Le drame se déroule sur la côte est des États-Unis, dans la propriété où vivent un riche homme d’affaires américain, Thomas Pollock Nageoire, et Lechy Elbernon, une actrice. Un jeune couple désargenté, Louis Laine, métis d’Indien, et Marthe, son épouse, y font office de gardiens.
Louis a rencontré Marthe en France, dans la campagne où elle vivait sans jamais avoir quitté son village. Rêveur, épris de liberté et de vastes horizons, Louis vient de tromper la sage Marthe avec Lechy Elbernon. De son côté, Thomas Pollock, pour qui « il n’est de valeur que de l’or », convoite Marthe qu’il finit par acheter à Louis contre une liasse de dollars. Le chassé-croisé amoureux se termine mal. Louis décide de partir, abandonnant à la fois Marthe, qui tente en vain de le retenir, et Lechy Elbernon, qui le menace de mort. Désespérée et pressentant le malheur, Marthe lance une longue plainte, où elle demande justice face à Dieu et à l’univers. Mais le destin s’accomplit. Lechy Elbernon se venge : elle fait assassiner son amant, ramené mort sur son cheval, et elle incendie la maison de Thomas Pollock, ainsi ruiné. Elle s’écroule ivre-morte sur le sol tandis que Marthe accepte la main tendue de Thomas Pollock.
Dans son déploiement mouvementé, fait de terre lourde, de glèbe épaisse mais de mers ouvertes aux vents du monde aussi, le théâtre de Paul Claudel tend au répertoire dramatique français une proposition baroque. Non seulement parce que le monde s’y expose, parce que le déplacement y domine, parce que les formes proposées bousculent l’attendu, mais parce qu’une langue le constitue, l’achève et l’initie totalement.
Poète, il offre à l’actrice, à l’acteur, un vers dont le muscle et l’architecture supposent une maîtrise précise de leur art : celui de l’interprétation. Au sens musical du terme, surtout pas cette fuite dans un psychologisme flou qui permet de négocier avec le souffle fort de l’affirmation. Jouer Claudel, c’est se battre en toute conscience, à sa propre forge, sans coulisse. Art d’athlète, tous ne peuvent le jouer. Ou plutôt le faire sonner comme l’on dirait d’une cloche. Antidote assurée à l’usage de ces prothèses sournoises que sont les micros en scène, le vers claudélien est corps aussi, impossible d’ignorer le travail de dépense qu’il demande, dépense partagée entre salle et plateau du reste.
Le curieux avec L’Échange est que ce graveur de mots vigoureux et de scènes hors normes – s’il ne perd rien de sa monstruosité poétique –, propose un cadre classique à sa narration. Unité de lieu, bord de plage, d’action, marchandage des corps, de temps, de l’aube au crépuscule. La puissance de l’opéra dans la retenue d’un orchestre de chambre. La question du décor, entendons de la nécessité décorative de la scène, doit nécessairement tomber : autant colorier une partition. La dépense de l’interprétation doit être, impérativement, l’objet même de la représentation. Au fond, ces quatre âmes ne sont qu’une. Le plateau comme celui d’une balance : nu.
Qu’y voit-on d’autre que ce que l’on voit aujourd’hui encore : la puissance marchande dérégulée et en un sens admirable, dans son goût du risque, avançant dollars en main avec, à son bras, le sourire dansant de l’actrice avide, diable à la joie forcée, bruyant emblème de la pomme croquée. Le couple américain avance vers son miroir inversé, le couple en fuite, le couple insensé, les âmes inspirées, la foi chrétienne et la force libertaire d’un sang-mêlé. La foi comme la poésie peuvent-elles s’acheter, devenir propriété, ou plus pervers, peuvent-elles se vendre ?
Christian Schiaretti, mars 2018
ce très beau texte est magnifiquement porté par les acteurs.La mise en scène est sobre et laisse toute la place au jeu et au texte. le décor est très beau.
Pour 1 Notes
ce très beau texte est magnifiquement porté par les acteurs.La mise en scène est sobre et laisse toute la place au jeu et au texte. le décor est très beau.
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