Henry V, par Jean-Louis Benoît (metteur en scène)
Azincourt, 25 octobre
1415 : "Maudite Journée", par Frédéric Bélier-Garcia (assistant à la mise en scène)
Il semblerait quaucune équipe française de théâtre nait monté HENRY V de Shakespeare. HENRY V, cest Azincourt, et si " Agincourt " est une victoire anglaise, Azincourt est aussi une catastrophe française. Cette pièce ne serait-elle considérée que sous son angle patriotique anglais ? Ce qui expliquerait quaucun français nait eu envie de mettre sur scène une pièce où lAngleterre rit à ses dépens, où la France pantelante nest dirigée que par de sots fanfarons, dindons de cour qui la mènent allègrement au massacre et au dépècement, pour en fin de compte la lui abandonner. Peut-être un certain chauvinisme a-t-il toujours voulu occulter les heures sombres de notre Histoire de France?
HENRY V de Shakespeare nest certainement pas quune uvre patriotique. Lépique y côtoie souvent le médiocre. Le grotesque y dégonfle le glorieux et le trivial samuse régulièrement à détrôner le mythe. Malgré les déclarations emphatiques du Chur, nous avons du mal à ny voir quun éloge de la guerre. Henry est un roi complexe : jamais personnage na suscité autant de controverses. Est-il pervers, vengeur fléau de Dieu, usurpateur à linstar de son père, ou bien Prince chevalier relevant un défi tel le héros dune épopée antique, attaché aux justes causes dune juste querelle, figure étrangement christique ? Cet homme debout - sur lequel ironise peut-être Shakespeare ? - ne cesse de balayer les obstacles pour remporter une imprévisible victoire. Conte merveilleux, légende, la pièce semble se dérouler comme une fresque mouvante, sur fond denluminures naïves du XVème siècle.
Ce spectacle sera repris en décembre au Théâtre de lAquarium, au cur du bois de Vincennes où, en lan 1422, mourut un jeune roi dAngleterre, héritier de la couronne de France : Henry V.
Jean-Louis Benoit
Azincourt, 25 octobre 1415 : "Maudite Journée"
"J'ai l'opinion qu'il soit meilleur d'être hardi
que prudent, à cause que la fortune est femme,
et qu'il est nécessaire de la battre et heurter."
Nicolas Machiavel,
Sur la première décade de Tite-Live.
Le triomphe de la maison de Lancastre a porté au pouvoir le parti de la guerre. Mais Henry V devenu roi le 20 mars 1413 à l'âge de 25 ans, doit encore rallier sa propre noblesse. Pour ce faire, il lui offre une aventure française. Fort de la guerre civile entre Armagnacs et Bourguignons qui divise le royaume de France, il revendique les terres continentales de l'empire perdu des Plantagenets (Anjou, Maine, Flandre, Touraine, Bretagne, Normandie). Terres de ses aïeux depuis Isabelle de France, fille de Philippe Le Bel et mère d'Edouard III, confisquées au nom de la loi salique par les barons de France.
Ainsi se poursuit le conflit qui met aux prises depuis près d'un siècle les deux grandes monarchies féodales pour la suprématie en Europe, et qui restera sous le titre de "guerre de Cent ans".
Pour faire triompher cette "voie de la justice", Henry débarque le 14 août 1415 en Normandie à la tête d'une armée de treize mille hommes et entame le siège d'Harfleur. Laissée sans secours, la ville tombe le 22 septembre. Mais bien vite son armée, ravagée par les épidémies et la dysenterie, n'est plus en état de battre campagne. Henry abandonne son projet de grande marche sur Bordeaux et décide alors de regagner l'Angleterre. Mais il doit, pour l'honneur et avant de quitter le continent, traverser certaines terres qu'il réclame.
Il choisit donc de marcher jusqu'à Calais, tout en prenant soin d'éviter l'armée française qui se rassemble. Une armée réputée nombreuse et redoutable, riche de chevaliers avides de gloire, de fête guerrière, et de butin, accourus à la semonce du roi.
C'est le 24 octobre au soir, à deux jours seulement du but, que des éclaireurs viennent apprendre à Henry qu'une armée française s'est déployée en avant en ordre de bataille. Trente mille hommes, "la fleur de la Gentillesse" française venue barrer la route de Calais sur les crayeux plateaux d'Artois à l'envahisseur anglais.
Aux premières lueurs de l'aube, ce 25 octobre 1415, quarante mille hommes se font donc face sur un labour plat, fraîchement planté de blé d'hiver, détrempé par "la grande pluie octobreuse", entre les bois de Tramecourt et d'Azincourt. Trois kilomètres de long pour huit cent mètres de large.
Forte du surnombre (plus de trois soldats français pour un anglais), la noblesse française se dispute les premières places. A l'avant-garde, Princes et barons, puis viennent les chevaliers, tenants en chef de fiefs, et vassaux du Roi. Ils ont relégué derrière archers, arbalétriers et miliciens communaux... toute la vulgaire "piétaille".
Après trois heures de face à face et de défis, deux colonnes de mille quinze cent cavaliers français armoriés et superbes s'élancent dans l'étroit labour d'Azincourt. Accablés par les flèches des archers anglais, trop serrés sur ce petit périmètre pour faire librement usage de leurs armes, les chevaliers français viennent empaler leurs montures sur les piquets dressés par les archers anglais. Jetés à terre, incapables de se relever sous le poids de leurs armures, ils sont dépecés par les couteliers anglais, tués à coups de gourdin ou par les incises portées aux jointures de leurs armures.
Au mitan de la bataille, l'armée française n'est plus qu'un tas de cadavres "haut comme un homme et au-delà...", que les anglais doivent escalader ou tailler dans le vif à coups d'épée et de hache pour se frayer un passage. Ainsi s'achève la boucherie d'Azincourt. La bataille n'a duré que trois heures, près de six mille chevaliers français sont morts, soit près de 40% des baillis et sénéchaux du royaume.
La défaite des preux chevaliers, avides de faits d'armes glorieux face à la plèbe marque la fin de toute une éthique guerrière. Désormais "L'authentique courage des peuples cultivés consiste à être prêts à se sacrifier pour l'Etat, de telle sorte que l'individu n'est plus qu'un entre beaucoup. L'important n'est pas le courage individuel mais l'intégration dans l'universel". (1)
Dans la boue d'Azincourt surgit la modernité en arme. La guerre, notre mère...
Frédéric Bélier-Garcia
(1) Hegel "Principes de la philosophie du droit" 1821.
square Pablo Néruda 30104 Alès