Frank invite son ami Hal à venir dîner chez lui où s’y trouve femme et belle-mère. «On échangera nos Kvetchs, j’veux dire les histoires qui nous tracassent.»
Plus la soirée avance, plus chacun se réfugie dans ses angoisses. Le calvaire ne fait que commencer… La honte de l’autre, de la belle-mère ; la peur de ne pas savoir bien faire ; la peur de la mort qui approche ; la peur de céder à l’adultère… Cet échantillon de petits-bourgeois qui peuple la pièce appartient au monde juif-américain et Berkoff nous les présente sans complaisance : leurs tricheries et leurs faiblesses nous sont très proches.
Avec une jubilation opiniâtre, Berkoff démonte les possibilités de ses personnages, les retranche dans leurs champs respectifs de liberté et de contrainte pour les soumettre à un impitoyable " forcing " . C'est de cette commotion sensible et pathétique que nait l'humour de l'oeuvre, un humour acide porteur d'angoisse et de solitude.
Le spectateur est le témoin privilégié de ces pensées enfouies, toutes plus intimes les unes que les autres et ne peut s’empêcher de faire le parallèle avec sa propre vie, ses propres angoisses, ses rêves enfouis…
On est sans cesse balloté entre le burlesque, l’absurdité des situations et la violence, la cruauté des sentiments des personnages.
« Nous sommes comme des icebergs qui se déplacent lentement à travers la vie et c’est rare, si jamais cela arrive, que nous puissions montrer et révéler ce qui est en dessous. » Steven Berkoff.
Kvetch est un texte sur la peur des gens, la peur de se révéler à eux-mêmes, la peur de dire ce qu’ils pensent, d’oser être ce qu’ils sont, de regarder en face le visage de leur conscience… Les « Kvetchs », ces plaintes intérieures, ces pensées de l’arrière-plan, qui nous accompagnent au quotidien, nous amènent souvent à faire le choix du silence, à inhiber nos sentiments, nos sensations, à taire nos vérités, à mentir. Mentir pour sauver son honneur, par principe, pour garder son ami, son boulot, sa femme, sa vie sociale, mentir pour ne pas mourir. Les « Kvetchs » nous occupent tellement la pensée, que souvent, nous ne prenons même pas le temps de regarder celui qui est en face de nous, à peine de l’écouter. « Si seulement nous pouvions exprimer les pensées de l’arrière-plan, notre communication en serait d’autant plus vraie. » J’ai découvert ce texte en 2001 à Paris, au théâtre Clavel.
L’insolence, la lucidité, la pertinence et l’humour noir de son auteur m’avaient frappé. Le désespoir ridicule de ces personnages confrontés à la tragédie de leur quotidien et de leur destinée, m’avait amené, à l’époque, à une véritable introspection sur ma propre vie. Cette pièce m’a d’une certaine façon, permis d’admettre l’absurdité et le ridicule de ma propre existence. Ce n’est sans doute pas un hasard si j’ai plongé, peu de temps après, dans l’univers merveilleux et impitoyable du clown. La solitude, l’égocentricité et la mauvaise foi, la douce cruauté des relations humaines sont des thèmes qui me passionnent, et que, j‘explore dans mon travail de comédien depuis mes débuts. Par le biais de l’Ecole Jacques Lecoq, et au contact de professeurs comme Jos Houben, Paola Rizza ou Susanna Lastreto, j’ai pu ensuite approfondir cette recherche, en explorant les grands territoires dramatiques, le mélodrame, la tragédie, les bouffons et le clown. J‘ai trouvé dans Kvetch une pièce qui traite la comédie des hommes, des individus.
J’aime cette pièce parce qu’elle nous montre des facettes peu recommandables de l’humain, les mauvais côtés, les contre-masques, les personnalités ambivalentes. Les personnages se situent au croisement de ceux illustres de Shakespeare, comme Hamlet, et de ceux d’Ettore Scola, dans « Affreux, sales et méchants ». La question ici n’est plus « être ou ne pas être ?» mais, « est-ce que mon rouge à lèvre ne bave pas ? ».
Notre époque est plus que jamais installée dans une superficialité qu’il est urgent de dénoncer sans oublier d’en rire. Se moquer de nous même pour mieux se connaître, mieux se comprendre, mieux appréhender l’autre, le présent et l’avenir. Kvetch est aussi bien une comédie satirique sur l’angoisse, qu’un pamphlet philosophique sur la complexité des rapports humains à notre époque. J’ai trouvé dans cette pièce la possibilité d’une réflexion sur notre solitude et notre quête d’autrui, sur l’absurdité des relations humaines à notre époque et les difficultés à communiquer.
Les non-dits de tous les jours, les frustrations, les angoisses, les doutes, les humiliations, font partie de notre quotidien. Cet aspect pathétique et presque pathologique, inhérent à chaque être humain me fascine. Nos différentes responsabilités sociales nous obligent, qu’on le veuille ou non, à jouer un rôle dans lequel nous ne sommes pas toujours à l’aise. Nous jouons tous la même comédie humaine. Nous disons souvent le contraire de ce que nous pensons, juste pour sauver notre peau.
Paraître, simuler, affronter le regard de l’autre…n’est-ce pas là un des enjeux cruciaux du commun des mortels ?
Bruno Gare
Epurée et minimaliste. Un intérieur type « années 50 aux Etats-Unis », comme délavé, souligne l’idée du rêve perdu, dépassé. Les costumes sont dans le style de la série « Mad Men » et de « Peggy Sue got married» de Francis Ford Coppola, mais en noir et blanc, et ton de gris, poussiéreux…presque sortis de terre. Un éclairage aux contours et aux coupes franches, souligne les différents espaces créés par les comédiens et renforce l’angoisse des situations et des personnages en créant la surprise.
Des douches accentuent la solitude des personnages dans leur rapport individuel au public et permettent de bien séparer les différentes temporalités du récit (l’instant présent et les apartés au public, les « kvetchs »). A d’autres moments, une lumière plus diffuse, voire brumeuse, vaporeuse, nous permet des ruptures d’ambiance, pour mieux revenir à la froideur du moment présent, ou soutenir la rythmique burlesque de la mise en scène.
Excellent spectacle sur le pathétique de L'homme, sur ses problématiques les plus intimes. On rit beaucoup et on se régale per la mise en scène Et par le jeu d acteur. À ne pas manquer!
Pour 1 Notes
Excellent spectacle sur le pathétique de L'homme, sur ses problématiques les plus intimes. On rit beaucoup et on se régale per la mise en scène Et par le jeu d acteur. À ne pas manquer!
13, rue Pierre Sémard 94400 Vitry-sur-Seine