En 1994, un homme se jette dans la Seine. Après son ami Paul Celan. C’est Ghérasim Luca, le surréaliste né en Roumanie qui avait fait du français une langue étrange : la sienne. Une langue orale qu’il lisait lui-même, renversant d’un même verbe l’esprit et le corps.
La rage qui le portait conjuguait une inquiétude métaphysique et un jeu, des mots qui glissent, un humour jamais très éloigné des larmes. Pour s’affranchir poétiquement de tous les automatismes sclérosés du sens, Ghérasim Luca a dû jouer avec les structures syntaxiques, faire bégayer la langue, inviter sa voix en incarnation rauque du corps tout entier.
« La mort, la mort folle, la morphologie de la méta, de la métamort, de la métamorphose ou la vie, la vie vit, la vie-vice, la vivisection de la vie étonne, étonne et et et est un nom, un nombre de chaises, un nombre de 16 aubes et jets, de 16 objets contre, contre la, contre la mort ou, pour mieux dire, pour la mort de la mort ou pour contre, contre, contrôlez-là, oui c'est mon avis, contre la, tout contre la vie sept, c'est à, c'est à dire pour, pour une vie dans vidant, vidant, dans le vidant vide et vidé, la vie dans, dans, pour une vie dans la vie. » Héros-Limite, José Corti, 1995.
Il y a les poètes que l’on aime et il y a ceux qui nous accompagnent, des complices, qui petit à petit font partie de nous. Un peu impudique, nous les emmenons partout, ils nous suivent ou nous poursuivent dans les recoins de vos sentiments cachés, témoins silencieux et pourtant ô combien bavards de nos douleurs et de nos chaleurs, dans cette irrésistible envie d’aimer et d’être aimé.
Machinalement la main glisse dans une poche, dans un cartable, un sac et en ressort un livre, le cahier contenant le poème. Fort de cette complicité, on se laisse aller à la lecture du poème comme à une ivresse, à un plaisir intime.
Se dévoiler, se dévêtir, la gêne ressentie…que l’on aime tant au fond ! Ce moment, un peu bègue, un peu tremblotant, et puis on éteint la lumière.
Donner à l’autre à entendre ses fragilités, ses pas hésitants, le temps allongé des mots qui ne veulent pas sortir. Les sentiments qui se compriment, le besoin de se dire tant et tant de choses. Que ma vie n’est qu’un fragment d’accident, d’incident, qu’il ne m’est jamais facile de vous parler. Nous somme tous, à certains moments, les bègues de notre vie.
Ce complice intime et bavard à la fois est pour moi Ghérasim Luca. La fragilité de cette langue me bouleverse et m’a souvent paru être l’écho de ma propre déraison.
C’est lors d’une de ces relectures habituelles que j’ai pensé que l’acteur Jean-Charles Dumay et l’accordéoniste Johan Riche seraient juste à leur place pour réaliser une mise en voix et en musique de « Héros-limite » comme Ghérasim Luca l’a d’ailleurs fait lui-même à plusieurs reprises.
Il ne s’agit pas de transformer les poèmes en chansons , ni d’inventer un accompagnement, mais de faire une proposition sonore et musicale, de réaliser un véritable travail de création musicale en dialogue, réponse au jeu d’écriture de ces textes intimes, toujours ancrés sur le sensoriel, sur l’âme. Le cri, la douleur mais aussi l’humour, la fragmentation de nos sens… sa parole, à bout de souffle, vient nous percuter.
Laurent Vacher
« Il m'est difficile de m'exprimer en langage visuel. Il pourrait y avoir dans l'idée même de création-créaction-quelque chose, quelque chose qui échappe à une description passive telle quelle, telle qu'elle découle nécessairement d'un langage conceptuel.
Dans ce langage, qui sert à désigner des objets, le mot n'a qu'un sens, ou deux, et il garde la sonorité prisonnière. Qu'on brise la forme où il s'est englué et de nouvelles relations apparaissent : la sonorité s'exalte, des secrets endormis surgissent, celui qui écoute est introduit dans un monde de vibrations qui suppose une participation physique, simultanée, à l'adhésion mentale à la représentation.
Libérer le souffle et chaque mot devient un signal. Je me rattache vraisemblablement à une tradition poétique, tradition vague et de toute façon illégitime. Mais le terme même de poésie me semble faussé. Je préfère peut-être : " ontophonie " . Celui qui ouvre le mot ouvre la matière et le mot n'est qu'un support matériel d'une quête qui a la transmutation du réel pour fin. Plus que de me situer par rapport à une tradition ou à une révolution, je m'applique à dévoiler une résonance d'être, inadmissible.
La poésie est un " silensophone " , le poème, un lieu d'opération, le mot y est soumis à une série de mutations sonores, chacune de ses facettes libère la multiplicité des sens dont elles sont chargées. Je parcours aujourd'hui une étendue où le vacarme et le silence s'entrechoquent – centre choc –, où le poème prend la forme de l'onde qui l'a mis en marche. Mieux, le poème s'éclipse devant ses conséquences. En d'autres termes : je m'oralise. »
Ghérasim Luca ( Lichtentstein 1968. Introduction à un récital.)
« Une poésie musicale qui prend toute sa force dans cette double oralité, dévoilant les mutations sonores des mots triturés par Ghérasim Luca, libérant les facettes de leurs mystères pour autant de résonance en chacun des spectateurs. » L’Est Républicain, 18 janvier 2007
On m'avait parlé de Ghérasim Luca, ce poète surréaliste d'origine roumaine qui écrivait en français. Sa poèsie est singulière: mots reconstruits, malaxés, begaiement de la langue... J'étais curieux de voir une mise en scène de ses poèmes... j'avais peur aussi. Comment rendre cette poèsie scénique? La mise en scène de Laurent Vacher, avec le comédien Jean-Charles Dumay et l'accordéoniste Johann Riche, est une vraie réussite! La poésie de Ghérasim Luca sort en notes et en paroles. Un pur moment de plaisir! Cette langue étrange se prête bien à La Générale, friche artistique tout aussi singulière... Bonus: tous les mardis à l'issue du spectacle, le musicien invite son groupe et se lancent dans un concert semi-improvisé de jazz-manouche. Le tout au bar de La Générale dans une ambiance festive! BRAVO!
On m'avait parlé de Ghérasim Luca, ce poète surréaliste d'origine roumaine qui écrivait en français. Sa poèsie est singulière: mots reconstruits, malaxés, begaiement de la langue... J'étais curieux de voir une mise en scène de ses poèmes... j'avais peur aussi. Comment rendre cette poèsie scénique? La mise en scène de Laurent Vacher, avec le comédien Jean-Charles Dumay et l'accordéoniste Johann Riche, est une vraie réussite! La poésie de Ghérasim Luca sort en notes et en paroles. Un pur moment de plaisir! Cette langue étrange se prête bien à La Générale, friche artistique tout aussi singulière... Bonus: tous les mardis à l'issue du spectacle, le musicien invite son groupe et se lancent dans un concert semi-improvisé de jazz-manouche. Le tout au bar de La Générale dans une ambiance festive! BRAVO!
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