Gabriel Randon, poète de la souffrance et du cœur
Présentation par Théophile Briant
La maison des pauvres (extrait)
Le Soliloque du pauvre
Non reconnu,
Ni par un père,
ni par une mère ni par ses pairs
Gabriel Randon, poète de la souffrance et du cœur, s’invente un nom qui lui ressemble, soufflé par un vers de Villon « je ris en pleurs », son visage comme le nôtre se tord et rend une expression de désarroi, de lucidité pareille à celle perçue sur les faces dont le profil dessine, l’état poétique si étrange du langage d’un homme proche du pavé trempé par les craintes et les larmes du peuple mendiant un regard populaire de lui-même, un miroir embué, formant des traits vrais, le peuple disait-il, est un grand poète qui s’ignore.
Un rictus aux commissures des lèvres exprime une réflexion frôlant le drame, lors d’une conversation avec un jeune auteur devenu de par sa gouaille, sa sensibilité et sa propre poésie, le partenaire idéal, poulbot soliloquant en dialogue avec un Rictus sombre dans son grand manteau laissant deviner le bout des souliers bottinés pour parcourir les extraordinaires mots des maux de Jehan Rictus.
Montage des plus beaux textes d’un artiste de la butte, de la ville, de la rue, des caves, des usines, des moments, des routines, des envies, des besoins d’une poésie unique et rare.
Jean-Claude Dreyfus
L’année 1896 tirait à sa fin, et Paris, comme chaque année, redoublait de vie fiévreuse à l’approche des échéances et des fêtes traditionnelles. Le président Félix Faure venait d’accueillir le tsar de toutes les Russies, cependant que le capitaine Dreyfus avait commencé son exil à l’Ile du Diable. Anatole France entrait en pleine gloire dans les bibliothèques bourgeoises, avec la publication du Lys Rouge et de L’Orme du Mail.
Arthur Rimbaud, mort depuis cinq ans, ne faisait guère plus de bruit, dans les « milieux » informés, qu’un minuscule poète de brasserie tandis que Les Trophées, de José-Maria de Hérédia s’imposaient comme un chef d’œuvre. Et si Paul Verlaine, enterré au début de l’année, connaissait la ferveur de quelques cénacles, la majorité des suffrages de l’élite allait aux poèmes philosophiques de Sully-Prud’homme, et parisiens de François Coppée, plutôt qu’aux « logoriphes » d’un certain Mallarmé. L’énorme Catulle Mendès, ficelé dans son frac de critique, régnait en caïd sur les théâtres des grands boulevards, où ne parvenaient que d’assez loin les « échos » du quartier Latin et les virulences du jeune Mercure de France. En marge de la foule se proclamaient les manifestes du Symbolisme et de l’Idéoréalisme. Saint-Pol-Roux le Magnifique méditait La Dame à la faulx et Henri de Régnier terminait Les Jeux rustiques et divins.
La vie était dure, foncièrement conformiste, partagée en deux camps qui ne se comprenaient pas et se ménageaient encore moins. Mais il suffisait parfois d’une voix courageuse, dans cette société de bon aloi, pour alerter la chronique et mettre brusquement en lumière un poète ou un artiste inconnu. [Le 12 décembre 1896, Jehan Rictus se produit au cabaret « Quat-z-Arts »] N’empêche que la soirée du 12 décembre fut mémorable, et que le poète descendit du tréteau, salué par des applaudissements unanimes. […]
Du jour au lendemain, Jehan Rictus devint presque célèbre. La critique, Mendès en tête, salua le poète avec enthousiasme. Jules Lemaître, Jean Lorrain, Rémy de Gourmont montèrent à leur tour boulevard de Clichy, et mêlèrent leurs ovations à celles de la clientèle montmartroise. Gourmont plaça Rictus dans son Livre des Masques entre Claudel et Mikhaël.
Le célèbre critique du Mercure discerna tout de suite ce qui faisait la qualité du nouveau venu, et surtout comment son climat poétique se différenciait de celui d’un Aristide Bruant. Dans ce trimardeur parisien, dans ce rôdeur nocturne, en qui subsistait la semence du poète, Gourmont voyait la création d’un type humain « admissible à la fraternité ». […]
Toute sa vie, dans ses conversations aussi bien que dans sa nombreuse correspondance, Rictus s’est tué à répéter qu’il n’usait que du langage populaire parlé, du dialecte de « pantruche », du boniment du camelot ou du titi parisien, et qu’il n’y introduisit l’argot que de manière adventice, pour en augmenter le fumet […].
