Née lors des fêtes en l’honneur de Dionysos, la comédie attique garde de son origine le caractère carnavalesque : on s’affranchit des codes de la vie ordinaire, on inverse les rapports sociaux, on donne prévalence au corps et à toutes ses fonctions, on parle une langue crue et imagée.
Et si la tragédie puise ses sujets dans le passé du mythe, la comédie, elle, met en scène de petites gens qui s’en prennent avec virulence aux personnalités en place, aux moeurs politiques, voire aux fondements de la société : ainsi de L’Assemblée des femmes, ou plutôt Femmes siégeant à l’Assemblée, et l’on sait qu’elles en étaient exclues, comme de toute vie publique et politique.
Voici donc les Athéniennes décidées à prendre en mains le destin de la Cité. Vêtues des frusques de leurs maris, elles établissent une nouvelle constitution : égalité absolue entre tous ; communauté de la terre, de l’argent, des biens, des femmes et des hommes... « N’auront le droit de coucher avec de beaux hommes que celles qui, au préalable, auront accordé leurs faveurs aux moches et aux nabots ; et qui désirera la belle commencera par s’envoyer l’affreuse...»
Un théâtre bouffon, oui, mais engagé. Sous couvert de comédie, Aristophane esquisse un plaidoyer sur le vivre ensemble et la place des femmes en politique. L’inversion des valeurs comme remède ? Non, mais le théâtre sait, par le rire, ébranler les certitudes : dénoncer ce qui est mais aussi proposer une autre distribution des rôles.
Raconter L’Assemblée des femmes aujourd’hui, c’est venir gratouiller là où ça fait mal. Deux mille cinq cents ans après le pamphlet original, quelques décennies après le communisme et les luttes féministes, un constat s’impose : les femmes sont invariablement en première ligne quand il s’agit de subir les crises économiques, les révolutions et les guerres mais leur accès au pouvoir demeure relativement limité !
Notre Assemblée de femmes, décomplexée et paillarde, nous la souhaitons subversive comme le fut celle d’Aristophane. Elle n’aurait pu l’être si nous nous étions contentées de traduire. Nous avons donc délibérément redonné toute sa vigueur et sa résonance politique à ce texte, raillant à notre tour l’actualité, et titillant quelques idées reçues. Nous choisissons comme le bouffon de parodier pour dénoncer et de questionner pour alerter. Au-delà de l’esprit de contestation, les femmes de notre Assemblée portent le masque comique. Elles cristallisent les revendications politiques, économiques et culturelles du débat public sur l’égalité homme-femme : en elles les idées prennent corps et deviennent accessibles à tous.
La comédie d’Aristophane nous autorise un acte transgressif : traiter des problèmes sociaux par la figure du bouffon. Nous serons donc à l’endroit de la chair, de l’archaïque, du non-dit et du refoulé pour interroger cet obscur désir du pouvoir qui fait aussi vibrer les femmes. Assumer d’être la parodie de nous-mêmes pour rassurer l’humanité : oui, nous sommes de chair et de sang et nous voulons le pouvoir.
Mylène Bonnet
La pièce d’Aristophane pose la question du « vol » de la confiance. La confiance repose sur un contrat : la femme tient le foyer et assure la descendance, cependant que l’homme gagne l’argent, tient l’État, et assure la paix. L’oeuvre d’Aristophane est écrite à une époque où l’État est corrompu, où l’on paie les citoyens pour qu’ils siègent à l’Assemblée. Nous sommes dans un système en déclin. Au début de la pièce, le contrat a été rompu ; et c’est de leur maison qu’Aristophane fait partir la Marche des femmes. Quelle équivalence avec aujourd’hui ?
Père et mère n’assurent plus seuls la protection familiale. De nos jours, l’État, censé être le garant de la paix sociale, assure l’éducation et fournit allocations, sécurité sociale, retraite, logement etc. Il déçoit, ou pas, il protège, ou non. Voilà le nouveau contrat social.
Adapter Aristophane revient à interroger la nature du désaccord entre les femmes – groupe critique qui souhaite la justice – et les figures dirigeantes. Et l’on s’en prend peutêtre à l’État comme autrefois au mauvais père qui buvait l’argent du ménage. Notre propre système-Europe est actuellement en déclin ; il rend chaque jour ses citoyens et citoyennes témoins de contrats rompus par l’État. Déclin du politique, de son pouvoir : la question ne serait-elle donc plus celle du combat des femmes contre les hommes ?
C’est bien parce que les femmes sont les premières victimes des difficultés sociales qu’elles font les meilleurs clowns, c’est-à dire les meilleures guides sur les chemins délicieux des contradictions humaines.
Elles brûlent de trouver une dignité, une place de valeur dans la société. Elles s’appliquent absolument dans leur combat, mais leur prise de pouvoir s’apparente à un coup d’État : elles se masquent pour régner. Elles masquent leur vrai visage sous une barbe au lieu d’aller à visage découvert. Puis, le pouvoir conquis, elles s’empressent de satisfaire leurs pulsions les plus basses, à savoir copuler avec de beaux garçons, et faire un banquet… Rien à envier aux messieurs.
May Bouhada
Route du Champ de Manœuvre 75012 Paris
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