La tendresse blessée
Une opportunité politique
Horace ou la naissance de l’homme
Un théâtre d’histoire
« Le signe de la tragédie véritable est de ne pas porter de date. » Serge Doubrovsky
Albe et Rome, cités soeurs et voisines, sont en guerre. Sabine, l’Albaine, est mariée à un Romain de noble famille, Horace ; Camille, soeur d’Horace, est fiancée à Curiace, frère de Sabine. La guerre s’est installée au coeur même de deux familles étroitement unies par l’alliance et l’affection. Malgré toutes les tentatives d’apaisement des femmes, le combat a lieu…
Horace, Camille, Curiace, Sabine, Valère et Julie sont des êtres en devenir, pleins d’espoir, d’amour et de joie. La guerre et le conflit vont leur imposer un choix qui décide de leur destinée. «La tragédie est la peinture d’une double crise : celle qui oppose les uns aux autres les protagonistes, celle surtout qui fait se heurter passions et nature, devoir et amour en chacun d’eux.»
La dimension politique de la pièce ne peut manquer de nous évoquer les conflits ethniques et religieux dont nous sommes aujourd’hui encore les témoins. Mais comment rester humain lorsqu’on est confronté à des situations inhumaines ?
Une lecture contemporaine permet-elle de considérer autrement les rôles et responsabilités que Corneille attribue à chaque clan et à chaque sexe ? Si les femmes sont tournées vers l’intime, les hommes, dominés par l’orgueil, invoquent la « raison d’État ». À l’incessant et silencieux combat pour la vie des unes répond la soumission bruyante au devoir patriotique des autres. Une distribution multiculturelle atteste le caractère intemporel et universel de cette oeuvre, et l’alexandrin situe pour nous les enjeux à bonne distance : si nous ne pouvons comprendre, abstenons-nous de juger.
Naidra Ayadi
L’intention d’Horace ? Dans la hiérarchie alors admise des genres, la tragédie vient avant la tragi-comédie ; il était normal que Corneille, qui ne s’était exercé à la tragédie qu’avec Médée, voulût montrer, à la suite de la querelle du Cid qu’il était capable d’accéder au sommet de la hiérarchie dramatique, d’où Horace.
Le sens moral ou civique de la pièce ? Préciser les conditions d’une morale pour un pays en guerre. Puisque tout refus de porter les armes est exclu, reste la morale proposée par les Horaces père et fils : on peut demeurer sensible aux liens d’amitié et de parenté, mais il faut ne pas laisser infléchir par eux sa conduite pendant la durée des hostilités. En temps de guerre, il faut voir uniquement les devoirs envers le pays, qui se confondent avec l’honneur individuel et un légitime désir de gloire. Qui se laisse aller aux attendrissements et aux déplorations montre une fêlure secrète dans sa force morale, et cela promet la défaite.
L’opportunité politique de cette leçon n’est pas douteuse. La France se trouve alors en guerre avec la puissante monarchie espagnole qui pèse sur ses frontières. L’opinion n’est pas unanime pour accepter cette guerre : de grands féodaux sont partisans, et jusqu’à la rébellion, d’une alliance avec l’Espagne. La reine Anne d’Autriche est une infante d’Espagne ; un scandale politique en est résulté, tel qu’il a même été question de la répudier. Les problèmes qui se posent à une bonne partie de l’aristocratie française, voireà une partie de la famille royale, sont ceux là mêmes qu’évoque Horace. Il n’y a pas là une coïncidence mais une volonté de transcrire dans un cadre historique romain des problèmes très actuels ; mais des problèmes aussi que le cours de la vie politique pose périodiquement.
Georges Couton, Corneille et la tragédie politique, PUF, 1992
Horace a sacrifié son bonheur et le bonheur de ceux qu’il aime, mais il ne cesse point de les aimer, et sa tendresse dépouillée de tout ce qui est égoïsme et lâcheté, n’en est que mieux désarmée pour souffrir. La grande souffrance d’Horace est de voir ceux qu’il aime et qu’il voudrait entraîner avec lui audessus de la commune médiocrité, non seulement incapables de le suivre, mais incapables même de le comprendre. Alors dans le héros l’homme paraît à plein : il crie et il s’emporte, parce qu’il souffre : pour eux, de les voir tellement inférieurs à ce qu’il les voudrait, mais pour lui aussi, parce qu’ils lui font mal en insultant à son amour qu’ils méconnaissent.
Nous ne comprenons rien à la tragique beauté du rôle d’Horace, si nous ne voyons pas que chez lui, comme presque tous les grands Cornéliens, la violence n’est que le hurlement d’une tendresse blessée à vif. Une telle violence ne peut s’expliquer, l’hypothèse du fanatisme étant écartée, que par un effort désespéré pour interdire au doute l’accès de sa conscience : Horace n’est si sûr d’avoir raison, dirons-nous, que parce qu’il serait trop atroce qu’il se fût trompé. On croit qu’il tue Camille : non, il tue l’horrible voie du doute qu’il entend monter en lui à travers la douleur démente de Camille. On l’accuse de ne pas comprendre le désespoir de sa sœur, il s’en défend. Car elle lui offre l’image de ce qu’il serait lui-même s’il laissait pénétrer dans le champ de sa conscience cette pensée, intolérable parce qu’elle équivaudrait à un reniement : « J’aurais dû refuser ce combat ».
Louis Herland, Horace ou la naissance de l’homme, éditions de Minuit, 1952
Le théâtre de Corneille n’est pas un théâtre qui se greffe sur l’histoire ; c’est un théâtre d’histoire ; non un théâtre qui utilise l’histoire, mais qui la réfléchit. Il n’utilise point l’histoire pour illustrer des thèmes dont la vérité serait non historique (psychologique, morale ou autre) ; mais au contraire, il fait un théâtre dont le sens profond constitue une élucidation de l’histoire, en général, comme dimension de l’existence humaine, et de l’histoire aristocratique, en particulier, comme lieu privilégié de son accomplissement. Par là, l’œuvre de Corneille est dans son siècle, l’une de celles qui se rapprochent le plus des préoccupations d’aujourd’hui…
Serge Doubrovsky, Corneille et la dialectique du héros,éditions Gallimard, 1963
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