La Dame de la mer

Paris 10e
du 28 février au 17 mars 2012
2 heures

La Dame de la mer

CLASSIQUE Terminé

Une interprétation sensible et juste de cet hymne à la mélancolie qu'est La Dame de la mer (interprétée par la chanteuse pop Camille) d'Henrik Ibsen et une mise en scène aquatique réussie qui peine toutefois à transporter le spectateur dans l'univers de ce classique de la littérature norvégienne.

« Nuit et jour, hiver comme été, elle me submerge – cette vertigineuse nostalgie de la mer. » Ellida

  • Vivre l'amour au présent

L’amour s’écrit rarement sur une page blanche et notre aptitude à le vivre au présent doit souvent se négocier dans l’intranquillité d’un bras de fer se gagnant contre les fantômes de nos passions passées.

Pour trouver la paix de l’âme et éloigner les ombres du remord qui l’empêchent d’aimer son mari sans limite, Ellida, l’héroïne de la pièce du Norvégien Henrik Ibsen, doit dénouer des liens anciens qui l’attachent à l’hypothétique retour d’un ténébreux marin à qui elle fut un jour promise.

Tombée sous le charme de La Dame de la mer, la chanteuse Camille avoue son coup de foudre pour le personnage d’Ellida : « Comment ne pas m’identifier à cette femme si moderne qui se libère de ses propres fantasmes et ouvre la voix au véritable amour et, selon moi à la création ? ».

Ayant la chance d’avoir une chanteuse qui compose pour interpréter le rôle, Claude Baqué hybride son théâtre de musique pour exprimer la double vie d’Ellida et donner via le chant une matière autre à ce « corps des larmes » vers lequel Camille/Ellida s’évade, quand elle s’abandonne à la solitude de sa « mer intérieure ».

Traduction : Claude Baqué
Création musique et chant : Camille

  • Notes d'intention

Je suis tombée sous le charme de La Dame de la mer dès la première lecture. Comment ne pas m’identifier à cette femme si moderne qui, justement, s’applique à rompre le charme ? Qui plutôt que de céder, telle une héroïne tragique, à un inextricable conflit intérieur, accepte de s’en libérer par le dialogue ? En choisissant son mari plutôt qu’un ténébreux marin, elle se libère de ses propres fantasmes et ouvre la voie au véritable amour et, selon moi, à la création... C’est à cet appel du large au sens onirique que je réponds. Jouer la dame de la mer, c’est lui donner une voix, une voix qui parle, qui dialogue, mais aussi une voix
qui chante, qui s’égare d’abord pour enfin s’incarner, qui de voix intérieure se mue en célébration de l’eau et des rêves.

Camille

On distingue ordinairement trois moments dans l’oeuvre d’Ibsen : ce qu’on appelle ses « pièces de jeunesse » (dont quelques chefs-d’oeuvres encore jamais représentés en France !) ; les trois grandes pièces du milieu de sa vie (Brand, Peer Gynt et Empereur et Galiléen) ; et enfin, ce qu’on appelle « Les drames modernes », ce vaste massif de douze pièces, qu’il écrivit au rythme d’une tous les deux ans, entre 1877 et 1899.

La Dame de la Mer, achevée en 1888, s’inscrit dans ce dernier ensemble, entre Rosmersholm et Hedda Gabler. Or, les dernières pièces d’Ibsen ont en commun de finir par la mort des principaux protagonistes. Rebekka et Rosmer se jettent dans le torrent du moulin. Hedda et Løvborg se tirent une balle dans la tête. Solnesss tombe du haut de sa tour. Et tant d’autres… À ce titre, La Dame de la mer fait exception. Et la chose fait débat. On s’entend à reconnaître que c’est une pièce magnifique, mais (car il y a un mais…) dont la fin ne serait pas « convaincante ». L’auteur aurait commis une sorte de happy end, qui ne passe pas. Le plus souvent, les arguments sont extérieurs à la pièce elle-même.

Cette « fin heureuse » viendrait contrarier le pessimisme d’un Ibsen prophète des désastres du siècle à venir. Ou bien, elle serait un retour à l’ordre bourgeois (la
Nora de Maison de Poupée qui rentre au bercail !). Susan Sontag, en introduction à son « rewriting » de La Dame de la mer, affirme quant à elle que cette fin serait une faute dramaturgique.

Dans cette « polémique », nous prendrons le parti du texte. Cette fin est non seulement « possible », mais « nécessaire ». Et elle engage le sens même de la pièce. Mais de quoi s’agit-il ? D’une jeune femme, mariée avec un homme plus âgé, auquel elle se refuse depuis qu’ils ont perdu un enfant en bas âge, et qui est envahie par une étrange mélancolie, une « irrésistible nostalgie de la mer ». Elle a des visions. À tout moment apparaît devant elle, « en chair et en os », un marin avec qui elle s’est autrefois fiancée et qui a les mêmes yeux bleus que l’enfant mort. Un homme arrive soudain, un « Étranger ». C’est lui. Il lui rappelle qu’il avait promis de revenir la chercher. À la fois effrayée et attirée par cet homme, elle demande à son mari de la protéger. L’Étranger se retire, en lui disant de se tenir prête pour le lendemain. Elle accuse alors son mari de l’avoir « achetée », et lui demande de la laisser partir avec l'étranger. Lorsque celui-ci revient, le mari décide de la laisser libre. Elle choisit finalement de rester et l’homme disparaît.