Remarquons en passant que le ton et le vocabulaire des Soliloques du Pauvre ne peuvent être les mêmes que ceux du Cœur Populaire, attendu que dans le premier recueil c’est le poète lui-même qui parle, avec la permission (tout de même) de se forger un rythme et un lyrisme obligatoirement « composés » et de s’abandonner à l’ivresse des métaphores - tandis que dans le deuxième ouvrage, où le peuple parle, le langage y reste humble et direct, presque toujours à fleur de terre. […]
in Jehan Rictus par Théophile Briant, Poètes d’aujourd’hui, Ed. Pierre Seghers, 1960
N’empêch’ si jamais j’ venais riche,
Moi aussi j’ f’rais bâtir eun’ niche
Pour les vaincus… les écrasés,
Les sans espoirs… les sans-baisers,
Pour ceuss’là qui z’en ont soupé,
Pour les Ecoeurés, les Trahis,
Pour les Pâles, les Désolés,
A qui qu’on a toujours menti
Et que les roublards ont roulés ;
Eun’ mason… un cottage… eun’ planque,
Ousqu’on trouv’rait miséricorde,
Pus prop’s que ces turn’s à la manque
Ousque l’on roupille à la corde ;
Pus chouatt’s que ces asil’s de nuit
Qui bouclent dans l’après-midi,
Où les ronds-d’-cuir pleins de mépris
(Les préposés à la tristesse)
Manque d’amour et de politesse ;
Eun’ Mason, Seigneur, un Foyer
Où y aurait pus à travailler,
Où y aurait pus d’ terme à payer,
Pus d’ proprio, d’ pip’let, d’huissier.
Y suffirait d’êt’ su’ la Terre
Crevé, loufoque et solitaire,
D’ sentir venir son dernier soir
Pour pousser la porte et… s’asseoir.
Quand qu’on aurait tourné l’ bouton
Personn’ voudrait savoir vot’ nom
Et vous dirait : - « Quoi c’est qu’ vous faites ?
Si you plaît ? Qui c’est que vous êtes ? » […]
Les Soliloques du Pauvre, « Les Masons », La Maison des Pauvres III, réédition, p. 242-244, L'Harmattan, 1994
Comme d'un ecrin que l'on ouvre . l'illusion theatrale est miroitanre des le premier instant.
Comme d'un ecrin que l'on ouvre . l'illusion theatrale est miroitanre des le premier instant. le langage est musique, les mots montent surprennent, emeuvent et, transpercent qui s'y laisse prendre. J.C Dreyfus a trouve , reconnu ce poete , il mets en lumiere et charge d'une emotion profonde , un dialogue rare.( entre ces deux pauvres etres on pourrait apercevoir Falstaff et son jeune prince ).
Une pièce mettant à l'honneur un poète méconnu, Rictus, aux accents du Paris début 20e et pourtant criant de réalisme. JC Dreyfus emplit la scène de ce cadre intimiste de la Maison de la Poesie avec panache et gouaille. Un moment court mais savoureux.. A découvrir...
Comme d'un ecrin que l'on ouvre . l'illusion theatrale est miroitanre des le premier instant.
Comme d'un ecrin que l'on ouvre . l'illusion theatrale est miroitanre des le premier instant. le langage est musique, les mots montent surprennent, emeuvent et, transpercent qui s'y laisse prendre. J.C Dreyfus a trouve , reconnu ce poete , il mets en lumiere et charge d'une emotion profonde , un dialogue rare.( entre ces deux pauvres etres on pourrait apercevoir Falstaff et son jeune prince ).
Une pièce mettant à l'honneur un poète méconnu, Rictus, aux accents du Paris début 20e et pourtant criant de réalisme. JC Dreyfus emplit la scène de ce cadre intimiste de la Maison de la Poesie avec panache et gouaille. Un moment court mais savoureux.. A découvrir...
7, rue des Plâtrières 75020 Paris