humour désespéré mais vivifiant… Nick Tosches raconte un Jerry Lee Lewis, trublion à l’âme déchirée entre les menaces du Saint-Esprit et les charmes du diable – ce dernier prenant la forme du piano boogie-woogie.
D'aucuns se posaient, ces dernières décades, une question iconoclaste : existaitil (quelque part dans notre grand chaos climatisé) une littérature rock ? On trouvait toujours quelqu'un d'un peu distrait pour citer la beat generation, Jack Kerouac, Ginsberg, Burroughs, etc : un beau mélange qui menait nulle part.
Pourtant le rock, cette musique sauvage qui déferla sur les ondes du fond des années 50, semblait avoir laissé sec les lettrés. Alors ? Rien à l'est, rien à l'ouest ? A voir. Aux Etats-Unis, des journalistes venus de la presse rock, ont écrit des bouquins. Le plus talentueux d'entre eux est peut-être Nick Tosches. Ce gars est capable de vous faire prendre des artistes qui ont produit une musique atroce pour des génies musicaux. Menteur comme un écrivain ? Non, plutôt possédé par certaines idées fixes qui permettent d'aller loin. Avec Hellefire, biographie de Jerry Lee Lewis qui a mis 20 ans à parvenir au pays d'Astérix, on découvre un réel écrivain.
Ce livre nous plonge dans le vieux Sud, celui de Faulker en Louisiane très exactement, ces terres plates caressées par les eaux fangeuses du Mississipi. Nick Tosches ne commence pas son bouquin par les vagissements du petit Jerry Lee quand il n'a pas encore un cheveu sur la tête ; il plonge deux siècles plus tôt, partant de l'arrière grand-père, et remonte les générations. Avec une écriture, un ton, des périodes bibliques, il montre comment la semence des Lewis a donné une grande tribu du côté de Moroe et de Ferriday. On se marrie jeune, on boit sec, on est parfois des durs, mais surtout des gens du Sud. On vit au pays des sectes pentecôtistes. On aime la musique dans les églises où souffle l'Esprit Saint, aussi en dehors des églises ; et le petit Jerry Lee naît dans cette soupe-là.
Le récit est lancé. Après le ton biblique épicé par le langage du Sud, on passe à l'ascension du rocker qui a pour seul rival Elvis Presley. A l'épopée d'une famille succède celle d'un homme, le Tueur – surnom qui lui vient de l'école ; il se met à jouer, chanter du boogie-woogie – « la musique du Diable » –, à accélérer le rythme. On est en 1954 :date de naissance du rock'n'roll. L'interprétation de Whole lotta shakin' goin' on propulse Jerry Lee Lewis vers les hauteurs : tournée au Canada, prestations à New York. Il atteint des sommets, mais ses concerts déchaînent la violence.
Pourtant la chute vient vite. Pendant une tournée en Angleterre, il révèle son mariage avec une fille de 13 ans – son troisième mariage. De Gaulle, qui évite une guerre civile au pays des mangeurs de grenouilles, lui pique la une des journaux. Et tout s'effondre. Mais après une traversée du désert, il renaît de ses cendres. Quand il revient sur le devant de la scène, il se trouve en complet décalage, ce qui donne des pages piquantes. Extrait : « la situation n'était plus la même, tout était devenu étrange et irréel... Le rock'n'roll lui-même avait changé. Il était doux et faible... » Quand il fait une tournée en Angleterre, il voit qu'il se passait des choses étranges. Les garçons s'habillaient bizarrement – ils ne portaient pas les habituels costumes des Teddy boys, mais des vestes à rayures et à pois, et de ridicules petites casquettes. Les filles aussi : bottes blanches et jupes couvrant à peine la source de tous les malheurs ». Voilà pour le ton, jusqu'à la nouvelle chute.
Il y aurait encore beaucoup de choses à dire sur ce livre. L'ascension et la chute de Jerry Lee Lewis, tiraillé entre la voie de Dieu et celle du Diable, meilleur pianiste que Fats Domino, mari et entrepreneur tyrannique, a inspiré à un journaliste qui a pratiqué des tas de boulot – comme tous les Américains-, n'estce pas? – un morceau de bravoure. Littérature rock ? Avec ce bouquin, Nick Tosches a frappé dans le mille.
Hellfire, Nick Tosches, Editions Allia, 238 pages, 18,29 € © Chroniques de la luxiotte (Mis en ligne le 13 mars 2002).
5, rue Petit David 69002 Lyon