C’est cette fin, qui est contestée. Sur la forme comme sur le fond. Un oui à l’un, qui est un non à l’autre, et la pièce « se retourne », en effet. Mais ce « retournement » doit être entendu à son sens le plus haut. C’est un évènement. Qui annule tout ce qui l’a précédé. Le contraire même d’une fin annoncée.

Son père, gardien de phare, l’avait baptisée d’un nom de bateau, Ellida, une sorte de « vaisseau fantôme » tiré d’une vieille saga islandaise. Les gens de la ville l’appellent « la dame de la mer », parce qu’elle se plonge chaque jour dans l’eau, quel que soit le temps. Les artistes rêvaient de la sculpter en femme de marin ou de la peindre échouée sur un rocher. Toutes les forces de la pièce semble la vouer à ce « destin de sirène ».

Or, son choix vient effacer d’un coup ce qui était écrit d’avance. Si leurs histoires sont étrangement similaires, Ellida n’est pas la Senta du Vaisseau fantôme de Wagner. Elle décide de rompre le charme. Lorsque son marin revient, elle est prête, elle aussi, à faire le grand saut. Mais Wangel la laisse partir. Et la « métamorphose » a lieu. On peut comparer ce geste, à plus d’un titre, à ce coup de génie des marins portugais, qui firent le pari, au péril de leur vie, qu’en s’abandonnant aux vents dominants, ils allaient rencontrer, au coeur de l’océan, les vents contraires, les alizés, en ce point de « retournement » que l’on a appelé la volta do mar. Ils se sont « fiancés aux vents » et ils ont découvert l’Amérique.

Le continent qu’Ellida découvre à son tour, à l’instant même où, libérée, elle décide de rester, n’est rien moins que son propre désir. Mais elle aura gagné les rivages de ce « nouveau monde » au prix d’une périlleuse traversée. Notre mis en scène sera le récit de ce voyage.

Comme toutes les grandes figures féminines d’Ibsen, Ellida est une « femme sous influence ». Mais, contrairement à la Rebekka de Rosmersholm, ou à Hedda Gabler, elle se libère. Et ce qui est encore plus singulier, c’est que la cage dont elle s’évade n’est pas celle qu’on aurait pu imaginer. Contrairement à Nora, c’est d’elle-même, qu’elle se libère. Et par la parole. C’est d’avoir eu le courage de nommer son emprise, qu’elle finira par s’en délivrer. D’où l’étrange écho que ce personnage devrait, aujourd’hui, rencontrer. Roulé dans une bouteille et jeté à la mer, le message d’Ibsen aura traversé indemne un siècle de naufrages, et survécu à tous nos « désenchantements » : quelque chose est possible, malgré tout, du côté de l’amour entre les êtres. Pour autant qu’ils consentent à se libérer.

Lorsque j’ai proposé à Camille d’interpréter le personnage d’Ellida, elle m’a répondu qu’elle se sentait si proche de cette « dame de la mer », qu’elle aurait pu aussi bien la chanter. Je me demandais alors comment donner corps, dans la mise en scène, à cette fusion du personnage avec la mer, à cette nostalgie, à cette douleur. Et il m’est apparu que le chant pouvait être ce « corps des larmes » d’Ellida, la musique étant un autre nom de la mer elle-même. Nous avons donc convenu d’introduire des plages de chants, qui interviennent à ces moments précis où Ellida s’évade vers sa « mer intérieure ». Le temps théâtral y est comme suspendu. Elle laisse alors venir ce qui monte en elle, ce qui fait retour comme ce qui veut naître en elle. Des moments d’invention, de pure création, voir d’improvisation qui, du coeur de la tempête, préfigurent en quelque sorte la « métamorphose » finale : la sirène devenue femme.

Claude Baqué

  • La presse en parle

« Traduisant et mettant en scène La Dame de la mer, une pièce des plus envoûtantes, Claude Baqué cherche, avec la scénographie et les lumières de Matthieu Ferry, à susciter l'inquiétante étrangeté qui palpite ici. » Le Figaro

« La Dame de la mer n’est rien de moins que le récit de la périlleuse traversée intime d’une femme, luttant contre la houle de ses sentiments. (...) Camille s’est véritablement mise au service du spectacle en signant cette création musicale ample, belle, et maritime. » Les Trois Coups

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Spectacle terminé depuis le samedi 17 mars 2012

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