Ô muse, conte-moi l'aventure de l'inventif : celui qui pilla Troie, qui pendant des années erra, voyant beaucoup de villes, découvrant beaucoup d'usages, souffrant beaucoup d'angoisse dans son âme sur la mer pour défendre sa vie et le retour de ses marins sans en pouvoir sauver un seul...
Un texte fondateur
L’Odyssée
Philippe Jaccottet, traducteur
La création sonore et musicale
L’Odyssée dans le parcours de la compagnie
Le dispositif
Poème versifié en grec ancien, constitué de 24 chants, L'Odyssée est un texte fondateur de notre culture. On y aborde notamment les thèmes de l'exil et de la quête de l'identité. A partir de la remarquable traduction du poète contemporain Philippe Jaccottet, le montage présenté nous transporte en mots, en images et en musiques, aux côtés d'Ulysse, du retour de Troie à la reconquête de son royaume, en Ithaque. Après un voyage aux portes du merveilleux et du fantastique où il refuse la condition divine, Ulysse aborde chez lui et, homme parmi les hommes, y reconquiert son nom et son pouvoir.
Le spectacle, fidèle au texte d'Homère et à la langue de Philippe Jaccottet, nous donne à entendre les pages les plus bouleversantes de ce monument de la littérature mondiale.
La lecture à haute voix du texte dure douze heures. Nous avons choisi dans ces douze heures ce qui nous paraissait le plus urgent à entendre. Difficiles renoncements ! Le texte d'Homère dans la traduction de Jaccottet est conservé tel quel. Il n'y a aucune adaptation dans le sens d'une réécriture.
Le montage que nous avons gardé propose deux parties principales. La première est celle du Voyage d'Ulysse. Sensible à sa dimension métaphysique, nous avons mis en valeur le parcours intime, souvent solitaire, d'un homme qui renonce à l'immortalité pour rester homme parmi les hommes. La seconde est celle du Retour en Ithaque. D’une dimension plus politique et sociale, ces chants de L'Odyssée racontent la reconquête identitaire, politique d'Ulysse, la remise en ordre d'un désordre social.
Son œuvre compte parmi les plus importantes de la poésie contemporaine. Né à Moudon en 1925, Philippe Jaccottet est installé à Grignan, dans la Drôme provençale, depuis cinquante ans. Il est l'auteur de nombreux ouvrages de poésie et de nombreuses traductions. Il traduit L'Odyssée, poème versifié de 24 chants, en 1953.
Voici ce qu'il déclare à propos de sa traduction de L'Odyssée dans le magazine littéraire en janvier 2004 : "Je ne suis pas helléniste, je fais de la poésie. Je n'entendais pas faire dans la prose rythmée, faussement poétique, de Victor Bérard ; d'une certaine manière, c'était un moteur de disposer d'un exemple dont je ne voulais pas m'approcher. […] Dans l'ensemble, j'ai suivi l'original aussi littéralement qu'il m'a été possible ; quand j'ai pris des libertés, en dehors de celles signalées expressément en notes, ce sont, si j'ose dire, les mêmes libertés qu'Homère. […] J'ai cru comprendre, à un moment donné et grâce à des lectures critiques de l'épopée, que cette poésie extraordinairement fabriquée, dans un certain sens, faisait partie de la beauté de la chose, de l'ensemble, et que ces épithètes, ces vers très réguliers, il ne fallait pas les gommer, qu'il fallait admettre ce côté un peu mécanique. Il fallait aussi conserver la particularité de cette poésie faite pour être entendue, récitée. C'est vrai qu'avant de traduire, j'entendais les vers grecs, en tentant d'imaginer comment on pouvait les entendre dans la Grèce antique. […] Cela m'apportait la conviction que ce qu'on appelait ancien ou classique n'était pas forcément poussiéreux ; au contraire, c'était moins poussiéreux que beaucoup de choses modernes ! Ce qui a compté dans mon travail personnel, notamment dans l'utilisation que j'ai faite d'un vers plus long que l'alexandrin."
Singularité de cette version scénique de L'Odyssée, le tressage entre la voix, le poème et la musique, le son, fonde "notre" version de ce texte fondateur de la littérature mondiale. Refusant toute illustration sonore ou musicale, c'est à une véritable entreprise d'écriture en commun que nous nous sommes livrés, dans le cours des répétitions. Bien entendu, le point de départ fondamental demeure le texte dans la magnifique traduction de Philippe Jaccottet, socle sur lequel tout travail complémentaire d'écriture, fût-il musical ou scénique, s'appuie. Trois musiciens entourent la scène et le propos. Sous la direction de Tao Ravao, poly-instrumentiste qui va de la guitare électrique à la harpe malgache, le travail de composition sonore s'est développé avec Jean Emile Biyanda, percussionniste, et Hubert Le Tersec qui joue des claviers. La partie musicale et sonore, imbriquée dans la langue de Jaccottet, nous conduit de la musique pure à l'environnement sonore, au décor sonore. A vue du public, les musiciens sont, au même titre que l'acteur narrateur, des "passeurs" de la parole d'Homère. Un acteur et trois musiciens, ce sont bien quatre "aèdes" d'aujourd'hui qui se présentent au public.
En abordant un des textes fondateurs de la littérature mondiale, la compagnie sort un moment de son champ habituel d'exploration, celui des textes contemporains. Mais elle retrouve dans ce texte des éléments constants de son travail théâtral.
L'exil et le voyage sont des thèmes récurrents abordés par Terra Incognita. L'histoire du Tigre de Dario Fo, ou Dialogues d'exilés de Bertolt Brecht, ou encore récemment C'est quoi ton nom ? de Jean-Michel Baudoin, ont marqué le travail de notre compagnie comme autant de repères sur la problématique de l'exil, de l'identité et du voyage obligé. L'Odyssée est le premier grand texte connu sur ce thème ; il nous était nécessaire, à un moment ou un autre, d'y retourner, comme l'on rentre enfin au bercail après un voyage théâtral autour de l'exil. L'imbrication du travail théâtral et musical ou sonore, voilà une seconde constante d'un parcours de compagnie. C'est ce qui nous conduit à retrouver le travail conjoint de Tao Ravao et Stéphane Fiévet dans l'écriture du spectacle.
Une grande vague s'enroule sur le plateau. Un acteur s'y meut ; trois musiciens la dominent. L'espace, découpé à l'envie par des tulles, est conçu comme une grande boîte à jeu, dont la géométrie variable repose sur un découpage précis de la lumière. Plus abstrait que figuratif, le volume de la scène souligne le parti pris dramaturgique : passer en toute liberté, objectivement et ouvertement, d'une position de conteur narrateur (celui qui rapporte une parole) à une position d'acteur (celui qui incarne une parole). Par un dévoilement des mécanismes de la représentation, le spectacle demeure toujours à l'humilité de sa place : en dessous du texte, accompagnant le mythe, soutenant le monde d'Homère bien plus que le créant.
Passage Molière - 157, rue Saint Martin 75003 Paris