(Le Banquet des cendres) en italien surtitré.
Les cheminements d'un homme vers la connaissance
« Le corps humain reproduit le monde »
Extrait
Deuxième volet du diptyque Latella, et deuxième métaphore de ce voyage au long cours qu'est le savoir : après l'expérience de l'énormité et de la sauvagerie de l'existence, celle de la folle liberté de la pensée s'exposant à l'immensité du cosmos. Au roman-océan de Melville répond ici un dialogue que Giordano Bruno écrivit vers 1584 pour exposer sa doctrine hérétique - la Terre n'est pas le centre du monde ; chaque chose a une âme propre ; surtout, l'Univers est infini, et au sein de cette infinité, comme le note Latella, chaque être singulier est à son tour un monde en soi, « chacun avec son corps-planète, chacun avec un rôle auquel donner vie et caractère - mais des planètes appartenant toutes au même univers, à la même spirale qui s'enroule autour d'une lumière, d'une idée ».
Plus qu'une doctrine obscure ou abstraite, ce sont les cheminements d'un homme vers la connaissance que Latella donnera à voir, sa marche errante à la conquête de sa liberté.
« Le philosophe aspire à surmonter son individualité... pour dilater son être fini dans la splendeur de l'infini, pour retrouver l'union avec la nature infinie. Penser à l'infini signifie, en particulier, se penser comme une partie minuscule d'un tout, manifester avec enthousiasme la certitude que même sa propre vie participe, proportionnellement, à l'incessant mouvement de l'univers. »
Pour les nouvelles idées, Bruno a besoin de la parole, du mot sous toutes ses formes: le mot énoncé, le mot écrit, le mot arme dans les duels des principales villes européennes, le mot « théâtre ». Le Banquet des cendres fonctionne comme une boîte chinoise où chaque niveau mène à un autre, puis à un autre encore ; il ne fournit aucune solution, mais se suspend, s'ouvre pour renvoyer à d'autres niveaux, aux « mondes infinis ». Un cycle qui se répète, en formant une « spirale d'infinis univers ».
Teofilo représente le corps, la raison de la philosophie du Nolain. Smitho est le monde des gentlemen anglais qui aiment débattre de philosophie pour discerner ce qui est vrai et juste. Prudenzio est le classiciste pédant et obtus (souvent homosexuel), l'un de ces érudits si souvent malmenés par Giordano Bruno. Enfin, Frulla est le serviteur qui ne connaît ni savoir ni discipline (la nature, l'instinct). Dans le jeu métathéâtral qui passe de la narration à la discussion, ces personnages eux-mêmes jouent d'autres rôles qui leur sont plus propres ; ainsi seulement la métaphore du banquet peut devenir l'indispensable dispute, afin que Teofilo/Nolain puisse atteindre l'objectif et donc, comme dans le cinquième dialogue, l'essence, l'expression philosophale de Giordano Bruno – peut-être le summum de la théâtralisation, pour pouvoir dire l'indicible, la vérité, sans subir la censure des vulgarisateurs du verbe, la seule vérité (la parole de Dieu).
« Nous autres sorciers sommes tous un peu plaisantins et acteurs. La sagesse (en admettant que certains réussissent à la conquérir) n'est pas accessible seulement par le biais du cerveau ; le corps aussi est nécessaire. Il n'est pas de sagesse sans l'union de la pensée, de la chair et du sourire. »
Une fois encore, le corps donne sa forme à la nécessité d'être là. Le corps humain reproduit le monde. Ce n'est qu'après avoir retrouvé la pureté du corps que l'homme peut pousser son esprit vers la lumière, la sagesse, qui trouve son équilibre entre le fini (le corps) et l'infini (l'âme).
Antonio Latella
Smitho Comment est-il possible que l'univers
soit infini ?
Teofilo Comment est-il possible que l'univers
soit fini ?
Smitho Voulez-vous donc qu'on puisse
démontrer cette infinitude ?
Teofilo Voulez-vous donc qu'on puisse
démontrer cette finitude ?
Smitho Qu'est-ce donc que cette dilatation ?
Teofilo
Qu'est-ce donc que cette limite ?
Smitho
Chaque chose prise dans l'univers
comprend-elle à sa façon toute l'âme
du monde ?
Teofilo C'est bien cela.
Smitho Les différences visibles dans les corps
en tant que formes, figures, couleurs
ne sont-elles rien d'autre qu'un visage
différent d'une même substance ?
Teofilo C'est bien cela.
Smitho Voulez-vous que ce qui est engendré
et ce qui engendre soient faits de la
même substance ?
Teofilo Vous avez parfaitement compris.
Smitho De sorte que ce monde vrai, universel,
infini, immense, dans chacune de ses
parties est un tout de sorte qu'il est
lui-même contenu dans chaque partie ?
Teofilo Voulez-vous donc que ce soit l'inverse ?
Extrait du Banquet des cendres, d'après Giordano Bruno (adaptation : Federico Bellini)
Cazzo! Pièce d'intérêt public! Bruno doit être fier de cette version de sa pièce qui est résolument d'actualité et Paris peut être fière d'accueillir ce spectacle.
Cazzo! Pièce d'intérêt public! Bruno doit être fier de cette version de sa pièce qui est résolument d'actualité et Paris peut être fière d'accueillir ce spectacle.
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