Le jeune Louis Laine et sa femme Marthe ont quitté la France pour venir vivre aux Etats-Unis. Louis y travaille comme gardien du domaine d’un riche homme d’affaires, Thomas Pollock Nageoire, et de sa séduisante femme, Lechy Elbernon, actrice. Attiré par Marthe (et n’ayant pu la séduire) Thomas tente de corrompre son mari désargenté, persuadé qu’il obtiendra gain de cause grâce à son argent.
Thomas Pollock Nageoire n’est pas riche par hasard, il sait qu’on peut tout acheter. Il a vite fait de repérer le prix inestimable de l’amour et de l’innocence de Marthe ; il décide donc de se l’approprier dans un marché cruel. L’échange est l’histoire d’un marchandage qui finit dans le sang, comme le plus sordide des faits divers.
Claudel dira des quatre protagonistes de L’échange qu’ils ne sont « que les quatre aspects d’une seule âme qui joue avec elle-même aux quatre coins ». Une poignée de dollars va faire tout basculer. Et par un jeu de forces inouïes, chacun accomplit son chemin, seul jusqu’au bout. Paul Claudel a écrit la pièce en 1893-1894 lors de son premier séjour aux Etats-Unis, alors qu’il assurait la fonction de vice-consul à New York, puis à Boston. Claudel a suffi samment frayé avec diverses formes de pouvoirs pour connaître celui, brutal, de l’argent. Quel est le prix de l’intégrité ? Et quel prix sommes-nous prêts à payer pour ne pas nous vendre ?
Claudel est, avec Maeterlinck, Tchekhov, Ibsen et quelques autres, un de ces cavaliers qui firent, dès le début du XXe siècle, le grand écart sur les côtés de l’échiquier littéraire. Immense voyageur, amateur d’histoires de marins et du grand large, il y a chez Claudel quelque chose de la littérature anglaise, comme une navigation sur une mer démontée, loin de certaine littérature française plus fermée sur ses frontières, sorte de patinage sur un lac glacé.
Claudel redonne à la langue française des dérapages, du brut, de l’horizon lointain. Claudel console l’être humain d’être un jour entré dans la parole. Sa langue nous initie aux grains de peaux, aux duvets, aux chevelures de la langue française, une langue à la nudité comme une confidence. C’est une orgie de psalmodies. Quand le sentiment devient tellement fort qu’il n’est plus possible de le dire avec des mots parlés, il ne reste que le chant. Claudel, c’est le théâtre paroxystique.
Il y a un public de Claudel. Celui qui, dans tous les pays, n’élève pas de barrières intellectuelles, ne se force pas à analyser dans la minute un message. Ce public-là rit, crie et, à la fin, célèbre avec Claudel. Pour survivre, il est nécessaire de garder certaines choses secrètes.
"L’Échange » nous parle en plein jour de ces heures hallucinées où les draps acquièrent une texture de linceul. On en sort les bras lourds, à vouloir que tout ne soit qu’un rêve, un sale rêve comme on en fait et qui nous laisse si vide le matin, avec pour seul soutien les mots qu’on attend, les mots qui murmureraient à l’oreille que ce n’était qu’un mauvais rêve. Il y a là l’odeur de décomposition douceâtre et fétide de la jungle.
C’est un poème commis à l’heure où la jeunesse n’était pas encore abolie, où le poète découvre la nécessaire combustion de son être tout entier dans un effort incessant pour entretenir une température élevée de sa vie. Un poème comme un mouvement lancé à la recherche des proportions de l’éternité. Et pourtant, l’on sort de cette nuit de plein jour nourri et enrichi, le coeur plus léger, rempli d’une étrange et irrationnelle joie. Attendre du plaisir en redoutant le pire est une des lois de la savane claudélienne. Il faut d’abord et surtout ne résoudre aucun problème, envisager autrement, dérouler la question.
Le but du théâtre, c’est d’abord d’identifier les choses dont on a le plus peur dans la vie, d’aller directement vers elles et de vivre chaque jour avec la plus grande douleur, personnelle et sociale. Ne pas mourir avec mais vivre avec.
Yves Beaunesne
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